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Jour 5
Équilibriste car la direction a décidé que les trois flics participeraient dès aujourd’hui à la promenade collective. Exercice de haute-voltige. Nous savons la violence de l’accueil que risquent de leur réserver les autres détenus. Mais, tôt ou tard, il faut crever l’abcès et les inclure dans les activités collectives. Les laisser moisir reclus indéfiniment n’est pas viable. Les premiers jours, ils prendront cher, mais la violence finira par s’estomper au fil du temps. Et ils s‘intégreront peu à peu. Au début, il faut donc parvenir à assurer leur sécurité, éviter de trop grand débordement, tout en les mettant en contact avec tout le monde. On ne peut pas non plus trop les surprotéger. Cela donnerait l’impression qu’ils ont un statut privilégié et que nous sommes solidaires avec eux. Pour résumer, nous devions les jeter en pâture à une meute déchainée contre eux, tout en espérant qu’ils s’en sortiraient avec seulement quelques morsures. Et que les chiens enragés finiraient par se calmer.
J’ai dû leur annoncer cette décision. Leurs visages se sont décomposés. Il m’a fallu les convaincre du bien fondé de notre démarche. Devant leurs réticences, je leur ai proposé de choisir entre les deux alternatives possibles : à l’heure de la promenade, leur porte sera de toutes façons grande ouverte. Soit ils allaient dans la cour avec tout le monde, bénéficiant de notre protection. Soit ils restaient sans surveillance dans leur cellule. Si certains détenus venaient leur y rendre visite, nous ne pourrions rien faire pour eux. Sans surprise, ils optèrent pour la première option.
A vrai dire, je n’étais guère plus rassuré qu’eux. D’autant plus que j’étais, avec mes hommes, responsables de leur intégrité physique. Ils laisseraient sans doute quelques plumes au passage, mon rôle étant que ça ne dégénère pas davantage. Il y avait quelque chose d’ironique dans la situation. Moi et mes hommes, censés être leurs anges-gardiens, étaient d’un format physique plus petit que ces trois hommes. Ils étaient aussi mieux formés que nous au maintien de l’ordre. Leur présence comme détenus était même due au fait qu’ils avaient montré un peu trop de zèle dans leurs fonctions. Je me suis senti légèrement rassuré quand, au moment de les escorter jusque dans la cour, ces trois flics ont fait preuve de courage. Ils étaient inquiets, mais comme des gladiateurs qui allaient entrer dans l’arène : personne ne connaissait l’issue du combat qui se profilait, la situation étant imprévisible. Mais ils y allaient prêts à se battre, et à faire face à leur destin.
Une simple étincelle, et tout s’est enflammé. Dès notre arrivée dans la cour, un détenu les apercevant siffla entre ses dents. Tous les regards se tournèrent vers eux. Comme une vague qui gonfle sans prévenir sur océan calme, une clameur s’éleva, pour se transformer en tsunami sonore. Qui se fit oppressant physiquement. Certains s’avancèrent vers eux, vociférant. L’instinct grégaire conduisit la masse présente à bientôt les entourer, les apostrophant, les prenant à partie, prête à les bousculer. Nos injonctions à reculer eurent peu d’effet. Une pluie de crachats accompagnait les tombereaux d’insultes. Doigts d’honneur, gestes obscènes, coups portés, tout y passa. Des prisonniers s’attrapaient l’entrejambe en prophétisant qu’ils allaient les enculer. Ou d’un pouce passé sur leur cou, promettaient de les égorger. S’en suivi une mêlée générale. Nous étions dépassés par la situation, et pour finir, nous avons décidé de rebrousser chemin et d’extraire les trois flics, alors que la haut parleur intimait l’ordre de se calmer. Ils étaient tout tremblants. Voir ces gars bien bâtis, pâles comme des linges, céder à la peur m’impressionna. Il faut dire que face à cette foule hostile, ils étaient totalement désarmés. Ils en étaient venus aux mains, et vu la violence générale, j’étais presque étonné qu’ils ne s’en sortent qu’avec quelques coups et un œil au beurre noir pour l’un d’eux.
Equilibrisme car au plus fort de la mêlée, Yassine s’est approché de moi, et m’a susurré à l’oreille « T’es baisé, connard ». Le temps d’un instant, ça m‘a déstabilisé. Je n’y ai repensé que plus tard, et avant l’heure du diner, pour tirer ça au clair, je suis allé trouver Yassine dans sa cellule. Toujours cette odeur de shit qui flottait. Je savais que dans leur cellule, du cannabis, un portable, un chargeur et une carte SIM avaient été saisis. Ils risquaient une lourde sanction. Plus que tout, j’allais reprocher à Yassine la détention d’une autre carte SIM. Pourquoi m’en avoir confié une, alors qu’il en avait une seconde ? Avant même que je ne parle, il m’annonça le plus calmement du monde : « La puce que je t’ai filée, elle est neuve. Je m’en suis jamais servi. C’est dans celle qui a été saisie que j’ai mis mon message ». Ça a été comme un coup de massue. Ce petit con m’annonçait que dans la puce, désormais placée sous scellés et qui allait être passé au crible par des collègues afin de remonter l’historique des communications et recherches internet, se trouvait un message qui m’était destiné. Peu importe la teneur du dit message, sa seule présence pouvait me faire plonger. « Tu ferais mieux d’aller la barboter. Je te tiens par les couilles ». Et comme un point final à notre conversation, un grand sourire sur son visage, il termina par un ironique « chef » final, suivi d’un petit rire caustique.
Je suis sorti sans même répondre, pris d’une colère froide. Yassine m’avait roulé dans la farine depuis le départ. Il avait anticipé toutes mes réactions, mes refus de rentrer dans son jeu, et avait patiemment refermé son piège sur moi. Il m’obligeait à commettre une nouvelle faute : ouvrir des scellés pour subtiliser un élément compromettant. Il liait mon destin au sien, en me prenant dans son engrenage tordu. Par précaution, je me devais de récupérer cette puce, car faire le pari d’un bluff de sa part était trop risqué.
Médor fidèle
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