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Jour 13
Après ces deux semaines intenses, un week-end de repos bien mérité. J’ai pensé à emporter ce cahier avec moi. Je vais profiter d’être un peu au calme pour essayer de tout remettre à plat. Etre chez moi, et non plus au centre pénitentiaire, devrait me permettre de prendre un peu de distance. Car mon lieu de travail est trop rapidement devenu le théâtre d’humiliations répétées.
Qu’un détenu cherche à prendre l’ascendant sur un surveillant, je peux encore le comprendre. En comparaison de certains prisonniers, nous ne sommes que des agneaux, pas toujours bien préparés à la violence à laquelle nous sommes confrontés. Ni à leur imagination fertile pour ce qui est de multiplier les petites combines et les tentatives de coups tordus. Mais nous formons une équipe soudée, solidaire dans l’adversité, tenue par des règles professionnelles strictes. En m’écartant de ces règles ces derniers temps, je me suis mis à l’écart. Je suis seul pour me débattre dans la merde où j’ai plongé.
Qu’un surveillant général comme moi, après tant d’années de carrière sans l’ombre d’un accroc, se laisse ainsi dominer par ce qui n’est autre qu’une petite frappe reste incompréhensible. Il y a certes eu un faux pas originel. Mais il n’explique pas tout. Si Yassine a pu se glisser dans la brèche, c’est qu’elle était bien plus grande que je veux le croire, et qu’inconsciemment je le désirais. Peut-être cette envie couvait-elle depuis des années, et qu’elle ne germe que seulement. Yassine, en exploitant cette faille, n’a été que le déclencheur d’une faiblesse innée. Des années que je joue mon rôle, fier de mon uniforme-carapace. Des années que je me croyais fort, blindé, à toute épreuve. J’ai pour ainsi dire empilé différentes armures sur moi, me lovant dedans, me rassurant aussi. Mais telles des poupées gigognes, peu importe la taille impressionnante ou l’éclat de la décoration de la première, peu importe le nombre de couches successives, en allant vers le noyau, les dimensions vont décroissant. Jusqu’au cœur, minuscule. Malheureusement, l’épaisseur des cuirasses successives ne rendent pas plus fort ce qui se terre timidement au centre. Celui-ci, bien au chaud et couvé, est plus friable qu’un œuf. Ainsi étais-je : un Moi très faible, une personnalité sans envergure, une paire de couilles en cristal, emmitouflés sous un amas de protections extérieures. La pire des baltringues peut endosser la plus belle des armures de samouraï, elle ne sera jamais un véritable soldat. Cela fait donc des années que je trimballe ma carcasse, travesti en homme intègre et respectable. Si je respectais autant les règles, que je m’y accrochais comme la moule à son rocher, c’est qu’elles me permettaient de conserver un faux-semblant d’honorabilité.
Sans même avoir besoin de se donner la peine de mettre un grand coup de pied, Yassine avait brisé toute ma panoplie de farces et attrapes. Et me révélait que je n’étais qu’une larve. Ce qui m’avait définitivement fait sombrer, c’est que chaque humiliation m’excitait. Ma bite, ma petite bite, ma petite bite toute molle se dressait à chaque fois qu’il écrasait mes petites billes encore plus molles. En rentrant hier soir, j’ai ressenti une envie irrépressible de me branler. J’ai joui comme rarement. Les petites gouttes de mon jus brûlant ont sautillé hors de mon urètre en dansant. Pour mieux revivre la scène de l’après-midi et les sensations du moment, de la main gauche, j’ai même serré mes burnes.
Je suis mal monté, c’est un fait. Mais jusqu’à présent, je n’y prêtais pas attention. Pourtant, à la prison, je pouvais voir que j’étais en-dessous de la moyenne. Je ne me comparais pas. Je me satisfaisais de mon zizi, et de mes branlettes nocturnes.
Je suis pétri de honte aujourd’hui. Je ne cesse d’y penser, et de me déconsidérer comme mâle. Plus grave, je me vautre dans ma nullité. Mon humiliation me plait. Je m’y complais même. Sorte de syndrome de Stockholm sexuel. Je suis désormais à l’affût de tout ce qui peut me rabaisser.
Non pas que je sois sur le mauvais chemin. Car en cas d’erreur de direction, on arrive toujours quelque part à défaut d’arriver où on voulait aller. On peut corriger sa trajectoire ou revenir sur ses pas. Pour ma part, je suis définitivement entré dans une impasse, et une porte s’est définitivement refermée derrière moi. Etre pris au piège dans la cellule de Yassine fut le symbole tout entier de ma situation actuelle. Incapable de m’extraire de moi-même, je ne peux qu’endurer. Est-ce si différent de la vie que je menais auparavant ? Je n’ai somme toute jamais contrôlé ma vie. Mes supérieurs, personnification du système, me donnaient des ordres, auxquels j’obéissais comme un rouage, utile mais sans importance. Je remplissais une fonction, pas davantage. Je n’étais rien en dehors de cette fonction utilitaire. Jamais je n’ai été en tant qu’homme.
Je me regarde en face. Enfin !
Mais la frustration en moi est énorme. J’ai une envie irrépressible de me branler. Par impuissance, pour défouler ma rage. Pour me venger des humiliations subies, je repense aux détenus qui ont certainement une vie sexuelle aussi misérable que la mienne. Je me venge mentalement sur plus faible que moi. Comme souvent les enfants battus deviennent les tortionnaires de leur progéniture, je suis le souffre-douleur qui se fait bourreau. Je ris en me remémorant ce petit Asiatique à la bite si ridicule qu’il portait une prothèse de bite en caoutchouc pour faire plaisir à sa femme. Et ce mec qui se frottait dans les draps pour jouir ? Il s’agitait à grand renfort de couinements pour enculer son matelas. Que dire de l’éjaculateur précoce qui se jouissait dessus à la moindre excitation ? Les impuissants désormais inoffensifs ? Je me marre, tout en me sentant puissant à côté d’eux. Je jouis, épuisant ainsi mon jus.
Je suis un peu pacifié avec moi-même, l’excitation étant retombée à présent. Je vais commander à manger pour ce midi. Et profiter de ma journée.
Ouf !
Tranquille. Enfin !!!!
Je ne sais pas comment vivre après ce qui s’est passé cet après-midi. Incapable de rien. Je prends un anti-inflammatoire pour dormir. Je verrai demain.
Médor fidèle
toutouauxbottes@gmail.com
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