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Jour 12
Encore le livreur hier soir. Il fumait une clope, qu’il s’est empressé de jeter par terre pour se lancer à ma suite. Ce qui me surprend, c’est que tout en gardant ses distances, il semble tout faire pour se faire remarquer. Il adapte son allure à la mienne, il ne cherche pas à s’esquiver quand je tourne la tête en arrière pour vérifier sa présence, si je m’arrête il s’arrête également tout en me fixant du regard. Et hier soir, il n’a tellement pas cherché à être discret, qu’il s’est fendu d’un petit geste de la main pour me saluer avant de me fausser compagnie. Ses petites poursuites vespérales à répétition visent à me mettre sous pression en m’indiquant qu’on me surveille. Mais qui ? L’hypothèse Yassine me semble peu probable, même si pas totalement impossible. Pour en avoir le cœur net, je décide d’aller le voir dans sa cellule. Je me dis qu’en présence de ses deux co-détenus, il osera moins jouer à son petit manège, et je serai moins tenté d’y céder.
En route vers sa cellule, je n’en menais pas large. Je regardais droit devant moi, tellement focalisé sur mon but que je ne voyais rien autour de moi. J’avançais à pas réguliers, au rythme des battements de mon cœur. Je franchissais tous les sas, les uns après les autres, évoluant comme un automate consacré à son unique tâche.
J’ouvre la porte de la cellule. Ils regardent une série quelconque, comme de trop nombreuses chaînes de télévision en diffusent ad nauseam. Mamadou est assis sur la couchette de Jules qui roupille comme à son habitude. Jules dort le plus clair de son temps. Sa cure de soit-disant désintoxication l’assomme. Il reste dans un état de prostration quasi permanent, l’empêchant de souffrir du manque des produits qu’il avait pour habitude de consommer. Il aurait plus besoin de soins réels que d’une incarcération punitive. Il végète dans l’attente de sa libération conditionnelle. A à peine 30 ans, il en parait 10 ou 15 de plus. Le teint uniformément pâle, d’une maigreur alarmante, avec ses petits cheveux filandreux jamais coupés et hirsutes, on dirait un épouvantail défraîchi pour une fête d’Halloween faite avec des moyens limités. Mamadou a immédiatement tourné ses yeux ronds vers moi. Dans son regard, la surprise de me voir apparaître. Il me salue d’un air mal assuré et interrogateur. Je referme la porte derrière moi, et vérifie que le trousseau de clefs est bien fixé à mon ceinturon, à côté de ma paire de gants d’intervention. Je souris dans mon for intérieur en voyant la posture de Mamadou. A elle seule, elle définit son être. Ce grand et gros gaillard, volontiers gauche et maladroit, se faisait le plus discret et léger que possible en se contentant d’un minuscule bout de la couchette de Jules. Afin de respecter l’espace vital du dormeur impénitent, il reste en équilibre, la moitié de ses fesses dégoulinant dans le vide, tant il s’assoit au bord du lit. Son vieux jogging explose sous l’effet de ses graisses molles. Son visage joufflu lui donnent un air bonhomme, voire simplet. Il a été condamné pour complicité dans une affaire dont il n’a pas été le cerveau. Mamadou a un tempérament de suiveur, brave et fidèle, comme un bon chien. Il occupe sans broncher le matelas posé à même le sol, sans se révolter, aussi compatissant pour l’état maladif de Jules qu’il se dévoue corps et âme à Yassine. Yassine qui avait feint de ne pas remarquer mon entrée dans leur cellule.
Ses yeux sont restés rivés sur l’écran de la télé. Non qu’il soit passionné par ce qu’il regarde, mais parce qu’il ne veut pas me gratifier de son attention. Il est allongé sur sa couchette, celle du haut, les mains croisées sous sa tête. Il porte toujours le même survêtement gris, mais pieds nus. Sa paire de Nike était soigneusement rangée à l’entrée de la cellule. En général, l’irruption du surveillant général provoque toujours une réaction forte -même hostile- des occupants de la cellule. Là, entre le comateux, le ravi, et l’indifférent, c’est à peine si je suis accueilli par un ronflement souffreteux, un sourire hébété, un silence intentionnel ; sur fond de la musique débile que crachote la télé.
J’interpelle Yassine, pour l’obliger à me regarder. Il descend alors ses yeux vers moi, du haut de sa couchette, et m’adresse un énorme rot tout en me fixant dans les yeux. Pour toute réponse. Lui et Mamadou éclatent de rire. Je suis vexé par ce manque évident de respect à mon égard, mais bien décidé à ne pas me laisser décontenancer, je lui intime l’ordre de descendre pour parler. Il pousse un long soupir, pour bien me signifier sa mauvaise volonté, qu’il considère toute conversation avec moi comme inutile et non avenue. Puis se relève, et en prenant bien son temps, il descend avec mauvaise grâce de sa couchette. Il se plante devant moi, l’air interrogateur, me demandant ce que je lui veux. Avant même que je ne poursuive, il me rote littéralement à la gueule. Je sens son souffle chaud sur le visage, ainsi que les relents de son repas. Il rigole à nouveau, et se tourne vers Mamadou qui glousse de concert. J’essaie de couper court leurs rires en l’interrogeant au sujet du livreur qui me suit systématiquement le soir. Je compte sur l’effet de surprise de ma question. Qu’au pied du mur il vacille un peu.
-Il travaille pour toi ? demandé-je d’une voix ferme, pour faire preuve d’autorité.
Yassine se fige, prend le temps de réfléchir brièvement. Nous nous regardons en chiens de faïence un bref moment. Puis soudain, son expression figée se détend, et il me fait signe qu’il veut me dire quelque chose discrètement. Je tourne la tête, il approche son visage de mon oreille, et là, me décoche un rot long et fort qui me déchire le tympan. J’entends à peine le rire saccadé de Mamadou qui se délecte de la scène. Je suis hors de moi. Il faut que je m’impose absolument.
-Non, mais, ça va pas ? Tu vas me répondre tout de suite !
-Sinon, tu vas faire quoi ?
Ne se contentant pas de me défier, il attrape mon ceinturon, et commence à me soulever par mon pantalon. Il me maintient ainsi brutalement, la couture de mon treillis venant cisailler mon entrejambe, et je perds l’équilibre alors que cette position m’oblige à me tenir sur la pointe des pieds. Mes clefs fixées à mon ceinturon carillonnent sous l’effet de mes trémoussements sur place. Par réflexe, mes mains essaient de desserrer celle de Yassine. mais son emprise est si forte, que j’échoue à défaire sa poigne d’acier. Il me tient quasi suspendu, comme un fétu de paille. Sous l’effet de la douleur, je sens mes larmes qui montent aux yeux.
-S’il te plait, Yassine ! S’te plait !
Il me rote à nouveau en plein visage avant de de me redescendre un peu, sans pour autant lâcher la boucle de mon ceinturon.
-Alors, pour me montrer que t’es une bonne pute, tu vas lécher les pieds de Mamadou.
Il tire un coup sec pour m’attirer au plus près de lui, et éructe encore une fois, la bouche grande ouverte pour que je sente toute son haleine chaude et puante sur ma face. J’aurais voulu pouvoir appeler à l’aide, qu’on accoure me libérer de ce piège inattendu. Mais c’est impossible. Car rien ne justifie ma présence dans cette cellule. Je suis venu seul, et j’avais refermé la porte derrière moi, contrairement à toutes les règles en vigueur. Je suis terrorisé à l’idée de faire ce qu’il me demande. Mais c’est la moins pire des solutions, et il ne me laisse guère le choix. J’ai trop peur de ce que pourrait faire Yassine si je n’obéis pas. Il m’attrape la nuque, et me force à me mettre à genoux devant Mamadou qui assiste à la scène avec un air rigolard. Il est pieds nus dans ses claquettes Puma. J’ai le nez contre ses gros doigts de pieds pleins de corne. Yassine a lâché mon ceinturon, mais je sens sa main passer sous mon pantalon à l’arrière. Agrippant l’élastique de mon boxer, il tire dessus, le remontant le plus possible dans mon dos. Au point que je sens mon boxer me comprimer les testicules. De sa main droite sur ma nuque, il maintient mon visage sur les pieds potelés de son co-détenu ; de sa main gauche, il me tient en laisse par ce wedgie humiliant et douloureux. Le temps m’est donc compté si je ne veux pas souffrir davantage. Je m’empresse donc de retirer ses claquettes à Mamadou. Et je lèche ses pieds calleux. La peau en est plus claire sur le dessous, et sèche. Je sens chaque callosité avec ma langue, surtout quand je passe dans les interstices entre ses orteils. Sa voûte plantaire est râpeuse et l’odeur en est insoutenable. Yassine tire des petits coups secs sur mon boxer comme un cavalier éperonnerait sa monture trop lente pour m’obliger à m’activer. Mamadou semble satisfait de ce massage inattendu, ce que me laisse penser ses petits rires d’aise. J’ai toute avalé : les poussières, les saletés, les peaux mortes. Ma bouche finit par être sèche.
Yassine me dit enfin de me relever, sans pour autant lâcher mon boxer.
-Au tour de Jules !
-Mais il dort !
-Et ? Ça ne l’empêche pas d’avoir les pieds sales. C’est la bonne occasion de bien les lui nettoyer.
Et il me traîne au pied du lit de Jules. Ses pieds dépassent de la couverture. Ils sont décharnés et longilignes. La plante des pieds est noire tant elle est sale. Je sens l’épaisse couche de crasse couler dans ma gorge au fur et à mesure que je donne des coups de langue. Le goût en est âcre, au point que je suis pris de relents qu’il me faut réprimer. Des immondices se logent entre les orteils, que je dois avaler. Et surtout Yassine m’oblige à prendre en bouche chacun des doigts de pied. Les ongles trop longs de Jules, qui n’a pas dû les couper depuis des lustres, sont des véritables griffes qui me blessent le palais alors que je les suçote l’un après l’autre. Jules ne se réveille même pas tant il dort profondément. Les larmes ne quittent pas mes yeux, sous l’effet conjugué de la douleur et de l’humiliation. Quand mon calvaire arrive enfin à son terme, Yassine me relève, et inspecte mon visage rougi. Presque compatissant, il me dit :
-On ne peut pas te relâcher comme ça. Faut te laver le visage.
Maintenant sa prise sur mon boxer, et me conduisant par le nuque, il me pousse jusque dans le coin où se trouvent leurs sanitaires. Un petit lavabo, et une toilette métallique les composent, derrière un mur qui s’arrête à mi-hauteur. Il m’agenouille, et m’enfonce la tête dans la cuvette des chiottes. Il appelle Mamadou pour qu’il tire la chasse d’eau. Je tente de me débattre, sans succès. Je n’arrive pas à m’extraire. Je veux crier, mais au moment où mon hurlement sort de mes entrailles, l’eau froide de la chasse vient noyer mon visage. J’ai beau m’époumoner, je suis inaudible, mes gueulements produisant tout au plus des bulles d’air s’évacuant dans les égouts. Ils tirent l’eau deux ou trois fois, au point que je commence à étouffer. Je manque d’air. Yassine tire brusquement ma tête en arrière, et me fixe.
-C’est bon, t’as l’air propre.
Ce mouvement en arrière a fait que de l’eau est entré alors que j’inspirais. Je reste à tousser un moment. Yassine m’oblige à me remettre debout. J’ai les cheveux détrempés, et le haut de ma veste mouillée. Pendant que je reprends mon souffle, Yassine décroche les clefs de mon ceinturon. trouve celle de sa cellule, ouvre la porte. Il me tend alors les clefs. Il me rote encore une fois à la figure:
-Tu vois, mes rots ne sont pas si méchants que ça. Tu ferais mieux de t’y habituer.
Puis, un sourire ironique aux lèvres, faisant le geste de se branler avec deux doigts, comme s’il avait compris que j’étais mal monté, il m’ordonne de déguerpir.
-Va ausculter tes petites couilles dans ton bureau à présent.
Et il me donne une tape sur mes burnes, comme la fois précédente. Il part dans un rire sarcastique que rejoint le rire gras de Mamadou. Je m’enfuis piteusement hors de la cellule, sans demander mon reste. Je pense à refermer la porte, et pars en courant.
Médor fidèle
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