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Agriculteur | S20 Payer mes dettes

6 | Redevable – Le récit de Julien.

Je me réveille de bonne heure. Lecourt ayant discrètement déserté le lit au cours de la nuit ainsi qu’à son habitude, je me lève sur la pointe des pieds pour ne pas tirer Jérôme de ses songes.

Je débarrasse la table de l’essentiel des reliefs de la veille, mets un café à couler puis je rejoins les écuries pour envoyer les pensionnaires au paddock. Je nettoie les boxes des crottins de la nuit, abondant les litières de paille fraîche et, d’un coup, Lecourt est à mes côtés, sa fourche en main. A deux, le travail avance vite ; je prends les mancherons de ma brouette pour passer au box suivant puis je reviens sur mes pas pour reprendre ma fourche.

Vif comme l’éclair, un bras s’est détendu me bousculant pour m’attirer vers une bouche qui me ventouse, m’étouffe, une langue impérieuse qui s’empare de la mienne à laquelle elle se noue ... c’est maintenant pour le plus souple et le plus voluptueux des nœuds, soutenu par nos souffles accordés ; deux corps ondulent et s’enroulent dans l’onde claire, dialoguent somptueusement, ralentissent, s’échappent et soudain filent dans le courant, puis se soudent en un interminable et asphyxiant frôlement presqu’immobile, une lente glissade vertigineuse.

Quand nos sourires se retrouvent face à face, mes yeux plongent dans les siens, à la recherche des traces de l’ombre qui les a envahis hier soir mais, sous ses sourcils, je ne vois que ses pupilles sombres étinceler, soulignées de fines griffures aux courbes plaisamment ironiques. A la supplique silencieuse que lui adresse mon regard, à l’interrogation muette que lui lance mon menton, il répond en m’opposant son sourire élargi, mais sibyllin.

Puis, il rompt en entourant mon cou de son bras, m’entraînant dans le mouvement, le retour au quotidien exigeant.

- « On termine vite fait ce travail et tu m’offres un café ? »

J’opine du chef et nous achevons de racler la litière souillée dans cette économie de gestes ajustés qui nous est commune. Je dois, une fois de plus, me contenter de sa pirouette qui me laisse sur ma faim. Hier, il a évoqué son âge mais, ces vingt ans qui nous séparent ont toujours paru un obstacle à ses yeux, pourtant je ... nous ... / je le vois aussi solide que nous étions alors, le temps ne me semble pas l’avoir entamé ; mais sans doute n’a-t-il plus le même urgence à retrouver ma peau contre la sienne, l’usure de la relation …

Le café, léger, a coulé pendant mon absence et je sors trois bols du buffet. Pas de sucre, personne n’en prend. Lecourt s’est déjà assis au bout de la table, comme à son habitude. Ma place est sur le côté, la plus pratique pour une personne qui vit seule et doit subvenir à son propre repas. Certains pourraient y voir une marque de ma sujétion, cette pensée m’amuse en mon for intérieur, je crois que Lecourt s’en défendrait avec force et moi je laisse aux naïfs cette lecture rudimentaire.

Mais cette étincelle dans mes yeux ne lui a pas échappée, il me sourit, replonge ses yeux dans son bol en hochant la tête.

- « J’aime bien le café clair de cette maison. »

D’un geste du poignet, il fait tourner le liquide dans la faïence avant de la porter à ses lèvres. C’est notre code, je ne réponds rien, je profite de ce silence paisible qui s’étire, où flottent nos présences bourrues.

Justement, voilà ce calme troublé par l’apparition de Jérôme. Il a enfilé un vaste tee-shirt, pas le sien d’ailleurs !- ébouriffe ses cheveux et avance à pas hésitants, encore tout ensommeillé, ses pieds nus claquant sur la tomette. Il approche dans le dos de Lecourt, il s’étire en soupirant, bombant le torse, la tête rejetée en arrière, écartant un bras puis l’autre, puis les deux en croix, inspirant bouche ouverte. Je me régale de voir ce beau mec s’ébrouer ainsi.

Lecourt s’est brusquement retourné ; son bras en arc fauche Jérôme aux hanches et le ramène rudement à lui, je vois l’articulation de ses phalanges fermement cramponnées à la crête iliaque en une solide prise. Dans le même temps, il s’allonge son bras libre sur la table jusqu’à s’emparer du troisième bol qu’il me tend, son regard m’invite à le remplir.

Mais trahit également tout autre chose !

Une tension monte soudain en moi et tandis que Jérôme, que Lecourt n’a toujours pas lâché, aspire à petites gorgées la boisson chaude qui le revigore, qu’il s’en pourlèche ingénument, les ponctuant de petits murmures appréciateurs, les yeux de Lecourt reviennent dans les miens.

Confirmer ce que j’y avais déjà lu.

Un défi.

Lecourt se retourne frontalement vers Jérôme qu’il entoure toujours de son bras. Il le regarde en contre plongée et moi je ne vois plus de lui que le profil d’une pommette alors je guette le moindre changement d’expression sur le visage du barbu.

Car la seconde main de Lecourt vient de se poser avec beaucoup de délicatesse non loin de la première, à plat sur le côté du shorty bleu, en grosse araignée velue.

- « Hier soir, les lampions de la fête se sont éteints prématurément à cause de moi ... »

Jérôme boit son café à petites lampées, relevant entre elles des yeux atones d’encore à demi endormi, comme si de rien n’était. La main de Lecourt progresse tranquillement sur la maille fine, vers le haut, la pointe de ses doigts disparaissant sous le tee-shirt quand, la nuque toujours cassée et le cou tendu, il reprend. Je m’étonne du calme de sa voix, de ce ton simplement habituel, atone.

- « et comme vous m’avez entouré de vos attentions avec beaucoup de dévouement ... »

Les doigts de Lecourt ont soulevé le tee-shirt, probablement se recourbent-ils en griffes. Sa main glisse maintenant vers le bas et Jérôme déglutit par dessus la faïence où se crispent ses deux mains, haussant le col, fermant les yeux, pressant ses paupières jusqu’à ce qu’elle ne dessinent plus qu’un trait, alors que le bas de son visage se fige, bouche entrouverte.

- « je me sens vous être quelque peu redevable ! »

Sitôt la large bande sombre apparue, débordant en-dessous du tee-shirt, la seconde main de Lecourt est venue prêter main forte à la première, allongeant l’élastique, abaissant le sous-vêtement afin qu’en jaillisse la jolie queue déjà au garde à vous et baveuse parmi son fouillis de poils blonds. Avançant les épaules, Lecourt la dissimule prestement à ma vue et la bouche de Jérôme laisse échapper une sèche expiration lui composant, avec ses paupières serrées et son auréole de cheveux bouclés, un air de martyr en extase.

Je bondis de ma chaise pour venir à leur secours, retirant le bol qui menace de se briser en glissant des mains de Jérôme dont l’une vient, tout aussitôt, s’écraser dans les courts cheveux d’un Lecourt en prière quand l’autre, à l’extrémité du bras qu’il a lancé en amarre autour de mon cou, pèse sur ma joue pour l’orienter vers ses lèvres entrouvertes qui laissent échapper une faible plainte.

Secouriste dans l’âme, j’engage sans plus attendre le bouche à bouche indispensable, celui qui permettra au naufragé de résister au léger balancement que lui imprime Lecourt quand mes mains s’attachent à délivrer son cul d’un linge de corps étiré en garrot contraignant, mes paumes revenant se fixer ensuite sur ses globes au poil rêche qui se contractent sporadiquement.

Elles en sont chassées par l’irruption conquérantes de celles de Lecourt.

Audacieux comme un trapéziste en plein envol, le cœur gonflé de la confiance totale qu’il sait pouvoir accorder à son partenaire, je lâche ma prise et m’élance alors au-dessus du vide ; ma vie ne tient alors que suspendue par l’adhérence de nos lèvres et l’enchevêtrement de nos langues.

Les doigts agiles de mes mains ainsi libérées œuvrent à me délivrer d’une cotte devenue complètement inadaptée depuis que mon rostre s’y écrase et la soulève façon piquet de tente ; j’ouvre le zip, l’une après l’autre, j’en dégage mes épaules, je frétille et lorsque, enfin, je foule aux pieds ces frusques qui m’encombraient, ma bite tendue vient généreusement baptiser les alentours, heurte une brosse avant d’être happée. Des lèvres l’enserrent et elle est engloutie dans la plus délicieuse, la plus experte, la plus fraîche des bouches. Je suffoque.

Jérôme tente alors un acrobatique retournement ; arrachant son tee-shirt au passage, il retombe, cassé en deux, les bras autour de mon cou tandis que ses fesses échouent dans la corbeille des mains de Lecourt qui, aussitôt, délaisse mon sceptre pour les dévorer.

Jérôme relève vers les miens des yeux éplorés mais de cette rencontre jaillit un arc électrique, ou est-ce l’aiguillon de la pince de mes doigts qui se referme sur ses tétons ? De nos quatre mains, deux saisissent Lecourt et le redressent quand les deux autres déboutonnent, débouclent, dézippent, quand nos bouches se disputent avidement la sienne dans une étourdissante agitation brouillonne.

Après un échange de regard, Jérôme s'accroupit et Lecourt tourne ses yeux étincelants dans les miens, un spasme les trouble un instant au terme de quoi il me tend ses lèvres alors que je l'ai extirpé de son marcel, retrouvant dans ce baiser le goût de ceux de mon fringant patron déchaîné.

Lecourt a ouvert ses deux bras en corbeille, l'un enserre le brun, l'autre le blond. Il nous contemple alternativement, lui le barbu et moi le glabre, nous souriant en jubilant à nouveau, nous piquant tour à tour le nez d'un bisou.

Sans un mot mais résolus, nous avançons de concert vers la chambre.

* "Quoi qu’il advienne / Restons amants / Restons amants des impatiences / Des minutes qui sont comptées / Des trésors de ruse et de science / Pour se retrouver / Restons amants"

Amical72

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