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Mâle Alpha

Chapitre-1

J’ai plus de 40 ans et je suis ce qu’on appelle communément un mâle dominant.

Bien que pas très grand, mais solidement bâti, j’en impose naturellement à mon entourage car je n’ai pas peur de grand-chose. Les femmes en général me regardent avec envie, certaines essaient de me prendre dans leurs filets mais je les envoie vite promener.

Moi, mon terrain de chasse, c’est les mecs, surtout les mecs qui ne savent pas encore que je vais les baiser, ceux qui n’ont aucune idée de ce qui les attend. Les fils à papa bien friqués, les petits minets bien serrés dans leur jean moulant, les vrais ou les faux intellos, les bobos, les prolos, les gars bien virils qui jurent qu’ils ne coucheront jamais avec un autre homme. Je les repère de loin, les timides, les couillus, les mariés, les soi-disant fidèles, les poilus, les imberbes, rien ne me fait peur. Aucune discrimination de race ou de couleur, j’ai la baise démocratique.

En ce matin de novembre, il y avait longtemps que les cèpes avaient déserté les forêts et que les raisins n’étaient plus de mise sur les tables girondines.

J’avais pris le tram au niveau de l’hôpital Pellegrin et je m’apprêtais à aller visiter la maison d’un client même si le client m’intéressait davantage que sa misérable bicoque. J’étais perdu dans mes pensées quand je vis ce que je pris d’abord pour une apparition.

Je n’en croyais pas mes yeux. Une splendide beauté astrale d’une vingtaine d’années, peut-être un peu plus, venait de monter dans le même compartiment que moi.

Plutôt grand et mince, un regard un brin malicieux, les cheveux foncés tirés par un catogan du plus bel effet, les traits fins mais virils, le corps moulé dans une sorte de pull noir hyper sexy qui laissait deviner ses pectoraux étincelants, un pantalon anthracite joliment taillé, le tout recouvert d’un long manteau vert amande, léger et gracieux comme s’il avait voulu dissimuler les ailes accrochées à son dos.

Je ne me lassais pas de détailler ce mannequin dont on n’aurait même pas eu besoin de retoucher la photo s’il avait été destiné à un magazine.

Aussitôt, tous mes sens furent mis en éveil, mes narines trémoussèrent, une violente excitation me prit comme un tourment diabolique. J’activai à la vitesse grand V mon répertoire intérieur pour déterminer la meilleure stratégie possible pour l’aborder. Il ne s’agissait pas de faire peur à ce bel oiseau.

Pour le moment, il était bien tranquille, debout devant la vitre. Il installait ses écouteurs, indifférent semble-t-il, à l’émoi qu’il avait suscité autour de lui.

En effet, d’autres yeux que les miens s’étaient posés sur cet extra-terrestre. Des jeunes filles avaient commencé à glousser, certaines ondulaient maintenant de leurs fesses ou roucoulaient à qui mieux mieux, cherchant à attirer son attention. Non loin de moi, une femme très distinguée, attrapa ses lunettes et frotta les verres avec frénésie pour mieux profiter de cette gravure de mode.

Un homme, dans la cinquantaine, style cadre d’entreprise, s’approcha et se mit à le reluquer effrontément. Un autre type, un peu plus âgé, une sorte de vieux sanglier de Dordogne, tenta lui aussi sa chance, sans succès. Il lui proposa même quelques billets mais le jeune éphèbe ne le calcula même pas. Puis ce fut le tour d’une fille un peu plus hardie que ses copines qui se présenta et lui demanda un renseignement quelconque, juste avant de laisser opportunément tomber son sac à ses pieds. Elle se baissa en prenant soin de bien faire valoir son décolleté pendant qu’elle ramassait les objets éparpillés sur le sol. Mais notre Apollon lui tourna carrément le dos. Il semblait maintenant absorbé par le paysage pourtant inexistant de la ville encore un peu embrumée.

A un moment, il retira son manteau pour le mettre sur son bras, ce qui permit de découvrir son fessier. Ah ! Mes aïeux ! Quel arrière-train ! A faire damner un saint !

C’en était trop ! Le chasseur que j’étais, n’allait pas rester inerte plus longtemps et il était hors de question que j’échoue. D’un geste impérial, je fis signe aux quelques aventuriers imprudents de dégager la piste et de laisser faire le professionnel. Je me collai donc ostensiblement à ma proie et lui demandai d’une voix ferme et un brin autoritaire :

-Où vas-tu comme ça, petit ?

Le terme « petit » était quelque peu osé car le garçon faisait bien deux têtes de plus que moi.

Il daigna se tourner lentement vers moi, retira ses écouteurs et me fit presque négligemment :

-On se connaît ?

-Tu n’as pas répondu à ma question, mon garçon, je t’ai demandé où est-ce que t’allais ?

- ça vous regarde ?

Le playboy se la jouait rebelle mais il en fallait un peu plus pour me décourager. Je revins à la charge.

-Peut-être que l’on va au même endroit.

-J’en doute, me répondit-il, de sa plus belle moue.

-C’est quoi ton prénom ?

-Je n’aime pas qu’on me pose des questions, s’agaça t-il.

-Et moi je n’aime pas qu’on n’y réponde pas ! Je t’ai demandé comment tu t’appelais !

-Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

L’opération drague s’engageait mal et il était en train de m’échapper. Allais-je subir le premier revers de la semaine ?

-Je pose des questions parce que je suis de la police, tentai-je.

J’avais remarqué que ce genre de réplique faisait parfois son petit effet.

Mais ma cible ne se démonta pas.

-Vous avez une carte ?

-Les questions, c’est moi qui les pose. Tu ne veux vraiment pas me dire ton prénom ? insistai-je.

-… Mathéo, finit-il par lâcher dans un soupir, espérant sans doute qu’il allait se débarrasser de moi en me jetant ce minable petit os en pâture. D’ailleurs, il s’apprêtait déjà à remettre ses écouteurs. Je l’en empêchai et lui mis la main sur l’épaule.

-Enchanté, moi c’est Sam. Alors, voilà, ce qu’on va faire, Mathéo, tu vas venir avec moi et on va discuter autour d’un verre, le temps de faire connaissance et puis…

- Non !

- Pourquoi non ?

-J’ai autre chose à faire.

- Ah ! Mais moi aussi, j’ai autre chose à faire. Je suis même très occupé mais on peut quand même se poser et aller bavarder dans un café, non ? lui lançai-je en haussant un peu le ton.

Il regarda à droite et à gauche autour de lui, un peu gêné.

-ça vous ennuierait de parler moins fort ? me sermonna- t-il. Les gens n’ont pas besoin d’entendre ce que vous avez à me dire !

-Raison de plus pour descendre à la prochaine.

Il soupira.

- J’ai horreur que l’on se donne en spectacle. La discrétion, vous ne connaissez pas ?

-Ah ! Parce que toi, tu connais, peut-être ? Dis-moi ce qu’il y a de discret chez toi ! On ne voit que toi, ici, on ne remarque que toi !

-Mais je ne fais rien pour attirer l’attention, nuance !

- Oh ! Mais je te rassure, tu n’as pas besoin de faire quoi que ce soit.

Le jeune soupira une nouvelle fois.

- S’il vous plaît, cassez-vous. Je n’irai nulle part avec vous, de toute façon.

- Pourquoi ? Je suis trop vieux pour toi, c’est ça ?

-Parce que je n’ai rien à vous dire et qu’en général, je n’aime pas du tout parler. Voilà pourquoi.

-C’est pas un problème, si tu veux passer directement aux choses sérieuses, ça me va aussi.

-Non, mais vous êtes lourd, là ! Qui vous dit que suis homo, d’abord ?

-Si tu ne l’es pas, aucun souci, tu vas le devenir. Je sais parfaitement bien m’occuper des gars dans ton genre.

-Ah ! Oui ? Et c’est quoi, mon genre ?

-Le genre de mec qui prend beaucoup de risques en exposant sa marchandise dans un lieu public. Et crois-moi, il y a des gens bien moins sympas que moi qui pourraient te régler ton compte vite fait!

-Je sais me défendre.

-Je n’en doute pas. Alors, on va le boire ce pot ?

-Ecoutez, cher monsieur, pour la dernière fois…

-Sam, je m’appelle Sam.

-Ok Sam, au cas où vous n’auriez pas compris, vous ne m’intéressez pas du tout. Je n’aime pas les hommes plus petits que moi.

-Tout n’est pas petit chez moi.

- Et prétentieux avec ça !

-J’essayais juste de plaisanter un peu mais je vois que tu n’as pas trop le sens de…Zut !

-Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? s’alarma soudain Mathéo en voyant mon visage soudain décomposé. Des contrôleurs ?

-Non, pire, le gars, là-bas !

Je lui fis signe en direction d’un mec, genre géant des Carpates, peut-être métis ou issu d’une lointaine tribu nordique, difficile à dire. Mais il avait le visage raviné, les yeux injectés de sang, de longs cheveux noirs épais, une barbe mal taillée, et il semblait avoir traversé plusieurs vies. Il était vêtu d’un sweat kaki avec une capuche usée jusqu’au dernier centimètre. Il dégageait autour de lui quelque chose d’à la fois maléfique et de terriblement bestial. Aussi les gens s’écartaient-ils sur son passage comme s’ils avaient été soudain traversés par un souffle glacé. L’homme semblait chercher quelqu’un du regard et passait au rayon olfactif chaque parcelle de la rame.

-Tu le connais ? me demanda Mathéo, un peu fébrile.

Il était passé subitement du vouvoiement au tutoiement.

-Non, mais je sais qu’il est là pour toi.

-Pour moi ? Comment ça ? Qui est-ce ?

-C’est un mâle Alpha.

-Hein ?

-Un mâle supérieur si tu préfères et celui-là, il doit avoir au moins deux siècles.

-Deux siècles ? Arrête ! Tu me fais marcher !

-Je te promets que non.

-Et qu’est-ce qu’il me veut, d’après toi ?

-Te baiser.

-Oui, comme tout le monde.

-Non, pas comme tout le monde, justement. A mon avis, lui, il t’a flairé depuis un bon moment et…

- Tu en parles comme s’il s’agissait d’un animal. Il est dangereux ?

-Pas si tu fais tout ce qu’il te dit.

-Mais comment tu sais tout ça, si tu ne le connais pas ?

Pour gagner un peu de temps, je l’entraînais vers l’arrière de la rame.

-Ecoute, c’est une longue histoire mais j’ai un sixième sens qui m’avertit de la présence des êtres comme lui. Ils ne sont que quelques centaines en Europe et plusieurs milliers sur la planète. On raconte qu’ils viennent de l’Atlantide et sont aussi à l’aise sur l’eau que sur terre. Non seulement, ils connaissent plusieurs langues mais ils s’adaptent très facilement, dorment très peu et surtout, ils ont des pouvoirs phénoménaux. Entre autres, ils possèdent un odorat surpuissant. Ce sont des machines à baiser, ils sont affûtés pour ça, ils ne savent faire que ça.

-Mais ce n’est pas possible !

-Je te dis la vérité. Le mâle Alpha a besoin de baiser plusieurs fois par jour pour se régénérer, c’est quasiment vital, alors autant te dire qu’avec lui, y a pas de romantisme, pas question d’aller siroter une limonade à la terrasse d’un bistrot. Quant aux préliminaires, tu oublies. C’est un prédateur, tu comprends ? Un prédateur !

-Je peux peut-être lui échapper, fit-il de plus en plus inquiet.

-Non, c’est trop tard, il a repéré ton odeur, il ne te lâchera plus maintenant, jusqu’à ce qu’il ait eu sa jouissance.

-Mais pourquoi, moi ? Il y a plein d’autres gens dans ce tram !

-Tu dois dégager quelque chose que les autres n’ont pas et qui l’excite au plus profond de lui-même.

D’un seul coup, la belle assurance que le jeune homme affichait au début, avait fondu comme neige au soleil.

-Mais toi, tu ne peux pas me protéger ? !

-J’aimerais bien mais comme tu me l’as fait remarquer, je ne suis pas de taille, d’ailleurs, personne n’est de taille. Alors, surtout, ne le contrarie pas et puis, pas la peine de lui parler capote. De toute façon, avec lui, tu n’en as pas besoin. Il a un système immunitaire infaillible. C’est l’avantage, les mâles alphas sont parfaitement clean.

-C’est déjà ça.

-Mais sache que quand il t’aura baisé dans tous les sens, tu lui appartiendras complètement. Tu deviendras sa louve.

-Sa louve ? Mais, qu’est-ce que tu veux dire… ?

Je n’eus pas le loisir de lui répondre. Surgissant toutes griffes dehors, la créature avait fini par nous débusquer. Du haut de ses presque deux mètres, elle se planta devant nous, nous fixant de ses yeux d’acier tandis qu’une vapeur taurine s’échappait de ses naseaux. Tout juste si on ne distinguait pas un peu de bave s’échapper de sa gueule béante. Enfin, s’adressant à moi d’un air mauvais :

-Qu’est-ce que tu fous là, toi, espèce de crevure ! Tu veux que je m’occupe de toi, minus ?

-Non, Maître, justement, je m’en allais.

-C’est ça, casse-toi, et ne t’avise plus de toucher à mon déjeuner, menaça t-il en posant ses serres d’aigle sur l’épaule de Mathéo ou sinon, je m’occuperai de ton cas.

Inutile de décrire la stupeur des autres voyageurs qui entendirent cette voix rocailleuse semblant venir des profondeurs de la terre. La plupart avait reculé de plusieurs mètres et certains étaient descendus de la rame plus tôt que prévu. Pour ma part, j’avais juste fait quelques pas en arrière, passablement inquiet de la suite des événements.

Quelques inconscients tentèrent de filmer la scène avec leur portable, mais dans une rage terrible, le mâle Alpha se rua sur eux et arracha leurs téléphones qu’il écrasa de son talon.

Pendant ce temps, malgré sa belle stature, Mathéo s’était tassé subitement dans un coin et il me cherchait désespérément du regard. De loin, je lui fis signe de ne pas paniquer mais ses yeux étaient déjà dévorés par une frayeur indescriptible. A un moment, il fut tenté de descendre quand les portes s’ouvrirent à la station « Place du Palais » mais le mâle Alpha l’en dissuada rapidement.

Le garçon faisait pitié à voir. Il ressemblait de plus en plus à un jeune caribou cerné par une meute de loups, mais dont un seul pourtant prétendait l’acculer.

La bête arbora alors son sourire carnassier et tout en humant le visage angélique du garçon, elle s’approcha de son oreille pour lui susurrer :

-Tu sais pourquoi je suis là, petit ?

-Oui, répondit-il faiblement.

-Oui qui ? tonna l’animal, de sa voix rauque.

-Oui, Maître.

C’est bien, tu apprends vite ! Tu sais donc aussi qui je suis ?

-Oui, Maître.

-Parfait ! Tu vas donc me suivre sans discuter dès la prochaine station. D’accord ?

-D’accord, Maître, fit Mathéo, déjà soumis.

Un sourire de satisfaction parcourut les babines du mâle Alpha et ses yeux se plissèrent de bonheur comme ceux d’un fauve en rut. A ce moment là, l’orage gronda dans le ciel de Bordeaux à moins que ce ne fut les grognements de plaisir de la bête qui avait encore triomphé sans coup férir. La pluie frappa violemment les vitres du tram au moment où ils sortaient sur le quai pour s’enfoncer dans une des ruelles étroites de la cité girondine.

Estevan

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