Premier épisode | Épisode précédent
Je venais de déposer le dernier carton chez Thibaut, enfin, chez nous maintenant.
- Ça y'est, tout est là.
- Tout, tout ?
- Oui, il n'y a plus rien dans mon ancien appart.
- Cool, je suis content que tu sois ici Séb.
- Merci, mais il va falloir que je range tout ça maintenant, comment on organise chez nous ?
- Regarde, j'ai déjà fait de la place ici, dans mon armoire pour tes vêtements, ici pour tout ce qui est papier, et puis après on verra.
On passa plusieurs heures à ranger mes affaires, et vers 18 heures, épuisés par cette journée, on avait bien avancé. On stocka les derniers cartons dans la chambre d'amis pour les ranger plus tard, et après la douche, je décidais qu'il fallait quand même fêter notre vie ensemble qui commençait ici.
J'avais prévu mon coup, alors je regardais dans la chambre d'amis, à la recherche du carton sur lequel j'avais écrit " fanfare ". En l'ouvrant, je sortis les deux flutes, la bouteille de Clairette de Die, et quelques gâteaux apéritifs.
- Alors toi, t'avais tout prévu !!!
- Oui Thibaut, je voulais profiter de ce moment avec toi, rien que nous deux.
- Ça me va, en effet.
- Alors, mets-toi à l'aise...
- Suffit de le demander.
Thibaut de mit torse nu, et me jeta au visage son t-shirt encore chaud. Pour rigoler, j'enfilai le t-shirt de Thibaut, j'avais l'impression de porter une robe, ce qui nous valut un fou-rire. Après avoir trinqué tout les deux, s'installant l'un en face de l'autre, la table basse entre nous, je me mis à l'observer. Voyant mon air voyeur, il en joua, et se mit à me montrer ses muscles, biceps, pectoraux, dorsaux, et aussi ses abdominaux, en prenant les poses comme les culturistes lors de leurs concours. Je riais et en même temps, je l'admirais. Et en réfléchissant, je pris soudain conscience que s'il s'était fait un tel corps, c'est qu'il a dû souffrir beaucoup ; comme pour se protéger de l'extérieur, il avait mis sous son apparence toute sa fragilité et aussi son jardin secret. Toujours en pleine admiration de Thibaut que je verrais enfin tous les jours, je dis :
- Tu sais, Thibaut, tu as un superbe corps, reste ainsi.
- ...
- Je veux dire, ne cherche pas à devenir quelqu'un d'autre que ce mec avec qui je viens vivre. Je comprends pourquoi tu t'es caché du monde, mais maintenant, je suis là, j'aimerai tant que tu sois heureux.
- Mais je le suis Séb, je le suis.
- Alors vis en étant heureux, profite de la vie, et détache-toi de ta carapace pour me faire pleinement confiance.
Il s'arrêta d'un coup, et s'assis sur le fauteuil.
- Séb, pourquoi dis-tu cela ?
- Parce que je commence à savoir qui tu es.
- Ah oui ?
- Oui, et si je suis là, c'est que je trouve cette personne formidable, mais cette personne est encore sur sa réserve dès qu'on aborde le passé, ou la famille, et même si je suis patient, je ne veux pas vivre avec la peur de te blesser parce que je veux voir mes " vrais " parents, parce que je veux sortir avec mes amis sans toi quelques fois.
- Mais ...
- C'est toi qui utilise mon " mais " là !! On est ensemble, et moi, je veux partager ma vie avec toi, toute ma vie, pas seulement les moments en Guadeloupe, ou ici maintenant, je veux que tu viennes chez mes parents, comme j'ai envie de découvrir tout ton passé. Peu importe le temps qu'il faudra, mais je ne veux pas vivre avec un inconnu qui s'invente une vie en fonction des gens qu'il rencontre.
- Séb...
- Thibaut, je ne veux pas tout savoir ce soir, mais ouvre-toi à moi, et vis la vie, vivons notre vie ensemble, et soyons heureux ensemble. A cette nouvelle vie !
- A cette nouvelle vie alors !
Thibaut avait fait trop à manger à midi, on mangea donc les restes ce soir, et une fois la vaisselle faite, je m'effondrais sur le lit. Quelle journée !
La nuit fut intense, torride, et extrêmement épanouissante.
Comme je ne travaillais pas cette semaine, j'en profitais pour effectuer l'état des lieux sortant de mon ancien appartement, et par chance, le propriétaire me rendit immédiatement ma caution. J'organisais aussi la pendaison de crémaillère avec mes amis les plus proches, dont Julie, Laurence, mais aussi les parents de Thibaut, ne lui connaissant pas de vrais amis.
Le plus beau cadeau qu'on nous ait fait restera pour moi celui d'Etienne. Dans une grande enveloppe Craft, il avait glissé ce poème sur un papier glacé :
L'Homme juste
Arthur Rimbaud
Le Juste restait droit sur ses hanches solides :
Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs
Me prirent : " Tu veux voir rutiler les bolides ?
Et, debout, écouter bourdonner les fleurs
D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ?
" Par des farces de nuit ton front est épié,
Ô juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière,
La bouche dans ton drap doucement expié ;
Et si quelque égaré choque ton ostiaire,
Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié ! "
Et le juste restait debout, dans l'épouvante
Bleuâtre des gazons après le soleil mort :
" Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,
Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d'Armor !
Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante !
" Barbe de la famille et poing de la cité,
Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices,
Majestés et vertus, amour et cécité,
Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !
Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !
" Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,
Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !
Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide,
Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,
Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide.
" C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !
C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines
Reniflent dans la nuit comme des cétacés,
Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes
Sur d'effroyables becs-de-cane fracassés !
" Et c'est toi l'oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes
Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !
Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !
Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! "
J'avais crié cela sur la terre, et la nuit
Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre.
Je relevai mon front : le fantôme avait fui,
Emportant l'ironie atroce de ma lèvre...
- Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui,
Cependant que silencieux sous les pilastres
D'azur, allongeant les comètes et les noeuds
D'univers, remuement énorme sans désastres,
L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux
Et de sa drague en feu laisse filer les astres !
Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée
De honte, ruminant toujours mon ennui, doux
Comme le sucre sur la denture gâtée.
- Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,
Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée.
Qu'il dise charités crasseuses et progrès...
- J'exècre tous ces yeux de Chinois à bedaines,
Puis qui chante : nana, comme un tas d'enfants près
De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :
Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !
Poème que Thibaut installa sur mon bureau, afin de pouvoir le relire à tout moment.
La crémaillère se passe à merveille, et Thibaut, bien que réservé et angoissé au début, arriva à se détendre pour finalement passer une très bonne soirée. Le soleil pointait déjà son nez quand nous partons nous coucher.
- Quelle soirée Séb, merci d'avoir tout organisé.
- J'ai vu que tu en as profité, et rien que pour ça, je suis heureux.
- Tu as su me mettre en confiance aussi avec tes amis.
- Thibaut, mes amis m'ont vu heureux avec toi, s'ils sont venus ce soir, c'est pour nous, et pas pour moi seul.
- Ah, moi je n'ai pas d'amis comme les tiens.
- Ça viendra, tu as beaucoup changé à en croire tes parents avec qui j'ai bien parlé ce soir. Nous sommes en couple, alors que je ne pensais dire un jour que j'avais un mec dans ma vie. Je me suis posé quelques questions, dire le contraire serait mentir, mais très vite, j'ai compris qu'avec toi, je serais heureux, preuve en est que l'on vit ensemble maintenant. Je vis ce que la vie m'offre sans me soucier des autres, sans me soucier du regard des autres. Tu es là, je suis là, on est là, et faisons tout pour rester là le plus longtemps possible.
- C'est vrai ce que tu dis Séb, je t'aime si fort tu sais.
- Moi aussi je t'aime.
La nuit fût courte, Thibaut travaillait au matin, et moi j'étais de journée, donc midi-minuit.
C'est lors du week-end du 14 juillet que j'ai présenté enfin Thibaut à mes parents. Il était presque temps. Mais mes parents vivent reclus dans leur village de campagne, et leur vie est restée fidèle aux siècles révolus, tendance forte à autarcie, ce qui n'était plus du tout dans ma vision de la vie. J'avertis Thibaut qu'il ne fallait, comme pour lui, ne pas se fier aux apparences, et que mes parents, même s'ils sont un peu butés, n'avaient rien contre le fait que je sois heureux.
Ma mère avait fait la maison propre, et s'était bien gardée de me dire que mon frère et ma soeur, ainsi que mes grands-parents seraient là aussi. C'est avec le plus grand sourire que je les retrouvais tous, et leur présentais Thibaut.
Il se fit accepté sans problème, son physique musclé et son look BCBG ont fait l'unanimité, même pour ma grand-mère paternelle (dont j'étais assurément le chouchou).
C'est avec elle que je partis marcher comme au bon vieux temps.
- Mamy, comment vas-tu ?
- Ah j'ai mes vieilles courbatures, tu sais bien, mais elles partiront avec la " bête ".
- Ça me fait plaisir de te voir tu sais. Je vis loin et un coup de téléphone, ça ne remplace pas ces moments que l'on partage toi et moi.
- Ah c'est bien vrai mon petit "Tien. Mais je suis contente pour toi, tu t'es trouvé une belle personne avec Thibaut. Bon pour les petits enfants, on repassera, mais tu es lumineux, irradiant de bonheur, et pour une mamy, c'est tout ce qui compte.
- Mamy, t'es la meilleure tu sais !!
- Je vais finir par y croire, tu sais. Cela va faire 20 ans que tu parles, et 20 ans que tu me le dis.
Et je ne pus m'empêcher que de prendre ma mamy dans mes bras, comme quand j'avais 5 ans.
- "Tien, vous avez quels projets avec Thibaut ?
- Mamy, les projets, on avance petit à petit. On vit ensemble depuis deux semaines, et moi, j'aimerai bien me marier avec lui, mais je n'ai encore jamais abordé le sujet. Et puis, tu sais, il a aussi ses secrets, et je vais voir comment il va réagir après ce week-end. Il est ici dans une famille plutôt unie, nombreuse, alors que lui... Tu me promets de ne rien dire...
- "Tien, tu douterais de mon silence ???
- Mamy excuse-moi... Thibaut, il n'a pas de " vrai " famille, il a été adopté et ses parents adoptifs n'ont pas pu avoir d'enfants naturels non plus. Ils sont super, mais c'est un enfant unique, il n'est pas toujours bien dans sa peau malgré son physique bien charpenté.
- J'ai bien compris "Tien, je sais faire celle qui ne sait rien, tu me connais...
- Oui Mamy. Mais si tu savais comme il est avec moi... attentionné, doux, et terriblement amoureux. Nous sommes partis en Guadeloupe en mai, c'était son rêve que d'y aller.
- Oui, j'ai bien reçu ta petite carte, et j'ai pensé " voilà mon petit qui découvre le monde, qu'il profite ".
- Ah ma Mamy, oui, il faut bien...
Après les confidences avec ma grand-mère, on rejoint les autres attachés à essayer d'en savoir davantage sur Thibaut que je sortis de ce guêpier, prétextant avoir besoin de lui parler.
- Ça va Thibaut, ils ne sont pas trop curieux ?
- Oh Séb, être ici, pour moi, c'est réaliser quelque chose que je n'avais vu que dans des séries à la télévision quand j'étais ado...
- Ah, et j'peux savoir ce que c'est ?
- Tout simplement me sentir accueilli dans une famille, je veux dire, une vraie famille, avec différentes générations, et avec des relations saines. Je n'ai jamais connu cela chez mes parents, tu le sais.
- Oui... aller, viens là...
Il vint dans mes bras... enfin j'avais mes bras autour de son cou, et il était pour m'embrasser quand Mamy trouvant le temps long sans nous nous appela depuis la cuisine où elle préparait spécialement pour moi, mon gâteau préféré.
- Thibaut, reste avec nous, puisque tu partages la vie de mon "Tien, tu vas partager avec nous la recette du gâteau que je fais à "Tien depuis qu'il peut en manger...
- Merci madame Julienne, c'est vraiment gentil à vous.
- Mamy, c'est la meilleure tu vas voir Thibaut.
- Je n'en doute pas !
C'est main dans la main devant ma grand-mère que nous avons passé ce moment de complicité culinaire.
- Thibaut, j'ai quelque chose à te demander...
- Oui madame Julienne ?
- Déjà, tu vas m'appeler Mamy aussi, je l'exige. Ensuite, tu vas me promettre de continuer à rendre heureux mon "Tien, et aussi, tu vas me promettre de laisser "Tien te rendre heureux. Il ne pourra jamais combler tous tes vides, mais avec son amour, sa patience, et tout l'énergie qu'il y aura mis, il saura rendre tes souffrances moins dures et surtout, il fera son maximum pour votre couple.
- ...
- Thibaut, faudrait que tu répondes à Mamy...
Thibaut fit signe à Mamy pour qu'elle le suive dehors.
- Madame... Mamy, Je vous promets de faire tout ce que je peux pour rendre Séb heureux, tout ce que je peux, vous m'entendez...
- Oui, je t'entends.
- Vous savez, je n'ai pas de grand-mère...
- Oh ! Dès maintenant, moi j'ai un nouveau petit-fils, il s'appelle Thibaut, et je n'aime pas voir mes petits malheureux !
- Merci Madmy...
Des grosses larmes coulaient de ses yeux lorsqu'ils rentrèrent.
Le gâteau démoulé parfumait la maison, pour mon plus grand bonheur.
- Tu sens cette odeur Thibaut ?
- Oui...
- C'est l'odeur du gâteau et des heures passées avec Mamy... elle compte beaucoup pour moi tu sais.
- Séb, j'ai promis à ta grand-mère te toujours chercher à te rendre heureux, mais tu n'as aucune idée à quel point je suis content d'être ici, dans ta famille, mais en même temps, je ne peux pas faire autrement que d'avoir aussi un pincement au coeur, parce que moi, je n'ai jamais connu un tel bonheur. Je n'ai pas eu de frères et soeurs, pas de grands-parents...
- Thibaut, je le sais, c'est pour cela que je n'ai pas voulu qu'on vienne ici avant d'avoir emménager avec toi, j'avais peur que tu déprimes sans ma présence auprès de toi toutes les nuits.
- J'ai très envie de t'embrasser...
- Bein ne te gêne pas... on est chez mes parents, mais on est en couple, et les couples, ça s'embrasse. Qu'on soit homo ou hétéro...
Je ne pus finir ma phrase, sa langue était déjà dans ma bouche.
Ce soir, comme à chaque 14 juillet, on alla s'installer sur le haut du village, dans le verger appartenant à mes parents, et d'un accord commun, personne ne dit à Thibaut la raison de cette " transhumance " nocturne.
Ce n'est qu'à la nuit noire et au premier " poum " alors que j'étais dans les bras de Thibaut, que celui-ci comprit que c'était un feu d'artifice qu'on allait observer... Et quel feu ! La citadelle de Carcassonne prenait feu devant nous. Je ne me lasserai jamais de cette fabuleuse expérience. Près d'une heure de spectacle en couleur...
Je me sentais, à chaque minute, être serré de plus en plus fort contre Thibaut, bien qu'assis sur le drap que nous avions apporté.
- Surprise mon coeur.
- Ah tu n'en loupe pas une toi... Je t'ai déjà dit que tu es un mec formidable ?
- Profite du feu.
- Réponds...
- J'suis un mec formidable parce que je suis aimé par un autre mec formidable aussi.
Et je sentis ses larmes couler jusque sur mon épaule.
Après le feu, Thibaut me demanda si on pouvait rester un moment que nous deux, et je dis à mes parents que nous allions profiter un petit peu de la fraicheur du soir.
- Enfin un peu seuls, j'avais besoin de t'avoir rien que pour moi Séb.
- Ta journée s'est bien passée ?
- Oui. Une seule chose m'a manqué.
- Ah j'ai oublié quelque chose dans les valises ?
- Les valises sont parfaites... non, ce n'est pas cela.
- Alors je ne sais pas.
- Ce qui m'a manqué, ce sont tes bisous à tout moment.
- La carte romantique... ça va, c'est raccord avec la soirée, j'accepte de te prêter mes lèvres pour toute la nuit... et demain, tu sais qu'on rentre chez nous...
- Oui...
- Et j'aimerai vraiment profiter de ce moment demain avec mes proches, je ne sais pas quand on pourra redescendre, peut-être pas avant Noël prochain...
- Donc tu m'exclus de ton programme demain ?
- Non Thibaut, tu es là, tu es avec moi, mais je serai moins à tes côtés qu'aujourd'hui.
- ...
- Maman veut te faire découvrir le marché du sud, et j'ai dit oui pour toi, tu seras seul avec, n'hésite pas à parler avec elle.
- Séb, sans toi ?
- Oui sans moi.
- Ah...
- Thibaut, c'est ma maman, fais un effort.
C'est en m'embrassant sur le chemin du retour qu'il accepta de finalement découvrir le marché et maman.
En rentrant, il restait du thé à la menthe pour nous, et après un moment, chacun rejoint sa chambre pour une nuit réparatrice.
Carolito
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