1 | Changement climatique – Le récit de Julien.
"ON N'ÉCRIT PAS UN CONTE POUR DISSIMULER UNE
SIGNIFICATION, MAIS POUR DÉVOILER, POUR DIRE À PLEINE
VOIX, DE TOUTES SES FORCES, CE QUE L'ON PENSE."
EVGUENI SCHWART (1896 / 1958)
Assis sur mon tabouret au bar du sauna où je suis venu tenter de me consoler de la désertion inexpliquée de Mehdi qui me laisse un goût amer, je regarde le spectacle désolant qu’offrent les participants à ce simulacre qu'est le puppy play quand une main me tape sur l'épaule.
- "Salut Julien!"
- "Tiens ... salut, toi."
C'est Jérôme, le "petit taureau", la tête toujours auréolée d'une couronne de cheveux bouclés et de sa barbe, hirsutes, mordorés, l'oeil brillant, avec ce corps puissant qui lui vaut son surnom, couvert de poils mousseux semés de lumineux éclats de blondeur ... Il est à peu près de ma taille mais doit avoir quatre, cinq ans de moins. On ne s'est pas vus de plusieurs semaines mais son sourire radieux laisse à penser qu'il est en pleine forme.
Il a baissé les yeux sur mes cuisses et s'est immobilisé quelques secondes, perdu dans ses pensées et moi je repense à notre rencontre, il y a quoi ... quatre ans, cinq peut-être ... Plaisants souvenirs que je vous ai précédemment narrés par le menu.
La réminiscence de ces images, ces sensations retrouvées ont-elles provoqué un émoi naturel visible alors que je suis assis sur ce tabouret au bar du sauna ? Est-ce que Jérôme m'observait ? L'aura-t-il remarqué ? Soudain, il glisse furtivement sa main sur ma cuisse, la remonte sous ma serviette pour venir, du bout de ses doigts, caresser ma bite en plein réveil.
Puis il m'invite d'un coup de menton.
" Laisse jouer les gentils toutous qui rapportent la baballe à leur maitre en carton bouilli ... Viens! "
Et aussitôt, je descends de mon tabouret pour lui emboiter le pas dans le couloir, les yeux fixés sur le balancement cadencé de ses belles épaules, de son dos puissant, sur l'ombre de ses poils.
Soudain, une bouffée d'hormones me monte à la gorge, me tourne la tête. Je bande pour le cul de Jérôme, tout est oublié, rien d'autre n'existe plus.
Je le suis dans la première cabine qui se présente à nous, me rabats dos à la cloison pendant que, d'une main qui traine, il abaisse le loquet qui nous protège de toute irruption et qu'aussitôt nos bouches se soudent, nos langues se retrouvent, reprenant une conversation dont, même si elle s'est espacée, nous retrouvons aisément le fil. Goulument.
N'ai-je pas trouvé là exactement l'oubli que je suis venu chercher, idéalement entre de bonnes mains, familières de surcroît, dont je peux espérer qu'elles sauront me dispenser le baume bienfaisant dont j'ai si cruellement besoin pour effacer la blessure du départ de Mehdi ?
A deux mains, j'encadre son visage, les paumes sur le poil dense de la barbe qui couvre ses joues, la pointe de mes doigts s'égarant sur ses tempes dans ses frisettes légères, retrouvant avec joie ce contraste pileux. Les siennes glissent de mes épaules le long de mon torse pour dénouer ma serviette. Il s'agenouille et quand ses lèvres enserrent mon gland, quand sa bouche engloutit voluptueusement ma queue brûlante, des bulles de champagne pétillent dans mes veines, éclatent dans ma tête. Je suis revenu au jardin d'Eden.
Mais d'un coup, quelque chose monte dans mon ventre, soulève mon diaphragme. Ma salive, brusquement, devient abondante et glacée ... j'ai déjà débandé. Lamentablement.
Jérôme glousse en agitant ma queue soudainement flasque entre deux doigts et, soudain, je suis envahi par une terrible honte, celle de ma défaillance.
Une manifestation intempestive du changement climatique vient y ajouter une crue exceptionnelle qui enfle à grande vitesse et le niveau vient affleurer le déversoir de mes yeux qui se noient. Jérôme s'est redressé et m'entoure de ses bras.
- "Que se passe-t-il, Julien?"
Mehdi. Ou, plutôt la conscience aiguë de son absence me revient alors comme une giffle d'eau glacée. Un sanglot sec me soulève et s'étrangle dans ma gorge. Je murmure cette phrase qui trotte dans ma tête depuis que je l'ai lue au revers de cette satanée enveloppe : "Je préfère qu'on ne se voit plus. Désolé."
Je cligne des paupières, deux gouttes m'échappent et tombent lourdement, rebondissant en mille éclaboussures. Plic, ploc !
Jérôme m'enveloppe de ses bras quelques minutes pour me permettre de me ressaisir puis il ajoute :
- "Viens, sortons."
Nous marchons côte à côte sur la longue et large allée sablée qui traverse le parc. Je garde les yeux baissés, concentré sur cette chose qui m'oppresse.
Et je lui raconte Mehdi.
Tout Mehdi.
Amical72
amical072@gmail.com
« we only said goodbye with words/ on s’est dit au revoir seulement avec des mots - i died a hundred times/je suis morte des centaines de fois - you go back to her/ tu es retourné vers elle - and i go back to black/ et je suis retourné dans le noir » Amy Winehouse, larguée, déglinguée, chante « back to black »
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