Première saison | Épisode précédent
Saison 2 | Chapitre 2
Mercredi. Je prends en charge une nouvelle patiente.
Madame C., 82 ans, avec une épaule luxée suite à une chute. Elle vit seule et il est primordial qu’elle retrouve rapidement une mobilité suffisante pour effectuer les gestes du quotidien. Rien de fou donc, sauf que sa chambre est juste à côté de la sienne. Pressé et ayant la flemme de faire un détour de ouf je passe donc devant sa chambre ouverte. Malgré moi je ne peux pas me retenir de jeter un coup d’œil furtif à l’intérieur. J’ai le temps de voir qu’il est dans son lit, couché, la tête dans son oreiller, tournée vers la fenêtre.
Le voir me fait plus d’effet que je ne l’aurais cru. Depuis le début de la semaine, entre le rythme plus que soutenu de mes journées et le stress lié à l’absence de nouvelles du comité, j’ai parfaitement réussi à occulter ma peine et ma colère. Mon cœur s’est mis à battre comme un dingue, et une chaleur vraiment déplaisante s’est emparée de moi.
Je frappe à la porte de ma mamie.
- Bonjour Madame C. ! Je suis Mickaël, votre kiné, qui va vite vous faire sortir d’ici !
Elle me sourit.
- Oh… vous savez à mon âge à part les chutes rien n’est plus très rapide…
J’éclate de rire.
- Vous dites ça parce que vous ne me connaissez pas encore !
Je m’approche pour l’aider à se lever. Elle est tout à fait capable de marcher correctement.
- Et puis vous savez… si être ici signifie passer du temps avec un aussi joli garçon je ne suis pas certaine d’être très pressée de sortir.
Nouvel éclat de rire partagé.
- On y va ? Je suis pas sûr que vous me trouviez aussi charmant quand vous aurez vu ce que je vous réserve !!
Nous sortons donc tout doucement, parce que même si elle marche très bien, la mécanique n’est plus aussi rapide ni habile qu’elle a pu l’être. Dans le couloir, je prends un second coup de chaud. Il est là. Debout devant la porte de sa chambre. Il a dû m’entendre parler, les cloisons ne sont pas épaisses donc forcément… Nos regards se croisent quelques secondes alors que j’assure un appui à ma patiente.
- J’espère que vous avez prévu du temps supplémentaire pour le trajet.
- Ne vous inquiétez pas, prenez votre temps…
Alors que bien entendu, j’ai juste envie de lui répondre de se bouger son vieux cul !!
On passe devant lui. Son regard est particulièrement sombre et intense, alors que le mien ne doit lui renvoyer que de la colère et du reproche. Je peux remarquer qu’il a vraiment une sale tronche, ses yeux plombés par des cernes de malade. Ses lèvres miment quelques mots que je crois comprendre comme « j’ai besoin de te voir ». Mon cœur se remet à battre comme un ouf dans ma poitrine en martelant mes côtes. Les quelques secondes que nous mettons à le dépasser me semblent interminables, comme si la scène se passait au ralenti. Puis enfin il est derrière nous. Nous arrivons devant le bureau des infirmières, et cette fois, j’ai l’impression que mon cœur manque une dizaine de battements.
Les 3 vieux du comité sont là, en train de discuter avec les infirmières présentes, et comme fait exprès, la pute est là aussi putain… Ils me regardent passer et me fixent en se taisant. Aucun doute sur la raison qui les a poussés à faire le déplacement.
Je poursuis ma séance avec Madame C. En étant un peu distrait, comme déconnecté. Mais je crois que j’arrive quand même à assurer. Puis nous remontons, toujours très doucement… Je l’aime bien, elle est tranquille, elle ne se plaint pas pour un oui ou pour un non. Nous repassons donc devant sa chambre et cette fois, il devait m’attendre car sa tête est tournée vers la porte, et donc vers moi.
Je raccompagne ma patiente jusqu’à son fauteuil.
- Je vous remercie jeune homme, vous êtes très gentil…
- Vous êtes plutôt cool aussi !
Je lui fais un clin d’œil, elle me sourit en minaudant faussement, et je m’en vais en rigolant. Je dois passer à la pharmacie pour ma prochaine consult et grâce à la rapidité de ma petite vieille je n’ai pas le temps de contourner sa chambre. Il m’attend à nouveau à la porte.
- Mika…
Je lui balance sans prendre la peine de m’arrêter ni de le regarder :
- C’est vraiment pas le moment là.
Les gens du comité ne sont pas en vue. Sérieux pourquoi ils commencent pas par me convoquer… bon ! Je n’ai rien à défendre en vrai, j’ai merdé, de la pire des façons, et je sais que mon comportement n’est pas le moins du monde défendable… mais au moins je saurais ce qu’ils ont derrière la tête… même si c’est évident en fait… ils montent un dossier sur ma gueule… Et j’enchaîne mes consults sur le même rythme d’enfer.
Ma journée terminée, je vais me faire un café en salle de repos. Je n’ai pas mangé à midi, j’ai plus de jus, et une bonne dose de caféine me fera le plus grand bien. Je cherche une tasse que je lave et quelqu’un entre, c’est la pute.
- Ah… euh… bonjour Mickaël…
Je ne réponds pas. Elle s’approche, visiblement pas très à l’aise.
- Je voulais te dire… euh je suis désolée de…
Je lui parle sans même me retourner et la regarder.
- Désolée de quoi ? De t’être fait prendre, une fois de plus, en train de te taper un patient ? Ou peut-être d’avoir bavé sur ma gueule dans tout l’hôpital ? Dans les 2 cas, j’aurais pensé que tu t’y étais habituée depuis le temps…
Je me fais couler mon café. Je kiffe même pas la faire galérer là, je voudrais juste qu’elle disparaisse.
- Oui euh… enfin je suis désolée… je ne savais pas que vous deux vous étiez ensemble…
Elle a dit ça très vite, sûrement par crainte que je ne la coupe encore. Ma voix est glaciale.
- Alors ça excuse tout bien évidemment !
- Je ne veux d’histoires avec personne, tu comprends…
- Ouais, t’en as assez comme ça je crois !! C’est pour ça que tu restes bien sagement à ta place sans t’occuper de la vie des autres ?
Sérieux, mais quelle conne !!!
Elle n’a vraiment honte de rien putain ! Et je ne suis même pas sûr qu’elle comprenne la notion de sarcasme. Et dire qu’il m’a fait cocu avec une meuf pareille…
- Nan, mais Mickaël, tu comprends en fait
- Écoute y a rien à comprendre ! Le sujet est clos !
Je prends mon café et quand je passe devant elle :
- Vous allez vous remettre ensemble ?
Je m’arrête net, sur le coup je n’en crois pas mes oreilles. Elle me donne chaud cette connasse.
- Je crois t’avoir dit que le sujet était clos.
- Nan parce que… de toute façon… ça faisait 10 minutes et j’arrivais même pas à le faire bander al…
Je viens de la couper en la collant violemment contre le mur, ma main gauche fermée sur sa gorge de merde. Quand je parle, c’est toujours de cette même voix froide.
- Tu comprends pas vite toi hein ?!?
Elle se débat, mais dans mon état elle peut toujours essayer.
- T’es qu’une pute. T’entends ? Une sale petite pute. Je le sais. Tu le sais. Tout le monde le sait. Je veux plus t’entendre parler de cette histoire t’as pigé ? Je ne veux plus jamais que tu parles de moi, pour quoi que ce soit ok ? D’ailleurs je veux plus entendre le son de ta putain de voix. Je veux même plus que tu me regardes c’est clair ?!?
Dans sa lutte pour se libérer, elle balbutie des mots incompréhensibles.
Je resserre encore ma prise.
- C’est clair ?
Cette fois elle hoche distinctement la tête.
- Très bien.
Je la lâche, et elle se barre en chialant.
Je me passe la main qui tenait mon café sous l’eau froide, j’en ai renversé, ça me chauffe un peu, mais curieusement cette douleur m’apaise, elle me fait du bien. Puis tout retombe… Putain, mais qu’est-ce que je fous en vrai… sûr qu’elle mériterait bien pire cette chienne, mais sérieux j’ai déconné… je n’aurais jamais dû faire ça… mais elle n’aurait jamais dû parler de ça devant moi… même si ce n’est pas à elle que j’ai envie de m’en prendre…
J’avale mon café en vitesse pour rentrer chez moi, j’en ai marre là…
Je repasse par le bureau des infirmières reposer mon dernier dossier de la journée. Élisabeth est là.
- Qu’est-ce qu’ils vous voulaient tout à l’heure ?
Elle se rapproche et me parle en chuchotant.
- Ne parle pas trop fort, ils sont dans la chambre d’Hakim…
- Quoi ?!!
- Chut… ils nous ont posé des questions sur vous… Ils voulaient savoir si on était au courant d’une éventuelle liaison entre vous. On a tous répondu qu’on ne savait rien, que tout semblait bien se passer, qu’il avait beaucoup progressé depuis que tu avais pris son dossier en charge… on s’en est tenu ça… ce qui aurait de toute façon été la vérité si l’autre avait évité de parler de vous dans tout le service.
- Tout le monde a répondu ça ?
- Tout le monde.
J’ai l’impression qu’un poids énorme m’est tombé dans l’estomac.
- Ça fait combien de temps qu’ils sont avec lui ?
- Je ne sais pas, j’étais de l’autre côté et je les ai vus quand je suis passée devant sa chambre en revenant ici.
- Ok… Merci…
Ils sortent de sa chambre au moment où j’allais partir. Sa chambre est à une quinzaine de mètres du bureau et me voyant sur le point de m’en aller ils m’interpellent.
- Monsieur T. !
Bien sûr je ne bouge pas. Ils s’avancent vers moi.
- Vous savez pourquoi nous sommes ici ?
- Je vous écoute.
La meuf me prend de haut.
- Ne jouez pas au plus malin avec nous !
Je la fixe sans ciller. Le vieux que je croyais endormi lors de ma première convoc prend la parole.
- Nous devons éclaircir la situation avec Monsieur M. qui soulève quelques interrogations jeune homme.
Au moins il ne m’a pas appelé son garçon. Je ne réponds toujours pas.
- Nous nous entretiendrons demain matin à 11h, ici, en salle de réunion principale.
- J’ai des consultations,
- Alors, débrouillez-vous pour les déplacer !
Putain… elle m’a vraiment dans le nez elle.
- Très bien !
Et ils se cassent. Je vais à nouveau dans le bureau pour checker les patients que je dois décaler. Putain je suis soulé. Et puis qu’est ce qu’il a pu leur raconter en plus… Je replace mes dossiers, je me retourne, il est là.
- Mika faut vraiment qu’on parle là.
- Vas te faire foutre ! Je crois que t’en as assez fait !
Il essaie de me retenir, mais je l’esquive.
- Mika sérieux c’est important wallah !
Je pars en direction de l’ascenseur. Le bruit de ses béquilles m’indique qu’il me suit.
Du coup je préfère les escaliers que je suis tout à fait en mesure de descendre bien plus rapidement que lui.
Mickaël
one.mik.kal@gmail.com
Autres histoires de l'auteur : La promesse, +1 histoire en accès avant première