Cyrillo

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Tronche de cake

CHAPITRE I

Fez, Maroc, 19.

- Tu me prends pour une idiote ou quoi ? Ton copain t'a peut-être embrassé sur la bouche, après avoir tiré une taf* ?
Pan !
La gifle venait de claquer, me crevant quasiment le tympan gauche, et je restai sourd un long moment, la joue écarlate et l'air bête qui me caractérisait lorsque j'avais fait une bêtise.
- Si tu ne me dis pas la vérité tout de suite, tu seras privé d'argent de poche pendant un mois !

Encore ? Chaque fois ce chantage à l'argent de poche ! Ces malheureux cinq francs que nous touchions, mon frère et moi, en début de semaine pour nos menus plaisirs : quelques cornets de gaufres à la récré et un paquet de P 4 (les quatre Parisiennes) qui devaient nous faire la semaine et que nous coupions en trois, ce qui nous faisait six clopinettes chacun. Mais, comme le compte n'y était pas, heureusement que nos copains les plus riches, ceux qui avaient les moyens de se payer des paquets entiers de Marquises, de Casa-Sport, de Marlboro ou de Royales-Menthol, nous permettaient, avec condescendance, de terminer leurs mégots.

- Re-souffle !
Je soufflai timidement, en retenant ma respiration - exercice ô combien difficile ! - et elle eut une moue dubitative qui ne m'échappa point. Heureusement, ce jour-là j'avais fumé le matin, en partant au lycée et non pas au retour, et avais sucé ensuite force cachous pour ne pas trop sentir de la bouche.
- Je te jure, maman, que c'est Yves qui a fumé à côté de moi, et qui m'a imprégné le pull avec sa clope. C'est comme quand tu fais la cuisine à l'huile d'olive. Au lycée, les copains s'en aperçoivent toujours et me charrient avec ça : - Alors ? Ta mama t'a encore fait frire, Tronche de cake ?
Tout ça parce que l'odeur s'imprègne dans mes vêtements et y reste très longtemps.

Mais elle n'avait pas l'habitude de capituler.
Re-pan !
Cette fois-ci, c'était le martinet - ustensile qui ne la quittait guère - qui s'était abattu sur mes cuisses dénudées par le short. Et, comme mû par une espèce de réflexe de Pavlov, je me tournai et baissai short et slip en même temps.

Les coups plurent, une dizaine en tout - elle n'allait pas jusqu'à douze, car se fatiguait vite - et qui me laissèrent l'arrière-train zébré de rouge. Presque aussi rouge que mon visage lorsqu'elle avait évoqué le possible baiser d'un copain sur la bouche. Bon Dieu ! Si ça avait pu être vrai ? Je crois bien que je me serais arrêté de fumer tout de suite, et ne me serais intoxiqué que d'être embrassé par Marc.

Ah, Marc ! Grand, brun, aux yeux noirs, de deux ans plus vieux que moi, et qui me faisait chavirer le cour chaque fois que je le voyais.

- Tu veux ma photo, Tronche de cake ? m'avait-il demandé, la première fois qu'il avait croisé mon regard, probablement énamouré et un peu idiot. C'était lui qui m'avait donné ce surnom, que je chérissais puisqu'il me venait de lui, même s'il n'était pas très gentil, ni affectueux.
- Oh, oui ! Bien volontiers ! pensai-je secrètement sur le moment. Je l'aurais mise au-dessus de mon lit et l'aurais contemplée en me frottant, à plat ventre, sur les draps, comme je le faisais presque toutes les nuits depuis quelque temps.

J'avais beau tenter, le matin au réveil, de faire disparaître les traces de crème jaunâtre qui souillaient mes draps, à l'aide d'un gant de toilette mouillé, il restait souvent des auréoles suspectes qui faisaient dire à maman :
- Tu as encore fait pipi au lit, cette nuit, Thibaud ? Il serait grand temps que tu t'arrêtes, à ton âge !

Aussi, pris-je l'habitude de m'épancher dans la salle de bain, en me contemplant dans la glace, essayant de substituer, par la pensée, le visage de Marc au mien. Mais cette réalité que je voyais me faisait jouir beaucoup moins bien que mes fantasmes de lui dans mon lit.

- Va-t-en ! Tu n'iras pas au cinéma dimanche !
Ouf ! J'avais eu chaud. Elle m'avait cru à moitié et je garderais mes précieux cinq francs. Je me re-shortai et regagnai ma chambre, les fesses endolories mais la tête pleine d'images de Marc...

- Alors, t'as pris ta raclée ?
Pascal me contemplait, l'air rigolard, allongé sur son lit. Je me jetai sur lui et nous nous battîmes comme deux frères qui s'adorent. Nous partagions la même chambre avec Calou, (c'est ainsi que j'avais surnommé mon frangin) et bien qu'il eût un an de moins que moi, c'était lui l'inventeur de nos bêtises de garnements. Moi, un peu faible de caractère, je suivais toujours et étais souvent le seul puni car je ne savais pas ou mal mentir. Lui, par contre, passait presque toujours à côté du martinet en mentant effrontément et avec un aplomb qui me laissait sans voix. Ainsi, lorsqu'il eut attrapé une heure de colle, il affirma péremptoirement qu'il avait été puni pour n'avoir pas dénoncé un camarade qui avait copié sur lui. (Quand je savais pertinemment, puisque nous étions dans la même classe - j'avais redoublé le CM2 - que c'était lui le copain copieur !) J'en restai médusé. La mère le crut, tant elle était attachée à l'honneur et à la droiture.
- On ne dénonce pas quelqu'un d'autre pour se protéger ! nous serinait-elle. Et il en profitait, le salaud ! Moi, je n'aurais jamais osé, de peur qu'elle n'apprenne la vérité en se renseignant auprès du prof.

- Je suis privé de cinoche dimanche, dis-je, en me massant les fesses.
- Bof ! c'est pas grave, t'auras qu'à dire que tu vas faire tes devoirs chez Bab, et tu nous rejoins au Rex !

C'était une bonne idée. Maman aimait beaucoup Babeth, car, se rendant peut-être compte de quelque chose à mon endroit, elle appréciait qu'une fille me tourne autour. Peut-être se figurait-elle que ma " maladie " s'évanouirait quand j'aurais eu mes premiers rapports avec une fille ? Même si elle était moche et grosse et ne faisait pas le poids - si j'ose dire - à côté de Marc, grand, mince et beau à mes yeux.

En fin de compte, nous étions un peu semblables Babeth et moi. Nous étions tous deux amoureux de quelqu'un qui ne nous remarquait même pas. Elle, était folle de moi, et passait des après-midi entières assise sur le lit de Calou, espérant que je m'occupe d'elle, pendant que je dévorais des bouquins allongé sur le mien ; quant à moi, je m'évertuais, chaque jour, à essayer d'entre apercevoir Marc au lycée. Je m'étais même procuré, par ruse, son emploi du temps et lorsqu'il sortait une heure après moi, je m'astreignais à passer cette heure délicieuse en étude, dans l'attente de le voir à la sortie. Mais il ne faisait pas plus attention à moi que je ne m'intéressais à Bab.

La vie était mal faite. Il ne savait pas ce qu'il perdait. Pour une caresse de lui, j'aurais pu faire les pires conneries et n'aurais pas senti les coups de martinet qui s'en seraient immanquablement suivis, tant j'aurais été pénétré de bonheur. J'enviais les gars de sa classe qui lui serraient la main tous les jours. Cette main aux doigts longs et fins dont je rêvais qu'elle me caressait, la nuit...

Bref, j'étais fou de lui et de tout ce qui l'entourait. J'en étais même arrivé à vouloir me transformer en sa selle de Puch - ce vélomoteur que tous lui enviaient - pour le sentir à califourchon sur moi. Et je fantasmais dur.

CHAPITRE II

La boum 1 ou " La sur-pat' "

Le dimanche arriva très vite. La ruse de Calou fonctionna à merveille car je commençais à savoir mentir un peu, moi aussi, sans rougir. Je rejoignis la bande au Rex. Par un heureux hasard, Bab était là avec Edwige, la copine de mon frère. Je pus donc l'informer du complot, afin qu'elle ne fasse pas la gaffe de révéler à maman, sans le faire exprès, que je ne faisais pas mes devoirs chez elle. Elle m'était si dévouée d'amour qu'elle se serait accusée de meurtre pour me protéger et accepta donc tout de suite de me rendre ce petit service. Je me sentis bien un peu dégueulasse de me servir d'elle ainsi, mais la liberté n'avait pas de prix et, de toutes les façons, elle en était récompensée de m'avoir à côté d'elle au cinéma.

A l'entracte, Edwige nous apprit qu'elle était invitée, le dimanche suivant, à une sur-pat' (une surprise-partie, mais ça faisait plus américain de dire sur-pat' !) chez Marc. Il voulait la soulever à Calou, pour sortir avec elle. Mon sang ne fit qu'un tour et je rougis violemment, mais personne ne s'en aperçut. Calou protesta que, si elle y allait sans nous, il allait casser. Elle promit alors d'essayer de nous faire inviter. Pendant le deuxième film - dont j'aurais été bien incapable de dire si c'était un western ou un policier - je me voyais déjà au dimanche prochain. J'aurais toute l'après-midi pour le voir de près et m'en régalais d'avance le cour.

Ce n'est qu'en sentant la main de Bab me secouer le bras que je réalisai que le film était fini.
- Ben, Thibaud, à quoi tu penses ?
- A rien ! répondis-je.

Je n'allais pas lui dire que je rêvais de danser un slow avec Marc, elle en aurait peut-être été choquée car, amoureuse de moi comme elle l'était, elle ne se doutait de rien. Il n'y avait que Calou à être dans le secret. Je lui disais tout. Il ne me considérait pas, lui non plus, comme une tapette et m'acceptait tel que j'étais, même si nous n'arrivions pas à définir exactement ce que j'étais. En fait, j'étais surtout son grand frère qu'il admirait un peu parce que j'étais bon en français et écrivais des poèmes d'amour qu'il faisait passer pour les siens auprès des filles.

C'était un dragueur de première. Il avait un succès fou avec elles et j'aurais bien voulu qu'il m'apprenne sa technique pour pouvoir, à mon tour, faire tourner la tête à Marc. Mais je ne savais pas encore qu'il n'y a pas de techniques ou de secrets en la matière, et que l'attirance entre deux êtres n'obéit à aucune loi mathématique. Sinon, j'aurais fait de gros efforts en math, matière où j'étais quasi nul.

Calou, lui aussi, me disait tout. Ainsi m'avait-il raconté la première fois qu'il avait embrassé une fille sur la bouche. Pendant le baiser - où il ne mettait pas encore la langue - elle lui avait passé son chewing-gum. De surprise, il l'avait avalé d'un coup, sans le vouloir, et m'avait ensuite demandé, avec angoisse, s'il ne risquait pas de le garder collé dans son ventre toute la vie. Nous nous précipitâmes sur le dictionnaire mais ne trouvâmes rien sur l'avalement de chewing-gum et ses conséquences. Je le consolai tout de même en lui disant que, comme il était mouillé, il ne devait pas coller beaucoup, et j'ajoutai qu'il fallait qu'il surveille bien la sortie tous les jours pour être tout à fait rassuré de son expulsion. Ce qu'il fît très consciencieusement. Les premiers temps, il passait une heure enfermé dans les chiottes, alors qu'auparavant il aurait pondu sa crotte en cinq minutes. Cela ne manqua pas d'inquiéter maman qui le crut constipé et le gratifia de grandes cuillerées d'huile de ricin. Dégoûté par le remède, et point trop gêné, finalement, à l'intérieur, par son chewing-gum - qu'il ne vît pas passer en même temps que le reste - il écourta ses passages aux cabinets et n'y pensa bientôt plus.

Le jeudi suivant, Edwige nous annonça que nous étions aussi invités chez Marc. Elle n'avoua point à Calou qu'elle avait fait du chantage en disant à Marc que, s'il voulait qu'elle vienne, il fallait accepter le paquet complet - c'est à dire nous - et qu'il avait cédé, car elle lui plaisait beaucoup. Si Calou l'avait su, il est bien probable qu'il aurait annulé le contrat immédiatement et cassé avec Edwige. Mais il ne le sut que trop tard.

Je passai la fin de semaine dans les affres de l'amour. Je n'en dormis quasiment plus - ou me l'imaginai - tant j'étais impatient d'en être au dimanche.

Il arriva enfin, ce fameux dimanche, dont je me souviendrai toute ma vie. Je m'étais levé à l'aube et avais pris une douche interminable, me lavant complètement, des pieds à la tête, plusieurs fois de suite pour être super-propre, au cas où ! (Je me mettais le doigt dans l'oil jusqu'au coude, mais ne m'en doutais pas encore) Je me sapai avec ce que je considérais de plus chic et me parfumai légèrement derrière les oreilles, comme m'avait appris à le faire ma grand-mère chérie, la brave femme, qui ne se doutait de rien. J'espérais faire craquer Marc par le nez, à défaut de le faire craquer par le regard.

Calou s'amusa fort de mes préparatifs. Il se moqua un peu de moi, amicalement, en me disant que je paraissais une fille se préparant pour son premier bal. Et j'avoue que je me sentais bien un peu dans l'état d'esprit de Cendrillon allant récupérer sa charentaise de vair dans les mains du prince charmant.

La sur-pat' battait son plein lorsque nous arrivâmes chez Marc, à trois heures de l'après-midi. Dans la superbe villa de ses parents, sur les hauteurs de Fez, tout le monde était là, au bord de la piscine. La vedette du jour était Juan-Luis, le fils du consul d'Espagne qui était dans la classe de Marc. Un garçon sympa, pas bégueule pour un sou et qui ne se prenait pas pour le nombril du monde. J'avais sympathisé avec lui, au lycée, car j'aimais beaucoup parler l'espagnol - matière où je ne me débrouillais pas trop mal - et il en était un peu flatté. Bab et Edwige nous attendaient impatiemment. Elles se précipitèrent sur nous et nous entraînèrent vers le buffet. Nous nous servîmes de grands verres de Coca et trinquâmes à la santé de Marc. Je le cherchai du regard et le vis, une fille à chaque bras, riant à gorge déployée. Je me demandai, dans l'instant, laquelle des deux je tuerais la première, lorsqu'il nous aperçut et vint vers nous, délaissant ses admiratrices. Edwige fit semblant de ne pas le voir arriver.

- Salut, comment allez-vous ? Je suis heureux de vous accueillir ! dit-il, en nous serrant la main à tous. Lorsqu'il prit la mienne, j'eus l'impression de saisir un fer rougi au feu. Et ce feu se transmit à tout mon être. Je devais probablement être cramoisi et ne quittai point cette main, la secouant nerveusement pour retarder le plus possible le moment où elle me lâcherait. Je décidai instantanément de ne plus me laver la main droite pour ne pas effacer le souvenir de ce contact. Il eut un regard surpris et amusé, de ce que je devais lui paraître un peu plouc, mais se détourna bien vite de moi pour entraîner Edwige.

Calou, qui commençait à avoir des soupçons à l'endroit de la fidélité de sa fiancée, se mit à faire la gueule. Pour le consoler, et me remettre un peu de l'émotion de mon premier serrage de main avec Marc, je l'entraînai vers le buffet et nous servis un autre verre de Coca. Bab nous suivait comme un petit chien fidèle, sans faire de bruit.

Lorsque le premier slow retentit, sur le Teppaz* flambant neuf, je crus défaillir. Je me remémorai la séance de cinéma où je m'étais rêvé dansant avec Marc. " Only you " chantaient les Platters. Je connaissais les paroles de cette chanson sur le bout des doigts, même si j'étais bien incapable d'en traduire le moindre mot. Le titre, à lui seul, me transperçait le cour en ce moment : Seulement toi ! (ou Toi seul ? Mais Seulement toi ! collait mieux avec la musique) C'était tout ce que je savais traduire, mais c'était déjà beaucoup. Je chantonnais intérieurement : Seulement toi ! en regardant fixement Marc dansant avec Edwige, comme pour l'hypnotiser ou l'ensorceler. Mais mes imprécations sataniques internes n'avaient pas l'air d'avoir beaucoup d'effets sur lui. Au contraire, il se serra d'avantage contre Edwige, au grand dam de Calou qui se voyait cocu devant tout le monde. Je me dis qu'il faudrait que je prenne des cours d'envoûtement avec un marabout professionnel, car ma méthode de sorcellerie ne paraissait pas très efficace. Pour se venger, Calou chercha quelqu'un d'autre à se mettre sous la dent. Il trouva très vite une petite blonde qui faisait tapisserie. Elle était mignonne et semblait timide. Lorsqu'il l'invita à danser, elle rougit et fit mine de refuser. Mais il avait tellement de tchatche qu'il la convainquît rapidement en la faisant rire.

C'était son point fort, ça ! Il faisait le clown comme pas un, et les filles ne pouvaient pas lui résister. Quant à moi, j'attendis que le slow fût terminé pour inviter Bab à danser. Je ne voulais pas brouiller les images que j'avais dans la tête, en sentant son corps contre le mien. Je profitai d'un jerk, qui permettait une certaine distance entre nous, pour faire preuve de politesse à son égard. Mais c'était le maximum de ce que je pouvais faire pour elle. Elle eut quand même l'air de m'en être reconnaissante, la pauvre.

Sur le coup des six heures du soir, la nuit commençant à tomber, Marc fit allumer des torches par le chaouch*. Ces lueurs donnèrent à la fête un air de sabbat, dans mon esprit, et, lorsque quelqu'un annonça la danse du tapis, je me dis que, peut-être, mon heure était venue. Je me précipitai pour faire partie de la ronde, Babeth à ma gauche, une autre fille, aussi moche, à ma droite, et " Marc " en face de moi. Nous tournions inlassablement, nous tenant par la main, sur un pot-pourri de danses espagnoles, en hommage à Juan-Luis. Ce fut d'ailleurs lui qui ouvrit le bal des vampires et il choisit une petite brune très jolie qui devait lui rappeler les filles de son pays. Mais, retenu par son éducation d'hidalgo et sa position de fils de consul, il ne l'embrassa que sur les joues. Ce qui plut quand même à la fille, qui rosit. Se relevant de dessus la serpillière qui tenait lieu de tapis - Marc ne tenant point à souiller les coussins de sa mère - elle s'avança devant le maître de maison, comme si elle voulait respecter le protocole.
Mais on sentait bien qu'elle n'en avait rien à foutre du protocole et que seul Marc l'intéressait. Il se plia de bonne grâce à la cérémonie et, se saisissant de la serpillière qu'elle avait jetée à ses pieds, il l'étala précautionneusement par terre et s'agenouilla dessus. Elle l'imita aussitôt, semblant défaillir. Il la retint par les épaules et lui roula un patin de première. Je ne pus savoir s'il y mettait la langue, mais je décidai in petto qu'elle serait la troisième victime de la série d'assassinats que je comptais commettre aujourd'hui. Lorsqu'elle se fut relevée, péniblement, les jambes flageolantes, et eut quitté le cercle des danseurs, certainement ivre du baiser qu'elle venait de recevoir, (à mon avis, elle allait en avoir au moins pour la semaine à s'en remettre !) Marc, par esprit chevaleresque sans doute, jeta la serpillière devant les pieds de Bab. Incrédule, celle-ci bredouilla :
- C'est... pour moi ?
- Ben oui, pourquoi pas ? répondit-il, l'oil amusé.

Je sentis la main de Bab se crisper dans la mienne et me dis que, décidément, il faisait de l'effet à tout le monde. Leur baiser dura beaucoup moins longtemps que le précédent et je fus bien certain qu'il n'y mettait pas la langue, sinon Bab en serait morte sur le coup. Mais elle avait quand même le regard trouble en se relevant et fit semblant d'hésiter entre plusieurs garçons avant de me choisir, bien évidemment. Je lui en fus reconnaissant, car elle me donnait l'occasion de réaliser le plan que j'avais conçu dans ma tête. Aussi, pour la remercier de son choix, et égarer les soupçons de ce qui allait suivre, je l'embrassai à pleine bouche, en y mettant la langue pour la première et dernière fois de sa vie.

Elle poussa un tel soupir, lorsque nous nous séparâmes, qu'il y eût des applaudissements dans la foule. M'étant remis prestement debout, la serpillière à la main, je la secouai devant chacun, à tour de rôle, comme un toréador avec la muleta devant le taureau, en esquissant des pas de paso-doble. Puis soudain, prenant mon courage à quatre mains - car je n'en avais pas assez de deux pour faire ce que j'avais prévu - je m'arrêtai devant Marc et criant " Olé ! " je jetai la serpillière devant lui, en faisant semblant d'éclater de rire. Mais à la vérité, je riais un peu jaune à l'intérieur. Interloqué, il me regarda sans comprendre, puis, saisi brusquement d'un doute, me dit :
- Hé ! Tronche de cake, j'suis pas une tapette !
- Oh, si on peut plus rigoler, maintenant ! répondis-je, en faisant un effort surhumain pour rire.

Il rit à son tour, franchement, croyant que c'était un gag de ma part et, me saisissant par les épaules, m'entraîna jusqu'à la piscine, où il tenta de me jeter. Mais comme, par réflexe, je m'étais accroché à ses hanches, nous tombâmes ensemble dans l'eau, tout habillés. Des hourras et des applaudissements fusèrent au bord du bassin, et plusieurs garçons, qui avaient prévu de se baigner et avaient mis un maillot de bain en guise de slip, se déshabillèrent promptement et sautèrent joyeusement dans l'eau pour nous rejoindre. Je toussais et crachais passablement car Marc m'avait fait couler en m'appuyant sur la tête, mais j'étais le plus heureux des hommes. Je n'avais heureusement pas de montre à mon poignet, qui eût certainement rendu l'âme dans ce bain, mais j'en étais presque frustré car je l'aurais gardée comme une relique. Lorsque nous eûmes batifolé un grand moment dans l'eau, il m'aida à remonter sur le bord et, soudain, pour faire rire la galerie, me prit le visage à deux mains et m'embrassa claironnement* sur les deux joues et le front. Des quolibets fusèrent, mais pas méchants, et tout le monde applaudit à la scène. Je décidai aussitôt de ne plus me laver ni les joues, ni le front, jusqu'à nouvel ordre, en plus de la main droite. Détendu et de bonne humeur d'avoir eu son effet, il me saisit amicalement par le bras en annonçant à la cantonade qu'il nous fallait nous changer si nous ne voulions pas attraper la crève de rester mouillés. Puis il m'entraîna dans sa chambre...

Mon cour battait à deux cents à l'heure, ma vue se brouillait et des frissons me prirent, mais qui n'étaient pas de froid. Lorsqu'il commença à se déshabiller, je ne pus l'imiter, tant j'étais paralysé de désir. Et lorsqu'il fut tout à fait nu devant moi, aucunement gêné puisque nous étions entre garçons, je pus à loisir contempler son anatomie et en imprégner mon cerveau d'une façon quasi photographique.
Etonné de ne pas me voir bouger, il se tourna vers moi. Voyant que j'étais cramoisi :
- Tu tiens à attraper la crève, de rester comme ça ? me dit-il.

Il s'approcha alors et entreprit de me déshabiller. Lorsqu'il en fut à mon pantalon, une brusque chaleur irradia mon bas-ventre et je ne pus m'empêcher de bander. L'écartant d'un geste, je mis une main devant ma braguette puis, faisant semblant de danser d'un pied sur l'autre, lui demandai où étaient les toilettes car j'avais une terrible envie de faire pipi. En rigolant, il ouvrit une porte qui donnait directement sur sa salle de bain personnelle (Quel luxe !) Je m'y engouffrai, baissai mon pantalon et mon slip à toute vitesse, et me masturbai fébrilement. La jouissance vint très vite des images que j'avais gravées dans mon cerveau et mon jet de sperme, qui n'avait jamais été aussi abondant, alla frapper l'abattant des w.-c. Lorsque je fus remis de mon émotion, je nettoyai les dégâts avec du papier-cul et réintégrai la chambre, complètement nu moi aussi. Il m'attendait, une serviette à la main, et me frictionna le dos et le torse énergiquement pour me réchauffer. Si je n'avais pas joui quelques instants plus tôt, je me serais certainement remis à bander, mais je pus me contenir et lui prendre la serviette des mains pour finir de me sécher moi-même, là où je rêvais la nuit que sa main me caressait...

Tout à coup, il éclata de rire.
- Tu sais que tu m'as bien eu, tout à l'heure, à la danse du tapis ? J'ai vraiment cru, au début, que tu voulais me rouler un patin !
- Et si c'était pour de vrai, qu'est-ce que t'aurais fait ? rétorquai-je sans réfléchir.
- T'es fou ? pas devant les filles !

Je restai coi, la bouche ouverte, avalant péniblement ma salive et me lançai courageusement.
- Ben... c'était pas pour de rire, y'a très longtemps que j'ai envie de t'embrasser !
- Il y a longtemps, aussi, que je m'en suis aperçu, figure-toi ! dit-il en riant. Si tu voyais tes yeux de merlan frit quand tu me regardes, ça te ferait vachement rigoler. Heureusement, personne d'autre que moi ne s'en est rendu compte, sinon ma réputation de dragueur serait foutue !

Il dit cela tout en avançant vers moi et lorsqu'il fut tout prêt, redevenu brusquement sérieux, il saisit mon visage à deux mains et posa ses lèvres sur les miennes. Je défaillis et il dut me soutenir pour ne pas que je m'écroule sur le tapis. Je me collai contre lui, les bras autour de sa taille, me soudant à lui passionnément. Lorsque je sentis sa langue sur mes lèvres, la tête me tourna de nouveau et j'ouvris tout grand la bouche pour l'y laisser pénétrer. Nos langues se caressèrent et j'avalai sa salive avec volupté. Je décidai, pour la troisième fois de la journée, de ne plus me laver les lèvres, les dents, ni la langue - quoique je ne me la lavais pas beaucoup auparavant - en plus des joues, du front et de la main droite. Tel que c'était parti, je n'aurais plus grand chose à laver, à l'avenir, à part peut-être mes doigts de pieds. Je bandais à nouveau et il dut certainement le sentir contre son ventre, mais continua son baiser, chaud et doux, beaucoup, beaucoup plus doux et chaud que dans mes rêves. Aussi, au bout d'un moment, je ne pus me contrôler et j'éjaculai contre lui. Il en eut une sorte de frisson puis, s'écartant lentement, me dit avec douceur, les yeux rieurs :
- Eh ben ! je ne pensais pas te faire autant d'effet, mon cher Thibaud ! Mais, je ne voudrais pas te donner de faux espoirs, car je préfère les filles, même si ça ne me dérange pas d'embrasser un garçon de temps en temps. Et je dois dire que tu embrasses très bien pour ton âge. Mais ça n'ira pas plus loin entre nous. J'en suis désolé pour toi, mon petit chéri, car je t'aime bien !
De tout ce qu'il venait de me dire, je n'avais retenu que : Mon..., Cher..., Thibaud..., - c'était la première fois qu'il prononçait mon prénom officiel - Embrasser un garçon..., Tu embrasses très bien..., Mon petit chéri..., Je t'aime...

Des larmes de bonheur me vinrent aux yeux puis, soudainement, le dernier mot, le mot fatidique, celui qui annulait tous les autres, arriva jusqu'à mon cerveau : - ...bien !

Je t'aime... bien ! Ce n'était pas : mal ? c'était : bien ! Mais ce BIEN me fit l'effet d'un coup de couteau en plein cour. Au moment où il avait posé ses lèvres sur les miennes, j'avais vécu mon premier bonheur d'amour et cinq minutes plus tard, le BIEN ! le transformait, soudainement, en premier chagrin d'amour.

Mes larmes de bonheur se muèrent en larmes de tristesse.
Voyant mon désarroi, il me prit le menton et, me donnant un rapide baiser sur la bouche, me dit :
- Ne sois pas triste, mon petit Thibaud ! Mignon comme tu es, tu trouveras certainement un autre garçon à aimer et qui t'aimera. Quant à moi, je resterai ton copain et cette soirée sera notre secret à tous les deux, je te le promets.

Puis, se saisissant de la serviette qui était restée à nos pieds, il s'essuya le ventre où j'avais laissé les traces de mon premier amour.

(Extraits de "Tronche de cake" à paraître en mai 2004 aux éditions Bénévent, à Nice)

Pat Achon

pat-achon@wanadoo.fr

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