Premier épisode | Épisode précédent
15 | Se coucher tard ... – Le récit de Cédric
J'ouvre soudain les yeux sous un regard malicieux.
- "Bonjour."
Je parviens à lui répondre, en différant in extremis le baillement qui, maintenant, me décroche la mâchoire. J'ai un goût de papier mâché dans la bouche, prudence.
Je tourne à nouveau la tête vers lui, son visage est tout proche et il me sourit, un peu niaisement. Tiens, il a un poil sur le bout de son nez, un seul, noir, court et dru. Une corne. Il avance les lèvres mais, dans un sourire contrit, je me détourne vivement pour lui offrir ma joue. Après tout ce qu'on a léché cette nuit ...
J'ondule des épaules pour me blottir dans ses bras, dos contre lui, mais sans renouer avec ce sentiment de sécurité qui m'a fait le retenir hier soir. Les draps froissés et souillés me râpent, ils me sont devenus inconfortables et sa chaleur, un peu moite, colle maintenant désagréablement sa peau et la mienne. Pouah! Mon lit ressemble à un cendrier froid le lendemain d'une orgie de cigares ! De l'air ! Mais je dois auparavant rassembler mes forces.
Ça ! On s'est bien amusés ! On ne peut pas lui enlever ça, c'est une sacrée gachette ! J'en ris in petto puis sursaute et m'écarte prudemment. Je ne voudrais pas qu'il me pense prêt à remettre le couvert ce matin ; je suis un peu migraineux, ça me fait toujours ça, les nuits blanches.
À m'agiter ainsi, mon petit trou du cul endolori se rappelle lui aussi à moi et je lui prescris une stricte période d'abstinence réparatrice.
Par dessus mon épaule, je tourne la tête vers lui.
- "On commence par la douche?"
Et je rabats la couette pour bondir sur mes pieds. Putain, ça tangue. Je sens que je vais passer ma journée de repos à me dorloter pour récupérer de ces excès. Il s'est dressé, nu et, de profil, il se tient légèrement voûté, son torse m'apparaît écrasé. Il est costaud, ça! Avec une musculature de travailleur, un peu sèche et de grandes mains. Il regarde tout autour et siffle entre ses dents.
- "Mazette, c'est chouette chez toi !"
J'avoue que l'effet que produit le revêtement mural de la salle de bain, tout de petits carreaux de verre opalescent sous les éclairages indirects me ravit toujours autant mais son étonnement béat à lui m'étonne. Quoi? Il n'a jamais rien vu ? C'est vrai qu'il est agriculteur ! Je lui adresse un sourire amusé et bienveillant. Ce n'est pas un amant levé dans les coulisses "récréatives" en marge d'un colloque médical, sanglé dans un costume sur mesures et descendu dans un palace.
Je m'enquiers.
- "Que prends-tu au petit déjeuner?"
- "Un grand bol de café léger, s'il te plaît."
Bon, il en va de ses autres habitudes alimentaires comme de ses goûts pour la bière, rustiques pour ne pas dire sommaires. Mais lui, au moins, est-il plein d'attentions ; il me pique d'un petit bisou tendre avant de se faufiler derrière la paroi vitrée de la douche. J'enfile un peignoir et je vais dresser la table du petit dej.
Il arrive, pieds nus, les reins ceints d'une serviette éponge et je retrouve son aisance corporelle, son naturel animal, il s'asseoit et entame son repas sans plus de façons. Il doit être facile à vivre, sans détour ni calcul. Il a bon appétit et trempe ses biscottes, l'extrémité de ses doigts avec, d'ailleurs. Ses doigts solides que, cette nuit, il m'offrait à lècher, à sucer, à téter avant de m'en fourrer somptueusement le cul. Quel queutard!
Je lis un éclat lubrique dans sa prunelle mais qu'il n'y songe pas! C'est assez pour moi, merci. Plus faim ! J'étire un sourire désarmant et replonge le nez dans mon thé.
Je me lève pour ranger le jus de fruit dans le frigo et, en deux pas, il me rejoint, me colle à la porte métallisée en se pressant contre moi, me pelote au travers du peignoir, enfouit son visage dans mon cou, plutôt tendre qu'entreprenant, ce qui me soulage en éloignant la corvée d'une mise au point qui gâche toujours les souvenirs.
- "J'ai passé un très bon moment avec toi."
J'ai un rire de gorge qui m'épargne tout commentaire.
- "Tu sais, mon invitation à la ferme tient toujours ..."
Je ris encore, sans effort, tant la parade est toute trouvée.
- "En cette saison ? Brrr!"
Putain, les courants glacés du plein air, la paille qui pique, l'absence de commodités ... très peu pour moi, désormais !
Sa main vient englober ma joue et il me lance un regard cajoleur en se blottissant imperceptiblement mais, tonique, je m'agite en souriant joyeusement. Je n'ai pas envie d'être confronté à sa probable mais embarrassante érection. Il me plante alors un rapide bécot sur les lèvres et tourne sur ses talons. Quelques minutes plus tard, il revient, habillé.
Je l'embrasse chaleureusement en lui souhaitant une bonne journée avant de refermer la porte sur lui.
De la fenêtre du salon, je le guette sur le parking. Il démarre.
Je peux maintenant aller prendre un bon bain en toute quiétude.
Enfin, la journée m'appartient.
"Se coucher tard ..." La réponse est dans ce court extrait d'un spectacle du grand Raymond.
Amical72
amical072@gmail.com
Autres histoires de l'auteur :