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Chapitre -11
Une bonne nuit de sommeil m'est nécessaire pour me remettre de la fatigue de la semaine et des ardeurs de mon mec. C'est tout bonnement que je planifie dans la foulée une matinée paresseuse, pendant laquelle je pense profiter de mon chéri, j'aime bien le chouchouter, il est trop craquant quand il se réveille et s'étire comme un chat mais Rémi, encore lui, en a décidé autrement...
C'est dès 7 heures du matin que la sonnette actionnée furieusement nous réveille. On décide tout d'abord d'ignorer le signal tout en maugréant et en maudissant le plaisantin à l'humour critiquable qui nous casse les oreilles.
Après quelques minutes d'appels insistants il faut bien se lever car on sonne à la porte de l'appart maintenant : quelqu'un a dû déverrouiller la porte d'accès à l'immeuble. Qu'elle n'est pas ma surprise en jetant un oeil dans le judas de découvrir Rémi, apparemment tout bouleversé qui frappe à la porte de notre appartement. A moitié dans le gaz encore, je ne réalise pas tout de suite que je suis encore à poil quand je lui ouvre la porte ; il me scanne du haut en bas puis du bas en haut
- Est-ce que Charles est là s'il vous plait ? me demande-t-il.
- Oui, mais qu'est qui vous arrive ? Vous êtes bien la dernière personne que je m'attendais à voir ici !
Devant son visage rougi et ravagé, je n'ose lui fermer la porte au nez et le fait entrer dans l'appartement. Charles sort justement de la chambre pour venir aux nouvelles, dans une tenue en tout point semblable à la mienne ! Il découvre son copain abattu, alors il s'avance vers lui et le questionne :
- ben qu'est-ce qui t'arrive ? Je pensais que tu t'étais juré de ne jamais mettre les pieds ici et tu nous tires du lit à 7 heures du mat ?
- Vous êtes bien raccord tous les deux... C'est mon père. Il s'est tiré. Il va vivre avec une meuf de 20 ans de moins que lui ! Alors vous, vous pouvez bien coucher ensemble, je m'en fiche. Au moins vous êtes de la même génération et vous ne risquer pas d'abandonner vos enfants quand vous vous séparerez.
Bon ! Sa position a évolué, je ne suis plus un vieillard ... Sa confiance en notre relation est encore limitée cependant. Je décide de m'éclipser pour passer au moins un peignoir : je ne veux pas m'exhiber plus longtemps. Une fois la sortie de bain enfilée, je vais à la cuisine faire du café. Leur conversation se poursuit sans moi, mais j'entends tout, le T2 est toujours aussi petit.
_ Je suis désolé pour toi, mec, dit Charles.
Remi lui déballe son mal être d'une seule traite, ses mots fusent comme sortis d'une kalachnikov.
_ Fallait que je sorte de chez moi, tu comprends ? Je te dis pas l'ambiance ! Ma mère est effondrée, ma soeur qui passe son concours d'infirmière dans quelques jours est laminée. Mon petit frère est prostré. Ce salaud veut divorcer, vendre la maison. Il garde la voiture, le SUV tout neuf. Il a déjà démissionné du poste de trésorier de mon club de sport. Il a tout manigancé à l'avance. Il m'a même dit que je pouvais me passer de lui désormais. Je suis assez grand. On va devoir déménager. J'ai les boules. Fallait que je prenne l'air, j'ai marché et mes pas m'ont conduits ici, où je t'ai souvent attendu quand tu devais monter chercher un truc. Alors j'ai sonné. Un vieux sortait son chien. Je suis monté. Je n'ai pas vraiment calculé l'heure.
_ T'as défoncé la sonnette tu veux dire je crois bien que tu as réveillé tout l'immeuble. On va se prendre des réflexions, c'est sûr.
_ Désolé. Je vois que je vous dérange. Vous étiez en train de...
_ T'occupes ! Le coupe Charles. Assieds-toi dans le canapé, pendant que je passe quelque chose, tu m'as refroidi.
Charles quitte la salle, alors que je viens avec trois tasses de café bien serré.
_ Tenez Rémi, je crois qu'un café ne vous fera pas de mal.
_ Merci Monsieur.
_ Ici, vous pouvez lâcher le monsieur, c'est pas le prof que vous êtes venu tirer du lit, non ?
_ ...
Il ne répond rien. Ses que ses mains se réchauffent autour de la tasse et qu'il s'abîme dans ses pensées. Sa mine s'assombrit pendant que l'on s'observe en chiens de faïence. Je ne sais quoi lui dire, je peux entendre son désarroi, mais je ne suis pas vraiment son pote. Certes il est chez moi, mais c'est surtout chez Charles qu'il est venu. Ce chez nous, il l'a toujours rejeté. Pour me donner une contenance, je sirote mon café et je pense qu'il me faut les laisser discuter seuls. Charles, qui est revenu vite, prend un café également, je lui fais un signe que je croyais discret et fait mine de quitter la pièce. Rémi intercepte nos échanges et me lance alors. :
_ Merci monsieur, oh pardon... mais ne vous croyez pas obligé de partir, vous êtes chez vous et puis je crois bien que ...
Il ne finit pas sa phrase et éclate en ce qui ressemble à des sanglots silencieux. C'est manifestement le signe d'une grande détresse. Charles s'assied à ses côtés et l'enlace pour le réconforter, la tête de son ami vient se nicher au creux de son épaule. Ca me fait tout bizarre de le voir aussi proche d'un autre homme. Les confessions passées de Charles me reviennent soudainement à l'esprit. Je ne peux m'empêcher d'avoir à l'esprit les images insoutenables de peaux dévoilées, de caresses données, de corps imbriqués, de fluides échangés. C'est comme un coup de poing en plein ventre. Le café ne passe pas, il me reste sur l'estomac. C'est clair : je suis parano, ou jaloux ou même les deux à la fois. Il me faut fuir cette scène insupportable. Si je ne me retenais pas, je le mettrais à la porte toute de suite. Pourquoi l'ai-je laissé entrer ?
Je quitte la pièce, je souffre trop et ça finira par se voir. Je me raisonne, je me sermonne, rien n'y fait : j'angoisse. Alors je reviens remplir les tasses, il faut les garder à l'oeil ces deux là, les contrôler, c'est vital, c'est viral. Je me contrains quand même à aller m'isoler dans la salle d'eau où je renvoie mon café. J'opte finalement pour une douche bien chaude. J'espère y laver ces sentiments qui manquent de noblesse ! Rien n'y fait. Je sors et vais dans la chambre pour m'habiller, bien résolu à le mettre à la porte ! Mais quand je reviens il s'apprête à partir de lui même.
_ Merci Mons... enfin merci de m'avoir ouvert la porte quoi, me dit-il avec un pâle sourire.
Avant même que je ne puisse répondre Charles lance :
_ Rémi attends, je viens avec toi.
Charles enfile son blouson.
Charles sort avec Rémi
Charles claque la porte.
Charles est parti...avec Rémi
Je me mets à tourner en rond, des mouvements impulsifs sans véritable but. Je compose son numéro dix fois et je renonce dix fois. J'écris des textos que je n'envoie pas. Le temps a perdu sa fluidité, il finit par s'arrêter. J'attends, je panique, j'ai mal. Quand je regarde ma montre, trois heures ont passé, comme en en trois minutes. Je me force à me dire que tout va bien. Mais je continue à psychoter, je me persuade qu'il ne reviendra pas. Une amie m'explique souvent que je ne suis pas ascendant balance pour rien. Moi, un scientifique, donner du crédit à ce genre d'argument !
A 11h 30 je reçois un message lapidaire " mange avec Rémi - m'attends pas ". Même pas un coup de fil... C'est sûr, c'est un signe. Je ne mange rien. Pas le coeur à préparer. Impossible d'avaler.
Je me lance furieusement pour tromper mes doutes dans le ménage, le repassage, la lessive. Je n'arrive pas m'approcher du bureau où m'attendent des copies.
La lessive... Je plonge le visage dans un de ses T-shirts. J'y retrouve son parfum. Tout de suite il revient, il est là, à mes côtés et je respire mieux. J'ai tué son absence. Je m'enfonce dans un fauteuil et me délecte de son odeur. Je suis dépendant. C'est sûr. Et si ma jalousie gâchait tout ? Comment me sortir du cercle infernal où je me suis piégé ?
Et puis d'un coup, ses clés tintent dans l'entrée. En un instant il est là, je l'entends, je le vois, je le sens, il me souris, je revis.
_ Ca va me demande-t-il ? Qu'est-ce que tu fais ?
_ Rien, je me repose après les tâches ménagères. Je lui mens. Je me mens. Je suis lâche.
_ J'ai écouté Rémi longtemps. Il en avait besoin. Il commence à avaler la pilule, enfin je crois. Mais elle sera longue à digérer. Son père a toujours été très présent pour lui. C'est une trahison, une déchirure, le pire c'est les mensonges. Je lui ai dit qu'au moins son père était toujours vivant, plus loin peut être pour un temps mais vivant. Je l'ai ensuite accompagné jusque chez sa mère.
Sa figure s'assombrit soudain.
_ Julien, j'ai quelque chose à te dire. Je pense que ça ne sera pas facile pour toi.
Le ciel me tombe sur la tête, le sol s'ouvre sous mon poids. On y est : Charles me quitte. J'arrive juste à marmonner :
_ Dis toujours.
_ On doit bosser un exposé pour la philo. Comme c'est difficile en ce moment chez lui, j'ai dit à Rémi de venir ici avec Amandine mercredi après-midi.
Le sol se raffermit alors que mon ciel s'éclaircit :
_ C'est qui Amandine ?
_ Ben tu sais bien la petite brune dans la classe, c'est sa meuf maintenant. Rémi m'a dit qu'elle est en visite dans de la famille tout ce week-end. Elle revient demain soir. Ca va l'aider de la retrouver.
_ C'est quoi le sujet de ton exposé ?
_ La passion. Pas facile.
Kawiteau
Autres histoires de l'auteur : Jean | Charles et Julien