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Jour 14
Déchiré. Dans tous les sens du terme.
Je suis brisé. Moralement et physiquement.
Hier a été la pire journée de ma vie. J’ai vécu un calvaire, qui m’a semblé durer des heures.
Il faut que j’arrive à remettre mes idées en place. Et à retrouver la chronologie des événements.
J’écris allongé à plat ventre sur mon lit. Car je ne supporte pas la position assise. J’ai du mal à marcher.
Je ne peux me confier à personne. Et j’ai peur que d’autres apprennent ce qui s’est passé hier.
L’interphone sonne. C’est le livreur qui apporte le repas que j’ai commandé plus tôt. J’ouvre. Ma méfiance naturelle m’oblige toujours à n’ouvrir ma porte palière qu’après avoir vérifié à travers l’œilleton. C’est bien lui. Puis out est allé très vite : le temps qu’il me tende ma commande, de part et d’autre de lui, quatre silhouettes s’engouffrent dans l’embrasure de ma porte. Je viens à peine de récupérer le sac qu’ils sont déjà dans mon entrée. Je remercie dans la précipitation le livreur qui ne comprend rien à la situation, et qui s’empresse de partir. Ils ne sont déjà plus dans l’entrée, mais dans mon salon. Je m’apprête à protester, lorsque je reconnais Ayoub parmi les intrus. Il a un large sourire. Mon sang ne fait qu’un tour. Il avait promis de se venger, et là, je le vois dans mon salon. Accompagné de trois potes. Je reconnais ensuite le grand type dégingandé, avec sa capuche sur sa casquette. C’est celui qui me suivait à la sortie de la prison. Je connais pas les deux autres.
Le plus gros des quatre est aussi le plus grand. Ses deux mains glissées dans la poche de son sweat à capuche XXXL, pantalon beige de charpentier Carharrt, pompes de skateboard Osiris, il a une casquette de baseball vissée sur la tête. Tout est extra large et démesuré chez lui. Il doit être châtain, ce que laisse deviner sa barbe de trois jours qui lui donne l’aspect d’un gros ours mal léché. L’autre que je ne connais pas est son exact opposé physique : petit et fin. Il a un look aussi étudié que l’autre est foutraque. Jeans près du corps savamment délavé, dont l’ourlet remonté dévoile les chaussettes fantaisies à motif de camouflage militaire. Elles font écho aux trois bandes également en camouflage de ses Adidas Superstar blanches. Son léger Bombers gris clair est ouvert jusqu’au milieu du torse, laissant voir un simple T-shirt blanc. Pendent à son cou un amas de différentes chaînes et pendentifs, tous en argent. Des bagues viennent orner ses mains. Ses petites lunettes rondes cerclées donnent un air intello à son visage long et émacié. Un tatouage longiligne parcourt son cou jusqu’à l’arrière de son oreille droite. Peau mate et cheveux noirs plaqués, impeccablement peignés.
C’est la première fois que je peux clairement voir les traits du livreur qui me suivait ces derniers jours. Ce grand échalas a le visage encore poupon d’un ado qui a grandi trop vite. Touffe de cheveux crépus, peau noire intense, grands yeux. Son corps flottille dans son survêtement en nylon légèrement trop court. Il a l’élégance des quartiers, entre son ensemble Lacoste bleu foncé, ses chaussettes blanches de sport et ses TN noires. Et l’accessoire qui ne trompe pas : la pochette Louis Vuitton de contrefaçon en bandoulière. Il tient son immuable casquette New York Yankees noire à logo blanc dans la main.
Ayoub arbore un large sourire. Le sourire de celui qui a enfin atteint son but, et qui se réjouit d’avance de ce qui va suivre. Il porte le maillot de foot de l’équipe algérienne, blanc à bandes vertes. Son jogging blanc Nike moule ses cuisses épaisses, et même ses mollets de sportif. Il trépigne comme un taureau prêt à charger, en frappant ses Puma multicolor sur le parquet. Son visage me parait plus large qu’avant. Il a une bouche carnassière, la mâchoire carrée, les yeux perçants. Il s’est fendu un balayage blond dans ses cheveux noirs, coiffés sur le côté. Tous ses gestes sont nerveux mais précis à la manière d’un félin. Ayoub est comme un panthère, qui jamais ne lâchera sa proie. Flanqué de ses trois potes, il me fait peur. Il est grand et surtout acharné. Il ne pardonne pas. Je sais qu’il m’en a voulu pour ce séjour au mitard. Il me crachait ouvertement à la gueule et à celle de l’institution lors de sa détention. Me voilà seul, sans protection face à lui. Qu’a-t-il exactement dans la tête ?
Les sacs remplis de victuailles qu’ils ont avec eux me laissent penser qu’ils sont venus pour rester. Et de fait, ils sont restés.
Je dois encore me concentrer pour me remémorer tout ce qu’ils m’ont fait subir. J’écris avec difficulté. Mon corps est pétri de douleur. Je n’irai pas travailler demain de toutes façons.
Me reposer.
Médor fidèle
toutouauxbottes@gmail.com
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