Premier épisode
Jour 2
Pourquoi ?
Qu’est-ce qui m’a pris ?
Heureusement que j’ai désormais un bureau pour moi tout seul. Depuis un mois à peine. Des années que je le réclamais. Hier, j’ai ressenti le besoin de m’y enfermer. Pour ressasser ce qu’il venait de se passer. Pour cacher ma honte aussi. Et même sur ce cahier hier, je n’ai pas réussi à trouver les mots exacts. Pourtant, il faut que ça sorte. Impossible d’en parler à qui que ce soit. Il faut que j’arrête d’être embarrassé devant une simple feuille de papier. Comment affronter les gens si je fuis même devant cette feuille ?
Yassine, je le connais depuis plusieurs mois déjà. Je sais qu’il est le roi de l’entourloupe. Je sais qu’il tente toujours des trucs. Je sais recadrer ce genre de tentatives. Pas seulement parce que j’ai été formé pour, mais surtout parce que je sais que la moindre entorse au règlement est la porte ouverte à toutes sortes de débordements ensuite. Sauf qu’hier, Yassine a trouvé le moyen d’entrouvrir la porte et d’y glisser son pied. Sans forcer. Ni avoir à demander. Il l’a fait. Aussi fou que cela paraisse. Car quand il s’est accroupi, que ma main s’approchait de sa fesse droite pour inspecter, sa tête qui se retourne, et ce sourire. Si beau, si innocent. Tendre et gentil. C’est l’image qui s’est imprimée dans mon cerveau alors que j’inspectais. Non pas qu’elle m’ait distrait de ma mission, ou ébloui mon regard. L’honnêteté m’oblige à dire que j’ai parfaitement vu ce petit pansement collé à l’intérieur de sa raie sur sa fesse droite. Avec une carte SIM fixée dans la face interne. Mais alors que je constatais la présence de cet objet prohibé dans nos murs, je sentais son regard posé sur moi, le sourire aux lèvres. Sa fine moustache noire parfaitement taillée relevée aux commissures. Cette vision s’est superposée, comme un filtre, sur ce que je voyais. Je suis resté immobile, me contentant de constater, son sourire en surimpression. Ma main aurait dû bouger, pour arracher immédiatement le pansement et confisquer la puce. Au lieu de cela, c’est mon regard qui s’est relevé, l’image imprimée dans mon cerveau venant se reposer sur son visage réel. Toujours ce sourire, ce regard pétillant. Et ce clin d’œil, complice. Il sait que j’ai vu, de même qu’il sait que je ne dirai rien. Je ne fermais pas les yeux (pas plus que je pouvais prétendre ne rien avoir vu). Je n’autorisais pas non plus officiellement. Je me rendais complice de quelque chose d’illicite, car il avait instauré une complicité affective entre nous. Nous étions désormais complices au pluriel. Cette proximité soudaine avec ce jeune homme charmant m’avait envoûté. Une étreinte physique de sa part n’aurait pas été plus efficace. Sur mon petit nuage, je lui dis de se relever et de se rhabiller. Je pense que je lui ai souri. Je me rendis même à peine compte qu’il m’avait tourné le dos pour s’éloigner et quitter la pièce.
Tout cela est arrivé dans le calme le plus parfait. Yassine n’a rien réclamé. Mais tout est venu naturellement. Comme si les choses devaient forcément se passer ainsi. J’ai agi parfaitement consciemment -mais la conscience anesthésiée. Ce n’est qu’après, l’image s’estompant de mon cerveau que l’angoisse m’a saisi. Insoutenable, au point que je me suis réfugié dans mon bureau. Ce bureau dont j’étais si fier, et qui tout d’un coup devenait un terrier dans lequel je me cachais. Je fus pris d’une agitation croissante, ne me comprenant plus.
Je suis resté prostré dans mon bureau une bonne partie de l’après-midi. Je ne cessais de ruminer contre moi-même. Et pourtant, regrettais-je mon acte ? Pas vraiment, car aussitôt, le visage de Yassine orné de son beau sourire me réapparaissait. Mon cœur battait, d’une manière agréable. Puis je ruminais à nouveau, mon rythme cardiaque frappant dès lors de manière sourde et violente dans mon corps.
Etant rentré le jour même, Yassine serait forcément dans les douches le soir. J’y allais donc faire une ronde avec l’équipe de permanence. C’est une grande pièce rectangulaire carrelée, munie d’une succession de pommeaux de douche. Les détenus laissent leurs affaires dans la pièce précédente (même type de pièce mais avec des bancs le long des quatre murs). En passant dans le vestiaire, je vois que le survêt que portait Yassine le matin est là. Et effectivement, alors que je suis dans l’embrasure de la porte de la salle des douches, je vois Yassine tourné vers le mur. L’eau chaude coule abondamment le long de son corps. Il se savonnait, et les frictions de ses mains sur tout son corps formait une mousse abondante et blanche. Je le vis savonner ses fesses. Un peu de la colle du sparadrap était-elle restée cramponnée parmi les poils de sa raie ? Je fixais ses fesses, celles-la même que je pouvais tripoter le matin sans avoir besoin de prétexte. Ce soir, rien ne me permettait de m’approcher puis de les caresser. La situation, mes fonctions me l’interdisaient. Yassine pouvait s’exhiber sans vergogne devant moi : les circonstances faisaient qu’il se refusait d’office à moi. Et la tentation frustrée ne fit que renforcer l’envie. Je partais avant que Yassine ne termine sa douche. Bien qu’il fut de dos, au moment de mon départ, il nettoyait clairement sa bite.
Sous les douches, je n’avais vu personne d’autre. J’avais été comme cotonneux. Tout, autour, était resté dans le brouillard, dans une sorte de flou. Seul Yassine était net dans mon champ de vision. Et j’avais focalisé sur son derrière joliment musclé, avec ses deux globes bien dessinés et rebondis. Rentré dans mon bureau, obnubilé par ce que je venais de voir, je fermai la porte derrière moi. Je ressentais le besoin d’un moment d’inimité avec Yassine. Son visage souriant m’apparut à nouveau. Assis dans mon fauteuil de bureau, je baissais spontanément le pantalon de mon uniforme, sortis ma bite de mon boxer, et je me masturbais. Toutes les images de la journée se superposaient devant moi. C’est en revoyant ce clin d’œil complice que soudainement j’ai joui. Quelques minutes à peine avaient suffit pour que j’éjacule. La tension devait être décidément trop forte.
C’était la première fois que je me branlais ainsi sur mon lieu de travail. D’avoir un lieu privé aidait certainement. Je l’avais fait sans réfléchir. C’était surtout la première fois que j’en avais ressenti un tel besoin. Je découvrais une forme d’adrénaline qui m’était inconnue jusqu’ici.
La tension retombée, j’ai ruminé. Qu’avait fait Yassine avec cette puce ? Il devait posséder un smartphone dans lequel il l’avait inséré. Avait-il contacté des potes à l’extérieur pour leur raconter avec quelle facilité il avait mis le « chef » dans sa poche juste grâce à son beau sourire ? S’était-il moqué de moi avec eux ? N’ai-je été que l’imbécile dindon de la farce ? Pour lui, ça n’avait été qu’un jeu, alors que je venais de commettre une faute professionnelle. D’ailleurs, s’en était-il vanté à ses compagnons de cellule ? Il a forcément dû leur dire comment il avait introduit cette carte SIM. Mais a-t-il dit que je n’avais rien vu, ou s’est-il complu à bien mettre en avant que j’étais tombé sous son charme ?
Aujourd’hui, lors de l’inspection de l’unité de travail, j’ai croisé Youssouf qui occupe la cellule mitoyenne de Yassine. Son sourire ironique m’a donné l’impression qu’il savait des choses. Que Yassine avait dû se vanter. Sans doute est-il coutumier du fait. Que je ne suis qu’un parmi d’autres à lui avoir céder dans l’équipe des surveillants. Il n’était pas à son coup d’essai, sûr de sa capacité à obtenir ce qu’il veut.
Je n’ai pas voulu voir Yassine aujourd’hui. Peur de croiser son regard, de l’attitude qu’il pourrait avoir. Qu’il me fasse comprendre que je suis sa pute à présent, car j’ai fait une entorse au règlement pour lui. Ou pire, qu’il m’ignore. Son indifférence me serait insupportable.
Le comble ! A présent, c’est moi qui ait peur de le rencontrer. Alors que je suis le chef.
Je me dois de prendre les devants. Et de reprendre la main. Si la situation pourrit peu à peu, elle sera vite intenable. Je me dis que je peux envisager de prévoir une fouille des cellules de son unité. Sa cellule ne sera pas uniquement visée, et je n’y participerai pas. Ainsi Yassine ne pourra pas se plaindre qu’il est spécifiquement dans le collimateur. Ou que je cherche à me venger. Mais il comprendra que si ses petites combines fonctionnent à la marge, elles ne durent qu’un temps.
A moi de me montrer ferme, et de ne plus tomber dans le piège !
Médor fidèle
toutouauxbottes@gmail.com
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