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Agriculteur | S20 Payer mes dettes

1 | Ragaillardi – Le récit de Jérôme

-" On pourrait fa-facilement t-te faire chanter, t-toi, Jé-érôm' !"

J'avais terminé mon service du matin à l'institut et je prenais le temps d'un café, seul à une table du réfectoire quand Thomas quitte sa place avec ses potes mais pour venir s'asseoir en face de moi avec son bol de chocolat.

C'est un gentil ado. Marqué par un accident lors de l'accouchement. Outre les difficultés d'une élocution hésitante, ses membres sont toujours à la traîne et son visage, brusquement, se crispe de tics en rafales mais en garçon fort bien éduqué et toujours souriant, il parvient à manier l'humour ; l'accès à cette forme d'abstraction étant plutôt rare parmi nos pensionnaires, il aime à s'y essayer avec les adultes ; aussi, lui et moi sommes souvent complices.

Autant dire que, venant de lui, la remarque qui me cueille le nez dans ma tasse, me surprend et me glace le dos. Je ne me leurre pas un instant sur ce qui est visé. Qu'a-t-il bien pu saisir dans mon comportement, mes attitudes et qu'est-ce que sa sagacité en a déduit pour qu'il s'autorise une menace aussi directe ? Mais la quête des causes de son allusion ne m'arrête qu'un bref instant, j'y reviendrai. Pour le moment, il y a urgence et elle est vitale, me semble-t-il.

Je relève vers mon interlocuteur un visage impassible qui se fend lentement d'un sourire convenu alors qu'il me fixe d'un oeil goguenard confirmant que j'ai donc bien compris !

Je ne sais quel réflexe de survie me fait agir de la sorte à ce moment précis ; je tends le bras, saisis le buvant de son bol délicatement entre deux doigts, l'incline vers lui, plus encore, jusqu'à ce que le liquide chaud s'en échappe, se répande sur la table et, de là, cascade sur ses cuisses.

Il a levé les bras au ciel et crié, reculé d'un bond sur sa chaise, effaré. Lancé un cri rouillé, grinçant. Je repose calmement le bol.

-" Que se passe-t-il ici, Jérôme ? Thomas ?

Le responsable du pôle adolescents, mon chef, que je n'ai pas vu entrer, s'approche de nous, ses yeux vont et viennent de l'un à l'autre.

- " Ce n'est rien, Thomas a commis une maladresse, on en mesure les effets."

Mon regard ne quitte pas celui de Thomas, exact écho à la sérénité avec laquelle je réponds à la question qui m'est posée ; mais Thomas, lui, parait pétrifié.

- "Va vite te nettoyer et te changer, Thomas."

Thomas parti, mon supérieur pose sur moi des yeux pleins d'une sollicitude cependant pimentée d'une pointe de curiosité.

-" Il s'est passé quelque chose, Jérôme ?"

Mais face à ma mimique candide et un hochement de dénégation, il n'insiste pas.

C'était hier matin et aujourd'hui, alors que je veillais au bon déroulement des sorties, Thomas est venu me trouver de son pas traînant, l'air contrit, le regard tressautant tant il peine à me fixer.

-" Je ... ex-cuse-m-moi, Jérôme."

Alors je lui souris, largement, avec les yeux et avec le coeur. Sincèrement.

-" Ce n'est rien, Thomas. Tout le monde peut commettre une erreur, ça nous sert de leçon. J'espère que tu n'as pas été brûlé dans l'incident."

Il secoue exagérément la tête d'un côté l'autre, relève vers moi son visage illuminé par un sourire de soulagement puis me salue militairement et s'éloigne, joyeux, vers le véhicule sanitaire qui le ramènera chez lui, marchant comme entravé et les bras repliés en ailes d'oisillon déplumé, tout de guingois.

Vrai, je l'aime bien, ce môme.

Mais cet épisode me laisse songeur ; éducateur, professionnel du secteur médico-social travaillant auprès d'adolescents vulnérables, mon attitude se doit d'être toujours clairement déchiffrable et sans ambiguité. Je me fais un devoir d'être irréprochable mais aussi particulièrement vigilant, surtout depuis que je ne fais plus vraiment mystère d'une inclination sexuelle susceptible de m'exposer à des soupçons, ceux-ci étant d'autant plus impondérables qu'ils ne peuvent être qu'infondés et relèveront d'une rumeur forcément sournoise.

Peut-être devrais-je en toucher deux mots à ma hiérarchie ...

Et c'est en proie à ces préoccupations que je m'empresse de rejoindre Julien, il m'a prié de réserver ma soirée et m'a donné rendez-vous au Bar du Midi ; d'ailleurs je l'aperçois en terrasse.

Aussitôt qu'il me voit, il quitte sa place et vient à ma rencontre. Il me salue et me prend le bras pour me faire faire demi-tour avec un petit rire.

-" Viens, je t'emmène aux bains, j'ai une dette à régler."

Comme je devine à son air de conspirateur qu'il ne me dira rien de plus, j'obtempère sans barguiner. Dites-moi, serait-ce la journée internationale de la contrition dont on ne m'a pas tenu informé ?

Arrivés au sauna tout proche, nous nous déshabillons, fixons à nos chevilles le bracelet qui contient à la fois la clé du casier, le préservatif et le lubrifiant offerts par cet établissement responsable, entourons notre taille de la serviette fournie puis nous prenons le chemin des douches. Forcément communes, dans ce type de lieu.

J'apprécie la chaleur de l'eau qui cascade d'abord sur mes épaules, les détend puis je me retourne, face à la paroi, et laisse l'eau détremper mes cheveux puis ruisseler sur mon visage que je relève vers sa source, elle ruisselle sur mes paupières, dans ma courte barbe ...

Deux mains se sont posées symétriquement sur mes épaules, comme des souffles frémissants qui ensuite s'affermissent. Les grandes mains, à la fois fortes et douces de Julien, qui d'autre ?

Soudain, l'envie me vient.

L'envie de m'en remettre à lui. Qu'il s'occupe de moi, lui, Julien, qui m'a hissé jusqu'à la lumière, qu'il me débarrasse des miasmes qui polluent présentement ma vie. Un abandon total pour qu'il prenne soin de moi aussi bien qu'il sait le faire ; fermer les yeux et me laisser guider, selon son bon vouloir.

Sa queue brûlante se presse contre ma fesse puis glisse jusqu'à trouver sa place, dressée dans mon sillon, provisoirement comme simplement en appui, le temps d'une pause avant de m'embrocher, ses mains m'enveloppent et le reste n'existe plus. Je suis bien ainsi, entouré. Ses lèvres à mon cou me tressent un collier de douceur parmi les filets d'eau, des empreintes légères et rondes comme des perles chaudes ; alors je lui tends le cou, l'incline, le renverse, l'arrondis, quêtant ses baisers.

S'il te plaît, encore un !

Il m'a pris par la main et m'entraîne à sa suite comme un enfant, tous deux dégoulinants et bandants comme des boucs. La porte de la première cabine libre claque dans notre dos et je veux tomber à genoux mais il me retient à deux mains, me redresse, me place les épaules en appui au mur. Sa main cueille mes couilles et il me décoche un regard qui me cloue, sans volonté.

Il s'affaisse et m'engloutit.

C'est si puissant et si voluptueux, si grisant et, à la fois, si soudain aussi qu'un spasme me secoue, une éructation volcanique. Je crie et m'arrache à son insupportable succion pour basculer vers l'avant, les coudes sur la banquette, cul pointé et cuisses ouvertes. Il plonge, le visage dans ma raie, l'apex de sa langue vibrionne sur ma pastille et m'électrise. Je n'ai qu'une hâte, putain, mais qu'il me remplisse ! Vite !

Comme avant, au temps de mes ivresses.

Bruit du scrach. Il se relève. Le latex claque. Le gel visqueux s'écoule dans la broussaille de ma raie et, immédiatement, sa main, majeur en éperon, vient épouser mon cul, masse et perce à la fois. Je pousse et me régale de ce doigt qui avance en moi, me fore, frétille pour me détendre tandis que je canalise ma respiration.

Maintenant son doigt circule aisément et je frissonne. Il tapote sa queue dure sur ma fesse, la guide et, d'un coup de rein, la niche. Ses deux pognes accrochent mes hanches, je casse mon rein, je rugis en même temps que je souffle et qu'il m'enfile. Je le veux en moi, ma complétude ; sa touffe s'écrase sur mon coccyx, je pousse encore.

Là, ça y est. Je devine que nos rythmes cardiaques ralentissent quelque peu.

D'un coup, il m'a échappé. Il me claque une fesse.

- "Retourne-toi."

J'ai roulé sur le dos à plat sur le matelas dans sa housse de skai sombre, le cul dans le vide, j'attrape mes creux poplités à deux mains et Julien s'inscrit dans le V vacillant que dessinent mes cuisses ouvertes, sa queue comme un sceptre.

- "Tu te souviens de la dernière fois que tu m'as rencontré ici, comme j'ai été lamentable ?"

Il plisse ses yeux, agite sa bite comme un hochet.

-" Aujourd'hui, on répare si tu veux bien."

Oui, Julien ! Quelque soit la raison qui te motive, je m'en fiche. J'ai juste terriblement envie que tu me fourres, que tu te plantes droit en moi, les yeux dans les yeux, jusqu'à ...

- "Ahhhh !"

Tout s'est effacé. Le salaud, qu'elle est bonne la queue brûlante qu'il pousse souplement en moi. Maintenant, il me lime, régulier, appliqué et moi, la houle me soulève à chaque passage, j'en suffoque, les pieds battant la breloque à l'extrémité de mes jambes qui dansent vers le plafond. Je m'efforce de me creuser pour l'avaler plus loin encore à chacun des coups de rein secs par lequel il couronne ses retours dans mes profondeurs. Je le regarde, sa mandibule avancée et crispée, sa respiration courte, ses yeux durs. Il s'abstrait pour lutter contre sa pulsion, celle de m'expédier en deux ou trois coups de rein sauvages suivis de l'éclair éblouissant mais fugitif de la jouissance avant le noir.

Lui, il cherche à nous faire durer.

Alors je lui cède, je m'ajuste, me détend, pour le retenir mais sans trop le contraindre, pour nous faire gagner l'étourdissement de quelques étincelles supplémentaires.

Il m'a compris ! Mes yeux le lisent dans les siens qui maintenant pétillent ; quand nos lèvres hésitent entre un sourire complice et une béance de suffocation, on s'accroche, l'un retenant l'autre et réciproquement, fiers de notre accordance, de cette fine entente.

Et c'est elle qui nous perd !

Il se dresse soudain sur ses orteils, tendu comme un arc, bassin lancé vers l'avant quand ses mains en griffes me ramènent à lui. Tout autant, je me cramponne à lui, mollets croisés dans ses reins pour nous souder, pour résister à cette séparation qui va advenir, au froid de ce vide que j'anticipe.

Ses épaules sont secouées de sursauts et s'affaissent, il s'enroule sur lui-même, nuque cassée puis s'écroule entre mes bras. Nous roulons enlacés pour trouver une position plus confortable sur la banquette. Un petit rire me secoue.

- "J'ai rajeuni de cinq ans, comme au début de notre rencontre, lorsque tu m'as dessillé les yeux."

Je vois se redresser l'arrondi d'une épaule et j'aperçois un oeil sombre vaguement confus.

- "Vrai, ça va ? J'avais imaginé nous embarquer dans un tout autre scénario plus ..."

Je ris et bascule ma tête vers l'arrière pour emplir d'air mes poumons dans une profonde inspiration revigorante que je retiens quelques secondes. Puis je me relâche et lui souris.

-" Mais Julien, tu m'as toujours tellement bousculé que, de toi, je n'attends rien de prévisible ou de routinier. Là, c'était puissant, impétueux, impérieux ... comme "avant" mais avec la clairvoyance et la confiance d'aujourd'hui, l'assurance qui nous permet de lâcher prise en pleine conscience. Et tu m'en vois tout ... ragaillardi."

Je me soulève sur un coude, me penche sur lui pour embrasser ses lèvres.

-"Merci, mon ami !"

Amical72

amical072@gmail.com

"J'aime entendre le bruit de mes potes / et boire des blondes jusqu'au matin / ce sont mes amis, je me moque / de ce que pensent les voisins ..." Elmer Food Beat : Le bruit des potes

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