Premier épisode
Chapitre 2 | La Guerre est déclarée
Plus que quelques jours et c'est le jour de la liberté. Cette soirée s'annonce d'autant plus intense car je sais déjà avec qui je la finirai. Enfin il n'y a encore rien de certain car notre rencontre tient sur des mots et en un mois il se peut qu'il ait changé d'avis. N'ayant aucun moyen de confirmer sa présence pour la fin de semaine, je mise tout sur l'espoir.
Je suis devant la télé quand Medhi arrive en furie dans le salon. Il est au téléphone et semble assez remonté. Il raccroche et me regarde. Il s'adresse à moi d'un ton sec comme s'il était mon supérieur. Je comprends que ça concerne le gang. Il me donne 30 minutes pour être au repaire pour une réunion d'urgence. J'essaye de le questionner mais il ne me dit rien donc je lâche l'affaire.
***
Je suis assis sur une chaise bancale en attente du début de la réunion. On attend les derniers retardataires qui ont dû abandonner leur activité pour venir. Je me demande ce qu'il se passe pour que ce soit si urgent. Je sais juste que ça ne sent pas bon. Et mon intuition se confirme quand mon grand frère prend enfin la parole.
"Bon les gars on est dans le mal ! La bande de Nasser a lancé des menaces et commence les hostilités avec nous."
"Qu'est-ce que tu racontes Medhi ? Ça fait des mois qu'on a pas eu de soucis avec eux ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" réagit l'un de la bande.
Nasser c'est le chef d'une bande rivale. Il y a un an, il y a eu des affrontements car l'un d'eux avait volé notre butin et on a fait ce qu'on devait faire pour le récupérer. Enfin "ils ont fait", car je n'étais pas présent pendant toute la durée du conflit. Mais j'avais les retours de mon frère et c'est une bande assez dangereuse ayant mauvaise réputation. Alors de savoir qu'elle en a après nous signifie une période à venir tendue. Notre réputation est connue et on sait que les bandes alliées se poseront en observation pour ne pas prendre part au conflit et déclencher une guérilla. Numériquement ils sont aussi supérieurs. On est une vingtaine alors qu'eux comptent une dizaine de personnes en plus, d'après nos guetteurs.
Medhi répond à la question.
"Je suis en relation avec la petite sœur de Nasser et il l'a appris."
C'est le choc total. Personne ne s'y attendait. Enfin si, je remarque qu'Amir et Karim n'ont pas l'air très surpris. Tout le monde y va de son commentaire et au bout de quelques secondes, Medhi utilise sa grosse voix pour calmer la bande et fournir les explications. Cette relation dure depuis des mois et l'attraction est ancienne. Ils ont toujours vécu cachés car ils savent ce qu'une révélation engendrera. Et la révélation on y est.
"Maintenant que la raison est dite, voilà ce qu'il va se passer. Une rencontre avec Nasser et ses bras droits est prévue demain soir. Elle permettra de régler certains comptes pacifiquement pour trouver un compromis et éviter une guerre de quartier. Amir, Karim et Sofiane m'accompagneront. En attendant faites-vous discrets et restez au quartier."
La réunion se termine et je reste pour questionner mon frère sur ma présence lors de la rencontre de demain.
"Petit frère il est temps de te forger pour prendre plus de place dans la bande et devenir un de mes bras droits."
Ce que je redoutais le plus est arrivé. Il veut me responsabiliser et me mettre en lumière. Tout ce que je ne veux pas. Mais je n'ai pas le choix car un refus me vaudrait des représailles.
***
La réunion a lieu dans un coin du parc voisin afin d'être dans un lieu "neutre". Nos bandes ont beau être virulentes, elles respectent toujours des codes précis et celui de la promesse en fait partie. C'est pour cette raison que nous allons au parc sans crainte d'une embuscade car on sait que les autres bandes nous regardent.
On arrive à l'endroit précis de la rencontre, dans un coin à l'abri des regards. On arrive quasiment en même temps et je vois au loin 5 silhouettes masculines s'avancer. Ces silhouettes se rapprochent pour devenir des corps. Et là c'est le choc. Je reconnais un des 5 mecs. Ce n'est autre que Naël. Je le vois faire un mouvement saccadé et se montre tout aussi choqué que moi. J'ai de suite remis en cause notre rencontre en la pensant calculée mais je me suis souvenu que je n'ai parlé à aucun moment de cette vie et vu comme il a réagi, il aurait sûrement préféré ne pas me voir. Du moins c'est ce que j'ai pensé en le voyant. Pourquoi ? Pourquoi le seul mec qui a su me rendre dingue est là en face de moi dans le camp adverse ?
Les échanges sont distants et très froids. J'évite de regarder Naël pour rester concentrer et observe Nasser et mon frère commencer à parler. C'est tendu et le langage n'a rien à voir avec du Baudelaire. On est plutôt sur du Aya Nakamura avec la pointe maghrébine. Je ne suis pas le mec très littéraire mais faire ma racaille ne m'empêche pas de me cultiver pour autant. Ce que mon frère et les autres personnes autour de moi ne semblent pas savoir faire.
Le sujet tourne autour de la sœur de Nasser et les insultes et menaces fusent en tous sens. Je sens les tensions atteindre un certain niveau et que le pacte de non-agression est prêt à être rompu. J'étais resté dans l'ombre depuis le début mais une voix sort de mon corps de manière incontrôlée.
"STOP !". Tout le monde s'arrête et me regarde plus par surprise que par respect. "Respectez le pacte de non-agression. Chacun propose son marché et on trouve un compromis. Point."
Naël me regarde les yeux grands ouverts. Il ne s'attendait pas à me voir dans cette posture et, pour l'avouer, moi non plus. Le moment de silence passé, Nasser me dévisage.
"C'est qui lui là ?"
"C'est mon reuf et il a raison. On est pas là pour se battre mais pour parler. Tu as voulu venir parler de tes conditions. Balance !" lui répond Medhi assez sèchement.
"Le deal est clair. Si tu veux pas de problème chez toi, lâche ma petite sœur !"
Bon et bien la guerre est déclarée. Comme je m'y attendais mon frère le regarde et lui porte jugement en lui disant que sa sœur n'est la propriété de personne et qu'elle fait ce qu'elle veut. Il termine en lui disant que cet accord ne sera pas concluant.
"Très bien alors je déclare qu'à partir de demain vous êtes nos ennemis. Préparez-vous à souffrir... On dégage les gars !... On a des préparations à faire !"
J'ai envie de me tuer. Ce que je redoutais est arrivé et je ne veux pas être présent pour ça. Je regarde la bande adverse faire demi-tour et mon regard s'accroche une demie seconde à celui de Naël. Il semble aussi peiné que moi et l'espace d'un instant je me demande si c'est la dernière fois que je le vois. Enfin oui je risque de le voir sur le champ de bataille mais pas en tant qu'amant.
***
On est de nouveau dans le repaire pour la réunion qui suit la rencontre. Les réactions sont mitigées. Il y a ceux qui sont comme moi et qui aurait voulu éviter cela et ceux qui sont déjà à montrer les dents. On croirait qu'ils attendaient ça depuis toujours. Comme si c'était le second round de l'histoire de l'année passée.
Medhi demande le silence pour expliquer la stratégie à suivre. Des postes de vigilance renforcée sur des points stratégiques sont mis en place pour surveiller les mouvements et l'arrivée de nos désormais ennemis. Il explique ensuite tout ce qu'il sait sur la bande. Je frissonne quand je l'entends nommer Naël comme une des cibles et un des bras droit les plus forts de Nasser.
La réunion se termine et je rentre à l'appartement. Ma mère me demande ce qu'il se passe et je la dévie sur Medhi qui saura quoi lui dire. Je suis sensé partir dans 2 jours passer la meilleure journée du mois et pourtant j'ai l'impression que l'enfer a atteint le peu de paradis qui me restait. J'ignore si j'arriverai à descendre en ville sans me faire arrêter par mon frère qui nous déconseille de sortir du quartier. Et puis, imaginons que je puisse y aller, comment je vais réagir si je ne vois pas Naël ? Pire. Quelle sera ma réaction s'il vient ? J'ignore ce qu'il se passera mais je sais que je ferai tout pour aller au Trash Bar pour profiter peut-être une dernière fois de ma vie qui semble avoir un avenir sombre.
J'ai d'ailleurs compris que mon avenir allait être sanglant quand, le lendemain matin, Medhi est arrivé à l'appartement avec un sac plein et... une fille à la main. La sœur de Nasser. Je sens la rage me monter et avant qu'il n'atteigne la cuisine où ma mère se trouvait, je le prends par le bras et l'emmène dans ma chambre à côté.
"Qu'est-ce que tu fous la Medhi à la ramener ici ?? T'as pensé à maman ?? Mets la pas dans l'histoire ! Et c'est quoi dans ce sac ? Des armes ? Tu déconnes frérot !"
"Tu parles pas comme ça à ton grand frère ! Je gère comme j'en ai envie et c'est ici qu'elle sera en sécurité ! C'est elle qui a décidé de venir car son frère la menace."
Il me répond sèchement et me colle une claque comme si je lui avais manqué de respect alors que lui était en train de tous nous mettre encore plus en danger. S'en est trop pour moi. Trop de pression, trop de peurs, trop de trop. Je commence à vriller et ça passe par l'insurrection. Je lui lance un regard de défi et il allait réagir lorsque j'entends ma mère parler avec la sœur de Nasser. Il réalise qu'il l'a laissée seule et il court dans la cuisine voir notre mère et lui présenter Nadia qui restera ici quelques temps. Il la présente comme sa copine et ma mère commence à jubiler, bien loin de savoir tout ce qui se prépare.
Je n'en peux plus. Je ne peux pas rester ici. Je prépare des fringues et les mets dans un sac. Je pars à la cuisine pour embrasser ma mère et lui dis que je pars dormir 3 jours chez un pote en centre-ville qui m'invite le week-end. Elle me souhaite un bon séjour et je sens le regard de mon frère me menacer. Je fais demi-tour et file dehors. Il me rattrape par l'épaule et me retourne de manière agressive.
"Tu joues à quoi là ? Tu vas poser ton sac, arrêtez ta rébellion et fermer ta gueule"
La rage est au bord de l'explosion et je retire sèchement sa main de mon épaule.
"C'est toi qui ferme ta gueule. Tu nous fous tous dans la merde avec ta romance à la Roméo et Juliette. Alors laisse-moi respirer 3 jours avant que je revienne me faire tuer et voir notre mère mourir de ta connerie."
Je ne lui laisse pas de temps de réponse et pars dans les escaliers pour quitter ce quartier devenu maudit. J'ai envie d'hurler et de demander pourquoi je suis né ici. Tous les bons côtés du quartier ne font plus le poids face à la menace qui arrive.
Je monte sur mon vélo et pars en direction du Vieux Port pour m'éloigner d'ici et réfléchir après pour la destination finale.
Une fois arrivé et calmé, je réserve un hôtel pour les 3 jours qui suivent. Je le choisis près du bar afin de ne pas être très loin. Une lueur de joie me dit que je peux aller au bar deux soirées de suite mais je me suis souvenu qu'il est fermé le jeudi et qu'au fond je n'ai pas très envie d'aller là-bas sans y voir Naël. C'est demain que je suis sensé le voir et j'espère de tout cœur pouvoir le sentir contre moi. J'ai besoin de lui parler et de comprendre ce qui va nous arriver dans le futur. Dans le même temps je me demande si ce n'était pas dangereux d'aller vers l'ennemi. Peut-être qu'il me suit et me fera une embuscade demain. Après tout, les événements s'enchaînent de manière imprévisible et peut-être que c'était préparé d'avance. Je me refuse à cette hypothèse. Je me la refuse car je sais au fond de moi que ce que j'ai vécu avec lui était vrai et authentique. Je décide néanmoins de sortir ce soir pour m'aérer l'esprit et voir une pote.
Ninemark
ninemark@hotmail.fr
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