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HISTOIRE

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Premier épisode | Épisode précédent

Hommes de Loi -22

Jeu

"Je n'ai toujours pas osé recruter un remplaçant. Je ne veux pas le remplacer.

- Je comprends Isabelle... Vous le savez bien...

- J'en profite pour m'excuser. Mes paroles ont été plus vite que mes pensées lorsque je me suis emportée contre Samuel. Je n'aurais jamais du parler d'une telle chose, devant vous, évidemment.

- Passons. Je m'inquiète davantage pour vous. Je savais que vous étiez affectée. Mais pas à ce point.

- Je suis devenue insomniaque. Dès que je ferme l'oeil, il est là, à me regarder quand je lui ai demandé d'aller dans mon bureau. J'ai l'impression d'avoir été son bourreau, que je suis responsable.

- Les responsables seront bientôt dans nos salles d'interrogatoire. Et nous ne les lâcherons pas, je vous le promets.

- J'attendrai mille ans s'il le faut".

Son regard est aussi noir qu'il y a des années quand je venais de lui rapporter les cas de harcèlement dont j'avais été le sujet. À l'époque, je m'en voulais. Je pensais que j'étais responsable. À l'époque, je pensais que tout était ma faute. Après tout, c'était moi le gay, le différent. Il faut vraiment être désorienté pour penser ça. Ce qui me fait immédiatement penser à Adrian. J'ai une dette envers ce garçon.

La porte s'ouvre enfin devant nous, alors que Samuel me fait un signe de la main, comme si nous ne devions pas l'attendre. Une femme nous ouvre, aux antipodes d'Isabelle. Les cheveux courts, mais blonds, un style résolument jeune, qui lui va à merveille. Un immense sourire aux lèvres, elle se présente. Elle n'est autre que la directrice de l'école. Isabelle ne peut cacher son plaisir qu'une femme soit aux manettes de l'institution. La directrice plaisante alors :

"Vous savez, la plupart du temps, lors des réunions des responsables d'écoles comme la nôtre, mes collègues pensent que je représente les étudiants. Dans ma tête, j'ai 25 ans, je suis comme mes étudiants.

- Et vous n'avez pas de problème d'autorité, sauf mon respect ? se risque Isabelle.

- Parler d'égal à égal à de futurs ingénieurs, c'est finalement les tirer de leur confort. Beaucoup d'entre eux aiment recevoir des devoirs, des missions, des ordres à effectuer. Finalement, en rompant cette relation hiérarchique, c'est déjà un travail sur eux que nous faisons. Qui plaît à tout le monde : à leurs proches, mais aussi à leurs recruteurs.

- C'est une philosophie intéressante... confiai-je.

- Et opérationnelle ! Le risque étant que la confiance qui se développe rapidement chez nous conduise à des drames. Et c'est pour cette raison que j'ai déposé plainte.

- Finalement, Madame la directrice, que savez-vous ?

- Chaque année, les nouveaux étudiants sont accueillis lors d'un week-end d'intégration qui se déroule loin des murs. Ce sont les anciens étudiants qui organisent, grâce à leur association, le transport, le logement et surtout l'alcool.

- C'est là que tout dérape en général... soupire Isabelle.

- D'après la jeune fille qui est venue se plaindre à moi, pas exactement. Dans l'après-midi, bien avant que l'alcool ne soit de la partie, les deuxièmes années ont proposé une série de jeux, auxquels ils ne devaient pas se soustraire au risque que des gages ne leur soient donnés. C'est alors que garçons et filles sont mis dans des situations humiliantes, parfois nus. Des surnoms fusent, des rumeurs circulent, des actes sont forcés. Aucun viol selon elle, ni agression sexuelle. Mais des actes mimés, des paroles, des imaginations. Puis, effectivement, le soir, de plus en plus d'alcool. Il n'y avait pas d'eau. Ils leur faisaient croire que c'en était. Bref, une horreur. C'est alors que cette étudiante a été forcée à lire un discours qu'ils avaient écrits, remplis de perversités. Le tout filmé bien entendu."

La voix de la directrice, au fil de son récit, devenait de plus en plus grave et de moins en moins assurée, émue qu'un si macabre déroulé ait pu avoir lieu. Notre enjeu était de coincer un des persécuteurs puis d'essayer de remonter la filière. Et ce sans jamais que les victimes ne soient associées, au risque des représailles. Finalement, lutter contre le banditisme n'est pas plus compliqué...

En sortant du bureau, Samuel est là, tout sourire. Il ne dit rien, mais me fait signe de regarder mon portable. J'avais un SMS de sa part.

Un étudiant d'ici voulait découvrir la police technique. Il m'a posé des questions, et moi aussi par la même occasion. Il m'a montré des vidéos du week-end. On ne voit évidemment pas le bizutage, mais en arrière-plan d'une, il y a un jeune qui a sur son torse "Je suis la p*te de Diego". On a une sacrée piste.

Aussitôt, je rentre de nouveau dans le bureau et demande :

"Madame, vous pouvez nous dire si vous avez des Diego dans vos promotions ?

- Je peux regarder immédiatement si vous le voulez.

- S'il vous plait, dis-je alors qu'Isabelle me regardait d'un oeil suspicieux.

- Deux Diego. Un en première année et un en deuxième.

- Parfait, s'écrit Samuel qui était rentré, il faut qu'on interroge celui de deuxième année !

- Voici leur emploi du temps, nous dit la directrice en tendant deux feuilles, ils sont en pause, vous devriez les trouver sous l'atrium".

Samuel fonce, interroge quelques jeunes assis et trouve ledit Diego, qui ne fait aucune résistance pour aller au commissariat. Si c'est lui, il sait qu'il risque gros en nous échappant. En regardant la vidéo de nouveau, que Samuel avait réussi à soutirer à l'étudiant, je constate que les membres de l'association ont un bandeau sur le bras. Pour se reconnaître entre bourreaux sans doute.

De mon côté, je viens de trouver le second Diego, qui sortait des toilettes. Nous aurions peut-être besoin de son témoignage. Surtout, je n'aime pas laisser des pistes inexplorées. Samuel me semble trop enthousiaste. J'ai été à la place des harcelés, et je me souviendrai toujours que les évidences sont trompeuses.

Chacun avec un témoin dans nos voitures, nous nous dirigeons vers le commissariat, en prenant soin qu'aucun des deux ne se croise. La directrice, de son côté, nous rejoint avec la victime, discrètement. Tout se passe comme prévu. Sauf quand Isabelle se met à me questionner sur Clément, alors même que le plus jeune de nos témoins est derrière moi. Je ne suis pas pudique, mais, après tout, ce ne sont pas ses affaires. Je réponds succinctement et accélère pour que nous arrivions.

Les Diego sont placés dans les salles d'interrogatoire les plus confortables qui sont aussi, d'ailleurs, celles pourvues de vitres teintées, nous permettant d'observer paisiblement. Samuel se débrouille bien :

"Tu étais au WEI ?

- Au quoi ? répond Diego.

- Ne te moque pas de moi. Est-ce que tu as participé à l'intégration des nouveaux ?

- Ouais, pourquoi ? J'étais déchiré.

- Et tu es membre de l'association toi ?

- Oui, c'est moi qui m'occupe des adhésions.

- Ce ne doit pas être très compliqué de les obtenir.

- C'est clair ! Il y a même un 1ère année qui voulait que je l'inscrive avec nous comme il avait redoublé. Je l'ai envoyé se faire voir et il n'a pas apprécié.

- Tu peux nous raconter ce qu'il s'est passé le samedi après-midi ?

- On a fait quelques jeux pour qu'ils se connaissent bien. Puis moi je suis allé sur la plage avec une des filles pour... enfin voilà quoi.

- Tu nous donneras son nom.

- Je suis en couple moi, je veux pas que ça se sache ! s'énerve Diego.

- Fallait y réfléchir avant. Donne son nom ou on te colle en garde à vue.

- Okay... dit-il en écrivant ses coordonnées.

- Et le soir ? Vous êtes quand même pas restés tout le temps ensemble ?

- J'étais mort, laisse tomber".

J'ai cru que Samuel allait s'emporter face à ce tutoiement. Il sort en trombe.

"Ca tient pas une seconde son truc, j'y crois pas. Et la fille va le couvrir. Coucher avec un 2ème année, c'est génial...

- On se passera de ce genre de commentaires" siffle la procureure.

Malgré tout, j'y crois. Je crois Diego. Son regard en imaginant que sa copine ne l'apprenne ne trompe pas. Il a peur. Je me tourne vers Isabelle et lui demande si l'étudiante peut nous rejoindre. Malheureusement, elle ne reconnaît pas ce Diego. Si, bien sûr, elle lui avait payé le prix de l'intégration. Mais rien durant le week-end. J'essaie de forcer sa mémoire en lui demandant si la personne qui lui avait tendu le discours portait un bandeau. Nous pourrions savoir s'il était de l'association ainsi. Surprise, elle nous assure que non.

Samuel, perplexe, lui demande comment elle peut se souvenir qu'il n'avait pas de bandeau alors qu'elle ne parvenait même pas à savoir qui lui avait parlé ce soir-là. Apparemment, un mec de 1ère année avait quasiment tabassé un membre de l'association pour récupérer un bandeau, d'après les rumeurs. Mais il n'avait pas réussi. La couleur fluo n'échappait pas à sa conscience, malgré l'alcool, stimulée par le divertissement provoqué par la bagarre.

Tout s'éclaire. On le tient. Samuel me regarde, comprenant que j'avais une piste. "Le bandeau, c'est la clef" dis-je. Samuel sourit, fier, et nous rejoignons le plus jeune Diego.

"Diego, dis-nous, te souviens-tu de samedi ? demandai-je.

- Evidemment ! Je tiens l'alcool moi, j'ai plus 18 ans. Pas comme ces puceaux.

- Ah oui ? souris-je narquoisement.

- Ouais, j'ai 20 ans. J'ai redoublé cette année, mais c'est pas grave, ça fait plus de soirées, dit-il insolemment.

- Et tu as donc vu tout ce qui s'est passé, notamment le discours de ta camarade ? interroge Samuel.

- Y a pas eu de discours... N'importe quoi.

- Arrête de déconner, elle est là, elle nous l'a dit, hurle Samuel. Et merde. Merci Samuel...

- Ben je m'en souviens pas. Ils nous ont foutu au sol des fois. Les salauds, s'agace Diego.

- Tu peux témoigner contre eux si tu veux. Vos témoignages nous aideront, continue Samuel.

- Pour que je sois le cafteur. Jamais.

- Arrête, joue pas Diego. Elle se souvient de toi, dis-je, alors qu'il devient blême : intéressante réaction.

- Oui, elle nous a dit que tu l'as draguée. Elle t'a repoussée. C'est pour ça que tu veux pas l'aider, renchérit Samuel

- Ca m'étonnerait, ch'ui comme vous, gay !" lance Diego en me regardant.

Je sors de la salle, le laissant seul avec Samuel. "Tu fais chier Samuel" hurlai-je. Isabelle me regarde, désespérée. Nous n'avons rien selon elle, une victime qui ne se souvient pas et un témoin conscient qui refuse de parler. Moi, j'y vois clair. Je change de plan, j'oublie le bandeau. Je lui parle à l'oreille. Elle rigole, et me lance : "je vous fais confiance". Elle fonce dans la salle, je la suis, et lance en claquant la porte, pendant que j'éteins les caméras : "Alors, tu es gay Diego ?".

Elle commence à se rapprocher de lui, comme pour le toucher. Il ne dit rien. Elle se penche contre lui, suggestive. Je vois bien qu'il a du mal à résister. Il mime un pseudo-dégoût, mais ça ne prend pas avec moi. "Laissez, il est comme moi, alors il est à moi..." déclamai-je. Diego se raidit, me regardant dans les yeux. Je m'approche, et alors que je passe, sous la table, ma main sur la chaise comme pour remonter contre lui, c'est moi qu'il regarde, avec frayeur et, je l'espère, dégoût. Ma main est sur sa chaise, entre ses jambes écartées, prête à bondir. "Imagine ce que nous allons pouvoir faire quand ils seront partis, la lumière éteinte".

"Nonnn, pas vous ! Ne le laissez pas me toucher ! Il va me violer ! Je veux pas ! Je vais tout vous dire".

Il hurle en courant vers la porte. Isabelle se met devant. Le regardant dans les yeux.

Bienvenue en enfer.

JulienW

jw04@gmx.fr

Suite de l'histoire

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