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13 | Privilège – Le récit de Cédric.
C’est moi, Cédric, qui conclue :
- « Je reste quelques minutes immobile à me rassembler après ce flot d’émotions. Quand je me remets en mouvement, je ne suis plus le même homme. »
Julien glousse.
- « Ah ! Parce que c’est fait, maintenant, tu sais que tu es un homme ! »
Je ris silencieusement.
- « Morphologiquement, je présente tous les caractères d’un humain de sexe masculin. Le genre, c’est dans la tête. Or, vois-tu, depuis ce jour très spécial qui a marqué ma vie, toutes mes incertitudes se sont dissipées. Ce jour-là, je suis devenu adulte et j’ai empoigné ma vie pour la conduire … comme un homme puisque la nature m’a doté d’une bite en parfait état de fonctionnement, c’est d’ailleurs d’en user qui a achevé de me convaincre de mon appartenance : je SUIS un homme.
Cependant, je serai l’homme que je voudrai, celui que je parviendrai à être aussi ; il me semble plus rationnel d’accepter le corps d’Homme que je suis physiquement et d’accommoder mes représentations mentales que l’inverse.
C’est un choix.
Mais ce choix implique ce qu’il faut regarder comme une exceptionnelle souplesse d’adaptation intellectuelle car il nécessite de convenir qu’il n’y a pas qu’un seul type d’homme qui serait universel mais qu’on peut être homme de multiples façons, qu’on peut être homme ET enculé par exemple ...
Et c’est avec cette certitude solidement arrimée à l’âme que, prêt à tout, je me présente au cabinet ce vendredi, sur le coup de midi, comme il m’y avait invité la veille.
- « Le cabinet est fermé, jeune homme. »
Des mots aboyés tandis que deux yeux durs me clouent au mur. Mais dans l’instant même, ils s’adoucissent.
- « Vous devez être l’étudiant infirmier, le docteur vous attend. »
Tandis que la rombière enfile sa tenue de ville, je me dirige vers la porte du bureau. Elle sort.
- « Vous direz au docteur que je ferme les portes comme d’habitude. »
Mes discrets coups portés restant sans réponse, j’appuie sur la béquille.
- « Entre, Cédric ! Madame Dupin est-elle partie ? »
Il a relevé un instant les yeux sur moi, a souri quand j’ai opiné, avant de se replonger dans ses écrits et moi, je le regarde, le cœur battant la breloque, la paume des mains moite, la gorge nouée. Sur le bureau, j’avise une photo qu’encadre une large ganse de velours cramoisi. La petite famille pourrait avoir posé lors du baptême du deuxième, enveloppé dans un lange brodé ; sa maman, blonde à la coiffure sage, le tient serré contre sa poitrine, le mari, une main sur l’épaule de l’épouse, l’autre sur celle de l’aîné qui, la tête renversée les regarde fasciné, les protège.
M’en fiche. Je sais ce que je suis venu chercher, ce qui me mord au ventre.
En tournant la tête, je repère ce qu’il me faut : une chaise où je dépose soigneusement toutes mes affaires au fur et à mesure que je les retire, calmement, une table d’examen sur laquelle je me hisse, nu, à l’aide du marchepied. Quand enfin il approche, je fais glisser mon bassin à la lisière du plateau, en équilibre sur les ischions, mes mains s’emparent chacune d’un genou, les soulèvent, les écartent tandis que j’arrondis mon rein et, m’offrant ainsi sans pudeur, je plante mes yeux dans les siens pour lui souffler :
- « Prends-moi. »
Son sourire s’élargit, ses paupières s’étirent, une de ses mains s’arrondit sur ma nuque et attire ma tête à lui, l’autre folâtre sur ma peau, elle batifole de l’intérieur de ma cuisse jusqu’à mon mollet ; je frissonne, elle remonte, se referme, enserrant étroitement mon paquet à sa base dans la pince sévère de ses doigts qui se referment.
Sa langue chatouille mon pavillon et je manque d’air.
- « Mon petit puceau a faim, un solide appétit de débutant insatiable que je vais devoir essayer de satisfaire … et de tempérer. »
Il alterne mordillement et lècherie, dépose un baiser léger à mon oreille tout en me comprimant sporadiquement les parties et je sursaute, halète d’impatience, dans une incertitude vertigineuse mais, à tout prendre, délicieuse.
- « Alors, je vais commencer par lui imposer la patience car j’ai d’abord besoin de reprendre des forces pour assurer. Je t’emmène déjeuner puis … nous rejoindrons l’appartement où je vais te montrer combien ton petit trou du cul me fait bander. Qu’en dis-tu ? »
Sa voix est très basse, presque sourde, son regard se plante en moi comme une lame chaude et vibrante tout comme la pulpe d’un de ses doigts a glissé pour venir presser ma pastille impatiente de se voir percée ; le sentir, lui, si proche et pourtant si calme et retenu, avec son souffle dans mon cou, sa main pressant mes génitoires à me faire mal, à la fois me rassérène et me trouble. La confiance m’envahit, une certitude si absolue que s’il me demandait, à moi qui il y a peu voulait tout ignorer des emportements du sexe, de traverser la grand place de la ville en tenue d’Adam pour me jeter dans ses bras, j’accepterais sans appréhension et, même, avec fierté.
La puissance du désir se révèle à moi, c’est une surface d’eau clapotante, miroitante de mille vaguelettes qui en masquent les mystères, les courants, les abysses. J’embarque et elle me porte.
Le plat du jour de la brasserie voisine est victime de deux fourchettes dont la férocité implacable relaie le feu de nos regards. Il saisit l’occasion pour préciser sobrement sa situation matrimoniale et, moi, pour accepter, ô combien volontiers, le rôle d’amant forcément clandestin. Sitôt le café bu, nous filons pour sceller nos accords dans des suffocations qui me bouleversent.
Rapidement, je quitterai ma chambre d’étudiant pour occuper le petit logement, sa garçonnière, qui nous offre toutes les facilités pour abriter nos étreintes débridées, j’obtiendrai mon diplôme, j’entrerai à l’hôpital.
C’est lui qui m’a aidé pour acquérir et aménager l’appartement où nous sommes car il lui fallait disposer d’un accès discret et rapide et retrouver les commodités auxquelles il est habitué. Car, depuis, il a contracté le virus de la politique au sein, bien sûr, d’un parti conservateur et obtenu un mandat local. Aussi tient-il plus que tout à l’honorabilité de sa réputation.
Sans doute, aussi, s’est-il un peu lassé, me laissant plus fréquemment disposer librement de mes soirées.
- « Ne me dis pas qu’il pourrait débarquer ici à l’improviste, je déteste les scènes de ménage en trio avec celui qui se retrouve dans le rôle du cocu. »
Je ris.
- « Rassure-toi. Il ne vient jamais sans prévenir mais … je garde très rarement mes amants de passage pour la nuit. »
- « Dois-je entendre que je bénéficie d’un privilège ? J’en suis flatté, bien sûr, mais puis-je te demander à quoi je le dois ? »
Je roule à son oreille et un irrépressible élan de sincérité me fait lui souffler.
- « Parce qu’en toi me paraissent réunis, à la fois, un homme bien éduqué, attentionné, ce qui me rassure, et un monstre terrifiant de lubricité qui ... »
Avant que je parvienne à terminer, il se tourne sèchement vers moi, comme surpris et je m’interrompt. L’œil qui me fixe est d’abord interrogateur puis une lueur s’y allume. Égrillarde, pointue, perçante. Ses lèvres s’étirent.
- « Je me demande si je n’ai pas été trop gentil avec toi. Je devrais peut-être t’enlever pour te réduire à la condition d’esclave sexuel, nu dans l’écurie, au milieu de mes chevaux. »
Le ton est badin mais sa main glisse sur mon flanc et s’arrondit sur ma croupe, doigts en étoile, possessive et brûlante. En m’efforçant de rester de marbre, je ferme hermétiquement les yeux. J’emprisonne derrière mes paupières une soudaine cavalcade de fantasmes à peine entraperçus faits de paille souillée, de chaleur animale, de frottements, de fumets sauvages et piquants, d’ assourdissantes injonctions aboyées, de halètements courts, de fornication échevelée … et mon ventre se noue.
Je reprends mon souffle.
- « Je … Julien, je crois qu’il serait sage de dormir maintenant. »
Écoutons Zaza Fournier chanter « Je veux être un garçon / beau comme un Apollon / ou bien laid comme un pou / en vérité, j'm'en fous / je veux être un garçon.
Amical72
amical072@gmail.com
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