Premier épisode | Dernier épisode
Je ne suis pas particulièrement enclin à croire à l'incroyable... De part mon métier j'ai besoin de faits matériels, de règles, de concret... le fait est que ce qui suit reste troublant. Délire comateux, subconscient en ébullition, expérience de projection, ou simple volonté de mon esprit de se rassurer... je ne le saurai jamais. Je me suis longuement demandé si cet " épisode " avait sa place ici. Je choisis de le partager, ne serait ce que pour la fluidité de l'histoire...
Un couloir. Blanc. Sans fin. Je me retourne, à quelques mètres une ouverture, pas une porte, pas une fenêtre, seulement une ouverture. Et dehors, une étendue vert pâle, à perte de vue. Je me sens léger, tout est confortable, mes pieds nus ne ressentent pas le froid du carrelage aseptisé, l'air ambiant est doux, la luminosité parfaitement dosée. Comme une évidence j'avance dans ce couloir. Je marche, comme dans un glissement, sans le moindre effort. Une minute ou une heure plus tard, le temps ne semblant avoir court ici, j'aperçois dans la lumière surnaturelle une silhouette, une silhouette rassurante, familière. Mais ça ne peut pas être Elle... ou alors ça veut dire que moi aussi je suis...
Elle tend un bras vaporeux qui m'invite à regarder sur ma gauche. Une porte. Une vraie. D'un regard vers le couloir je découvre qu'Elle a disparu. Je pose donc une main sur la poignée qui s'actionne presque seule. D'un pas je suis dans une chambre, petite, mal décorée, sombre et en désordre. Je me retourne mais la porte par laquelle je suis entré a laissé place à un mur recouvert d'un papier peint vieillot.
Je fais de nouveau face à cette chambre et je vois sur le lit quelqu'un qui me tourne le dos. Il porte un débardeur noir, et un caleçon de la même couleur, il est assis, les pieds au sol. Je contourne le lit pour mieux le voir. Ses épaules sont abaissées, comme si elles ployaient sous tout le poids du monde, et sont secouées par de terribles sanglots. Je m'accroupis devant lui et tente de lui relever la tête, mais le toucher m'est impossible. Voir Kader ainsi m'empli d'une profonde tristesse. C'est la première émotion que je ressens depuis mon entrée dans le couloir. Puis brusquement il se lève, semblant crier, il renverse avec une violence effrayante son chevet, envoyant valser la lampe qui y traînait, dans un bruit de tempête, du moins je le conçois, car c'est comme si on avait pressé le bouton mute, un silence de plomb règne et semble ne pas vouloir se laisser briser, par quoi que ce soit. Et avec un empressement inquiétant il sort de sa chambre en claquant la porte. J'accours pour le suivre mais la porte que j'ouvre m'amène chez mes parents. Mes deux grandes soeurs sont là, mes beaux frères aussi, ainsi que les enfants. Tous sont silencieux. Une photo de moi est posée sur la table. Ma mère semble dans un état proche de la catatonie. Elle vient de perdre un deuxième enfant. Nul parent ne devrait avoir à vivre un tel non-sens. Mon neveu et mes nièces sont assis sur le canapé, sagement. Leurs yeux sont gonflés, comme ceux des adultes, et malgré leur jeune âge je vois dans leur regard une maturité que je ne leur ai jamais connu. Mon départ va les faire grandir, les priver définitivement d'une innocence déjà bien entamée par la perte de Lucie 6 ans plus tôt. Je reste un moment que j'imagine assez long. Je regarde les miens pleurer ma mort. Aucun son ne parvient jusqu'à moi. Les pleurs, les rares mots échangés, mes oreilles y restent sourdes.
- Cédric ! Viens....
- Lucie ?
C'est bien elle.
- Suis moi.
Je la suis dans le couloir qui mène aux chambres, elle entre dans la mienne, en refermant derrière elle. J'ouvre à mon tour et j'arrive dans le sous sol de la maison. Il y a une sorte de réception. Tout le monde, et il y en a, est vêtu de noir. Mes proches sont réunis vers une grande table, recevant ce que je devine être les condoléances de ceux qui n'imaginent pas la peine qui est la leur. Kader est là. Dans son coin. Tout seul. D'un simple regard je comprends qu'il est bel et bien seul, malgré la foule autour de lui, il reste seul.
- Cédric ?
Sans même qu'elle prononce un mot de plus, et sans même détourner mon regard de Kader, je réponds :
- Oui Lucie... je te suis...
Elle sort par la porte du garage, qui se referme après sa sortie. Je saisis donc la poignée en cherchant où je vais atterrir cette fois. Ma surprise est grande quand la porte s'ouvre tout à fait normalement sur la cour. Mais il fait nuit à présent, contrairement au jour éclatant d'il y a quelques instants. Lucie est là, assise sur le banc de pierre qui siège là depuis toujours.
- Approche.
Revoir son sourire, ses grands yeux, son allure fine et élancée, ses cheveux miels, m'arrache des larmes. Des larmes sans sanglots, sans peine. Juste la joie de la revoir telle qu'elle nous a quitté, belle, riche de la joie qui l'habitait au quotidien. Je m'assois à ses côtés, et aussitôt sa main se pose sur la mienne. C'est bête mais je ne me souviens même plus la dernière fois où j'ai senti sa main sur la mienne.
- Ca fait bizarre hein ?
Quel bonheur indicible d'entendre sa voix chantante, pleine de gaité, pleine de vie...
Devant mon air interrogateur elle enchaine.
- De se retrouver ici !
- Comme avant...
Son sourire se fait plus triste mais retrouve aussitôt ton entrain.
- J'ai envie de marcher un peu...
Nous nous levons, sortons de chez nos parents, et entreprenons d'arpenter les rues de notre enfance.
- Alors je ne reverrai jamais plus tout ça...
- Ca dépend...
- De quoi ? je ne suis pas mort ? Et tout ça là bas?
- Rien n'a eu lieu encore... nous sommes dans ta tête, un futur possible, une probabilité... mais pas encore déterminé... je pense que tu as le choix de te battre ou non...
- Donc tu es ici toi ? Juste à côté de nous ? Depuis tout ce temps !!
Je ressens la vie qui m'habite encore à travers le sanglot qui, cette fois, me vrille la gorge.
- Non. C'est la première fois...
- Alors tu es où ?
Sa tête magnifique se tourne vers moi, l'air un peu penaud.
- Je suis bien où je suis... sache le... je suis en paix...
Le ton de sa voix, calme, serein, est à n'en pas douter la preuve de ce qu'elle avance.
Nous marchons toujours, déambulant selon un itinéraire muet mais entendu.
- Kader tient beaucoup à toi.
Je ne réponds pas, l'invitant à continuer.
- Tu lui as apporté quelque chose qu'il n'a jamais connu.
- Quoi ?
- L'apaisement. Je ne peux pas tout te raconter mais sa vie a toujours été chaotique, et la première fois qu'il a trouvé la paix ça a été en s'endormant contre toi...
- Alors je dois y retourner...
- Tu n'es pas obligé... c'est à toi de voir...
- Si je reste je serais avec toi ?
Lucie acquiesce de son plus beau sourire.
- Tu es seule ici ?
- Non.
Je ne prends pas la peine de demander avec qui elle est, je n'aurais pas de réponse.
- Ce n'est pas trop long ?
- Tu connais déjà la réponse...
Le temps n'altère que la vie et les vivants, donc il n'en est pas question pour elle.
- Et comment faire pour y retourner ?
- Nous en prenons le chemin...
Son sourire plein de malice me laisse entendre qu'elle savait déjà que je ne resterais pas.
Alors que nous revenons à notre point de départ, la maison familiale ne laisse paraître aucun signe de vie, tout est éteint. Nous sommes devant la porte du garage, je sais que nos chemins se séparent ici, provisoirement tout du moins...
- J'aimerais que tu dises quelque chose à maman...
Mon étonnement flagrant la force à préciser :
- Oui. Elle est prête. Et elle en a besoin...
- Elle ne me croira pas... elle ne voudra pas le croire...
- Sil te plaît dis lui qu'elle n'a aucun regret à avoir, qu'elle a été une mère incroyable, et que d'où je suis je l'aime toujours. Dis lui simplement que je l'aime...
Elle pose sa main sur la poignée.
- Lucie attends !
- Oui ?
- Pourquoi toi tu as choisi de partir ? Pourquoi tu n'as pas voulu rester avec nous...
Devant ma tristesse sa main douce et chaude me serre tendrement l'avant bras.
- Je n'ai pas eu le choix.
Je sais que je n'en apprendrai pas plus.
- Mais j'étais prête. Je suis en paix Cédric.
J'ouvre mes bras.
- Je peux ?
- Bien sûr.
Quel incroyable bonheur de pouvoir serrer à nouveau ma petite soeur dans mes bras... Devant tout cet amour, toute cette félicité, je ferme les yeux en sentant la chaleur de son étreinte.
Bip. Quand j'ouvre les yeux tout est blanc. Bip. La lumière ici est aveuglante. Bip. Ma tête n'est pas douloureuse mais comme anesthésiée. Bip. Et ce putain de "Bip" qui est de retour. Bip.
- Cédric ? Ca va ? Comment tu te sens.
Je souris.
- J'ai été parti combien de temps ?
Ma mère semble ne pas comprendre mon choix d'employer le mot "partir".
- Ca fera un mois demain que tu as été opéré. Je vais prévenir les infirmières et chercher les autres.
- Maman attends ! J'ai quelque chose à te dire...
Cedric-T