Premier épisode | Épisode précédent
6 | Sur la bête – Le récit de Julien.
- "J'ai soif maintenant, pas toi?"
Aussitôt revenu à lui après sa jouissance fulgurante, Cédric saute au bas du lit et quitte la chambre d'un pas rapide, sans plus se préoccuper de moi.
Moi, avec ma trique encapuchonnée.
Je songe un instant à expédier rondement l'affaire, à me finir efficacement au poignet pour clore la session mais à peine ma main se referme-t-elle sur mon manche que ...
Non, décidément !
Je me lève et, précédé par mon étrave, guidé par les bruits et une lueur, je viens m'encadrer dans une porte. Je découvre Cédric, solidement campé sur ses deux jambes, bras levé, tête renversée, qui boit directement au goulot, sa silhouette replète tranchée par la verticale d'un rai de lumière qui s'échappe du frigo dont la porte est restée entrouverte. Sa soif étanchée, il me tend la bouteille à bout de bras puis son regard s'abaisse.
- "Putain !"
Dans le même mouvement, il a remis la bouteille à sa place, claqué la porte du frigo et s'est retourné en pivotant sur un pied, cambré, exposant son gros cul épanoui devant mes yeux.
Deux pas furtifs plus tard, ma main s'élance et la pointe de mes doigts en éperon se fiche en lui, dans le chaud, le moite, le velouté. Dans lui qui soupire, trébuche, avance d'un pas, se cassant un peu plus pour prendre appui de l'avant-bras au mur, sous la fenêtre. Déjà, mes doigts frétillent en progressant, impatients d'entamer leur danse dans ce confortable panier que ma main libre, à sa hanche, fait valser souplement. Mais il souffle.
- "Ta queue!"
Ma queue? Mais elle est là, bandée, toujours capotée et tapie en embuscade, guettant la moindre opportunité de se faufiler à nouveau dans ce palais dont elle ne s'est retirée qu'à regret, par discrétion. Alors puisque, découvrant son absence laquelle t'afflige, tu as la délicatesse de la rappeler à toi, elle rapplique, dare-dare. Une infime flexion de mes cuisses et elle envahit le vestibule, je te vois saisi, comme effarouché par une si franche poussée. Mais sans s'attarder, elle dévale le corridor qui s'écarte précipitamment sur son martial passage ; c'est pour se jeter à tes pieds, vaillante lame toute dévouée à ton service, sa garde pressant tes fesses, sa toison chiffonnée entre elles, disposée à tous les efforts pour te servir dans tes moindres exigences.
Tu te creuses, te fais plus accueillant encore dans une libéralité de soieries qui ne laisse aucun doute sur ton appétit à reprendre notre échange et ma rapière vibre en retrouvant le fourreau familier tel qu'elle espérait. Tu t'aplatis, dos à l'équerre, pieds bien à plat sur le carrelage, une épaule au mur pour amortir les poussées qui, sait-on, pourraient se faire trop fortes, la joue collée au carreau froid qui s'embue de ta respiration.
Mais nous avons précédemment conclu un pacte.
Alors je me félicite que la lenteur calculée de mon retrait circonspect ramène sur ton visage éclairé par la lune, cet air de béatitude gourmande, et qu'ensuite, mon retour décroche ta mandibule laissant ton souffle s'exhaler commodément, sans obstruction.
Ta paupière s'est brièvement soulevée sur un éclat canaille, ton épaule arcboutée en défense se détache de la paroi et c'est toi qui recules et viens dévorer avec gourmandise le mandrin qui s'était précautionneusement retiré, pour, à nouveau, l'attirer par tes envoutements qui anéantissent chez lui toute volonté de résistance, l'envelopper dans tes replis carnassiers, l'embobiner de tes sortilèges pour qu'il reprenne sa place, celle que tu lui destines, douillette, moelleuse pour le dévorer à loisir.
C'est ainsi que se renoue le dialogue conjugant nos deux appétits maintenant réveillés, nos corps qui s'encastrent, nos mains qui nous pognent et nous rapprochent dans la nuit, dans ta cuisine, là, pile devant la fenêtre, ... Mais qui pourrait nous voir ? Et quand bien même ? Cette exposition dans l'ombre n'ajoute-t-elle pas à ton frisson, gredin?
Nos reins s'accordent, déclenchent ensemble ce mouvement de balancier en opposition qui, sans cesse, nous réunit avant de nous séparer puis de nous rappeler l'un à l'autre dans un claquement de chairs, un rythme lent, régulier, lancinant, ponctué de murmures, de râles ; une glissade si douce, de brefs emballements vertigineux, un élan qui se finit en écrasement suffocant, un rebond qui nous éloigne ... avant de repartir en avant, mécanique, obsédant.
Sur un infime basculement de mon bassin, tu hoquettes et je triomphe déjà mais ta caverne se fait gouffre insondable où je m'égare, perdu, inquiet, puis, soudain, elle se resserre et m'étreint, s'ajuste en étui soyeux où je me faufile, un mirage dont je voudrais ne jamais voir le terme et qui, pourtant, s'écarte, s'éloigne et je replonge pour renouer avec cette griserie.
Partagée !
Tu me lances un bref sourire de voyou, un éclat de connivence avant de me couronner, de m'engloutir, de m'étourdir. Mais ce flot d'enchantements brise mon apathie et voilà que, ragaillardi, je m'emploie hardiment, je lime, je fourre, j'alèse avec fluidité et une obstination qui te terrasse, pantin que l'extase désarticule puis stimule et qui exulte en repartant à l'initiative.
Je résiste, voire même, je t'administre quelques sèches détentes bien senties qui montrent, s'il en était besoin, que le démon, en moi, a encore de la ressource. Tu t'en régales, soupirant sans fausse pudeur, m'encourageant à la démonstration, gémissant que tu te damnerais pour quelques coups de rein supplémentaires de cette sorte, me suppliant de t'accorder la faveur de prolonger ce ramonage éblouissant, ...
Bref, tu paries sur l'animal, sur la plus rudimentaire part de moi-même, tu excites celui que les hormones aveuglent, celui qui aspire instinctivement à lâcher sa sève au plus profond, au secret, pour transmettre ses gènes à tout prix, ...
Et moi, je me laisse prendre à ce jeu pourtant puéril ; gagné par l'enthousiasme de cette reconnaissance, je m'emporte, m'emballe, jusqu'à outrepasser cette fameuse limite à partir de laquelle l'homme ne peut plus faire marche arrière.
Cependant, en vainqueur magnanime, tu me soutiens quand la jouissance me foudroie, tu me laisses reprendre mes esprits adossé dans l'angle de la fenêtre, le front à la vitre rafraîchissante, tu retires ma capote, m'offre une toilette sommaire à l'aide d'une lingette humide – mais avec quoi fais-tu ta vaisselle ? – que tu parachèves en suçotant gloutonnement le gland de ma bite flaccide avec des murmures de contentement, puis tu te redresses, tu embrasses fugacement mes lèvres.
- "Mais qui es-tu donc, brigand ?"
"Fly me to the moon / emmène-moi sur la Lune"
Amical72
amical072@gmail.com
Autres histoires de l'auteur :