Il fait noir, tu viens de heurter un mur. Ou plutôt non, c'est élastique, souple, chaud, humide, musclé… un corps, un corps nu, des corps nus : tu es au milieu d'une forêt de corps.
Un léger mouvement d'air à proximité de ta peau annonce un contact : une main s'approche. Elle t'effleure délicatement, se rapproche encore et te caresse. Elle parcourt ta nuque, s'arrête un moment dans tes cheveux, les chiffonne délicatement. Puis elle les saisit plus brutalement, et tire ta tête en arrière. Tu frissonnes.
La main relâche sa prise, retourne le long de ta nuque, te pince un peu, masse tes épaules, puis descend le long de ton dos, vertèbre par vertèbre. Elle ralentit au fur et à mesure de sa glissade tout en allégeant sa pression. Elle se fait effleurement, et stoppe à cet endroit légèrement humide, là où la cambrure de tes fesses commence.
Elle paraît hésiter sur le chemin à suivre. Tes frissons s'amplifient, tes muscles se tendent. Finalement elle fait le tour doucement, se perd un peu au milieu de ces poils qui, loin de te protéger, lui indiquent la direction. Elle se saisit de ton sexe. Mouvement doux, va-et-vient.
Une bouche la remplace pendant qu'une main - une autre ? - s'intéresse à tes fesses. Des doigts s’introduisent, un bras te courbe la tête. Tout s'accélère. Obéissant, tu relèves ton cul et sens que les doigts ont laissé la place à un sexe qui te pénètre. Tu jouis.
Tu vois où tu es ? Déjà venu ? Probablement si tu lis cette nouvelle… Dans une blackroom ou backroom. J'aime les deux noms : l'un fait référence au noir de ces lieux, l'autre à leur localisation. Appelons la black-back-room. Une BBR.
Aimes-tu la bestialité du lieu ? Dans une BBR, pas de vue, de ce sens tu n'as pas besoin : tout est noir, tu ne vois rien, tu es aveugle. Tant que tu y es, raye aussi dans ta tête ton identité, tes souvenirs, tout ce qui te fait toi et relaxe-toi. Redevient un corps, juste un corps, comme dans un utérus, un utérus surpeuplé où le multigémellaire est de rigueur.
Accepte cette régression. Tu es ouïe, toucher et odorat. Le goût viendra, mais dans un deuxième temps.
Entendre des bruissements, des frôlements, des souffles lents, des souffles qui s'accélèrent, des cris, des râles, pas de mots, pas de voix, juste des respirations.
Toucher : abandonne ton esprit, oublie le contrôle et laisse ta main se guider seule dans ce labyrinthe sensoriel, permets-lui de rencontrer les corps qui sont là, de découvrir leur géographie, leur forme, gras ou pas, musclé ou pas, poilu ou imberbe, grand ou petit, leur rythme.
Odorat pour donner du relief à ton toucher : sent cette peau, son acidité, sa moiteur. Comme la fourmi, réapprends les phéromones de la vie, entraîne-toi à reconnaître l'odeur si particulière de chaque peau.
Oui une peau car, dans une BBR, personne n'est personne, il n'y a plus de cerveau, de tête, juste des bouts de corps, de sexe, des bouts de peau. Donc n'aie pas peur, tu n'es pas là non plus, il n'y a rien que des morceaux anonymes.
Goût enfin : de la peau que tu viens de lécher, de ce sexe dans ta bouche, de la sueur, des lèvres, …
Laisse-toi aller. As-tu peur ? De quoi ? De toi ? De tes fantasmes ? De te révéler, de te rendre compte que tu aimes le sexe sauvage et anonyme ? De revenir dans cet utérus sexuel ?
Caresse ou sois caressé, suce ou sois sucé. Au choix. Self-service, jouir dans l'obscurité sans savoir grâce à qui.
L'autre n'y est plus que le prolongement de ton propre désir, l'amplifiant et le démultipliant : sa main est ta main, son corps est ton corps, dédoublement mental.
Mais sa main est nouvelle et indisciplinée, son corps est inconnu et prend des initiatives imprévues. Comme si ton imaginaire prenait son indépendance, s'incarnait, te caressait, te touchait. Masturbation par procuration. La BBR est un temple de la désincarnation, de la négation de l'autre, de l'abandon de soi.
Difficile pour certains de se laisser aller. Trop de barrières dans leurs têtes, dans leurs corps. Interdits de l'enfance, interdits de la vie, interdits de la société. Le noir, l’anonymat bloquent, font peur, peur de se retrouver face à ses pulsions, de régresser, de redevenir animal.
En sortant d’une BBR, on se retrouve face au corps avec lequel on vient de jouer. Impression de revivre les surprises que l’on achetait il y a longtemps dans les boulangeries sans savoir ce qu'il y avait dedans. Aussi vite consommé que la surprise, le corps trouvé n'est qu'un jouet jetable, utilisé une seule fois. Pas d'intérêt à comprendre qui est l'autre puisqu'il n'existe pas vraiment, n'a pas d'existence propre au-delà de mon propre désir : il est voué à être abandonné après jouissance. En même temps, symétrie puisque chacun n'est aussi que le prétexte à la jouissance de l'autre, équilibre dans la négation.
Jusqu’à la prochaine BBR…
Subdaddy
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