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Agriculteur | Saison 23 | La saison du rut

1 | Œil noir – Le récit de Julien.

À qui me demanderait tout à trac de justifier ce qui me pousse à aller au sauna aujourd'hui précisement, je ne manquerais pas de motifs valables à opposer.

D'abord, on est fin novembre et, en forêt, c'est encore la saison du rut. Ensuite, les jours sont courts, mais malgré le temps humide et frisquet, je bosse depuis tôt ce matin, à la lueur des phares du tracteur, dans le ronronnement sourd du moteur.

Alors j'ai bien droit au repos du guerrier.

Ensuite, pour combattre ce froid qui fige mes os, j'aspire à la moiteur, celle qui fait perler la sueur au front, sur la peau où le sang afflue qui gonfle aussi les muscles ; je respire déjà cet air lourd d'humidité qu'on inspire avec effort, tout chargé de ces odeurs d'hommes transpirants ; je m'immerge par avance dans l'obscurité du hammam où, assis nu sur le banc de faience fraîche, je ferme les yeux, mes oreilles s'aiguisent mais ne perçoivent que des frôlements, le flafla des pieds nus, des raclements de gorge, des soupirs étouffés, entre deux chuintements d'émission de vapeur.

Il me semble n'avoir jamais connu cette illusion d'invulnérabilité qui accompagne, chez les jeunes mâles adultes lorsqu'ils atteignent la pleine force de l'âge, la conquête de l'assurance d'être au monde et de pouvoir en modifier le cours selon son bon vouloir. Est-ce lié au décès prématuré de mon père fauché par la maladie ou à ma singularité de "différent" ? Je crois que j'ai eu précocement cette conscience aiguë de l'extrême fragilité de l'homme, animal mortel, elle qui ne vient habituellement à l'homme qu'avec la maturité.

Malgré celà, cet après-midi, une sourde euphorie opiniâtre me porte, un bouillonnement du sang. J'ai déjà des fourmillements dans les mains.

J'en ris intérieurement.

Sitôt sorti de la douche, alors que j'enroule avec soin la serviette autour de ma taille, deux grands bras s'abattent sur moi en désordre.

- "Bonjour Julien !"

Ce grand corps souple, cette couronne de cheveux bouclés, cette barbe juvénile ... David ! Avec des prudences de conspirateur, il me glisse à l'oreille :

- "Quelqu'un que nous connaissons vient d'arriver, juste avant toi. Je pars à sa recherche, si tu veux, viens avec moi."

Je le suis, quelques pas derrière lui, dans le labyrinthe chichement éclairé desservant les cabines, m'arrêtant à chaque bifurcation pour risquer prudemment un oeil dans la portion suivante avant de m'y avancer.

Soudain, je me fige. De l'angle où je me trouve, je découvre David cassé en deux, la tête disparaissant derrière la silhouette imposante d'un costaud. Ce dos puissant, ces bras si massifs qu'ils s'écartent du torse en formant une paire d'anses ... Alors qu'une large pogne relève David, le pousse vers la cabine libre la plus proche, un profil barbu me confirme qu'il s'agit bien de Sébastien, ce collègue éleveur de poulets et père de famille dont je n'ai eu aucune nouvelle depuis que nous avons fait intimement connaissance lors du comice, en fin d'été.

C'est vrai, David, lui aussi, l'a pratiqué ...

Sans plus attendre, quelques pas rapides me permettent de me glisser par l'entrebaillement de la porte avant qu'elle ne se referme. Tout en achevant de me faufiler à l'intérieur de la cabine, je lui souris largement, en murmurant :

- "Bonjour Sébastien!"

Une de mes mains a volé pour épouser la ligne mouvementée de ses trapèzes, les doigts de l'autre s'embrouillant dans les cheveux d'un David déjà à genoux. Mon sourire se teinte d'amusement devant la sidération du colosse, bouche ouverte en O sur ses jolies dents festonnées, ses yeux clairs de candide écarquillés comme des soucoupes. Je note qu'avec la lumière parcimonieuse règnant dans la cabine, leur couleur noisette se teinte encore plus largement de vert sur le pourtour de l'iris.

Soudain, je songe qu'avec cet effet de surprise, David n'a probablement plus que de la guimauve sur la langue ; pourtant je ne doute pas que ce trio, une fois relancé, nous procure bien des émois ; je m'en lèche les babines par avance.

Un brusque roulement d'épaules suffit au balaize soudain renfrogné pour, à la fois, se libérer de ma caresse, me bousculer et envoyer David rouler au sol ; un vif déplacement d'air et le vantail de la porte retombe sur son cadre dans un claquement sonore derrière lui. Disparu, envolé.

J'en reste pantois. Sa main me retenant, David me dissuade de tenter de le rattraper d'un péremptoire mouvement de tête.

Si je m'attendais ...

Car, enfin, lors de notre rencontre à l'occasion du comice, Sébastien s'était montré plutôt entreprenant et, si j'ose le dire ainsi, culotté !

David hausse les sourcils, écarte les mains en signe d'incompréhension. Je me souviens alors que lui me l'avait dépeint en homme jouant de prime les ingénus fourvoyés à chacune de ses apparitions au sauna puis qu'il prenait la fuite immédiatement après avoir fait son affaire.

Comme s'il effaçait par magie un épisode de sa vie placé avec grand soin entre parenthèses.

David retrouve déjà son sourire ; son bras dans mon dos m'entraîne hors de la cabine.

- "Ne nous laissons pas abattre par ce râteau, il ne manquera pas de candidats à nous réjouir, ils ne viennent ici que pour ça."

Je suis tellement déconcerté par la fuite précipitée de Sébastien que, l'esprit tout entier à mes interrogations, j'emboite docilement le pas de mon jeune camarade qui, au travers du dédale des corridors, nous amène jusqu'à la salle vidéo. Une deuxième porte s'ouvre à l'angle opposé et, sans cesse, des silhouettes à peine entrevues viennent s'assurer qu'aucun nouvel Apollon n'y trouve le repos à leur insu, puis elles s'évanouissent, poursuivant une inlassable quête dans l'obscurité du labyrinthe.

Le grand écran, qui diffuse, son coupé, des pornos gays américains pleins de muscles, de tatouages, de cuir et de fureur, éclaire violemment trois gradins inégaux face à lui ; le niveau inférieur est à hauteur d'assise, le deuxième est un simple degré de circulation donnant accès au palier supérieur, plus large, garni de minces matelas de mousse gainés de skaï où l'on vient s'allonger. Pour l'instant, il est inoccupé.

A notre arrivée, un homme bondit sur ses pieds et sort d'un pas précipité, un autre qui, assis, nous fait face relève vers nous des yeux scrutateurs mais quelque chose - est-ce l'avidité d'un regard qui nous détaille crûment en évitant de croiser le nôtre?, me fait m'en détourner.

Un troisième nous tourne le dos, son large dos est griffé de poils sombres qui dessinent des nervures avec, en creux, la ligne de sa colonne vertébrale restée glabre. Quand j'avance sur la marche médiane, pressé par la main de David, il relève vers moi son visage orné d'un bouc bien taillé, et me salue d'un discret signe de tête auquel je réponds d'un sourire entendu.

Mais l'échange n'a pas échappé au perspicace David dont les yeux voltigent de l'un à l'autre ; d'abord interrogateurs, ils s'éclairent bien vite de la malice d'une certitude grivoise qui encourage son audace. Il s'asseoit alors de la pointe des fesses sur la rive du niveau le plus haut, ses pieds en canard encadrent le buste du poilu, l'ouverture de ses cuisses tend entre elles la serviette en un cornet plein de mystères. Son coude droit prend appui sur son genou et sa main gauche vient frôler la brosse de cheveux drus poivre et sel devant lui.

L'homme s'est retourné à demi en relevant son solide avant bras mais sa main carrée ornée d'une large alliance, les doigts en étoile ... reste comme suspendue en poupée privée du marionnettiste qui lui donne vie, et c'est moi qu'il interpelle d'un discret coup de menton. Est-ce une demande d'autorisation ou ...

L'oeil noir fixé sur moi est insondable, l'expression impénétrable, alors, j'opine du chef et je sens mon sourire s'élargir sous l'effet du piment de cette incertitude. Or voilà qu'il renouvelle sa question silencieuse de façon plus appuyée.

Je l'ai bien reconnu, lui, le daddy dont, ici même, après qu'il ait magistralement sucé le débutant Cyrille dont je m'étais fait le chaperon attentionné lors de ses premiers pas, j'avais repoussé les avances. J'avais dû commettre l'imprudence de lui répondre quelque chose comme "on verra une autre fois" aussi, aujourd'hui, saisissant l'aubaine, il revient à la charge. Il insiste. Sa main libre remonte sur son flanc, du côté que je suis le seul à voir, deux doigts viennent écarter sa fourrure d'ours gris pour y saisir et étirer souplement son téton qui parait d'autant plus tendre et rose parmi ce fouillis de crins sombres mêlé de rares fils blancs.

Putain, mais c'est qu'il me chauffe ce daddy!

Sa main a voluptueusement enveloppé le mollet d'un David déjà conquis puis a furtivement disparu pour explorer l'abri sous son pagne mais c'est avec moi qu'il continue de négocier du regard le round suivant, faisant glisser langoureusement la pointe de sa langue entre ses lèvres.

Tout absorbé par l'observation de la moindre entreprise de ce solide quinqua velu, j'ai inconsciemment aspiré ma lèvre inférieure et ce qu'il a pris pour un gage lui a suffi. Sa main est redescendue soutenir le galbe des muscles jumeaux, étendre la jambe de David ; l'autre main a souligné la ligne du tibia, du cou de pied, suivie par sa bouche, venue jouer avec l'hallux comme avec une sucette que l'on lèche, suce, tête, avale, recrache ... pendant qu'il se soulève de son siège et, prenant appui d'un coude, d'un genou sur le niveau intermédiaire, il se hisse en même temps à la hauteur de David. Sans cesse, son regard noir revient se planter dans le mien, semblant me dédier chaque soupir d'un David alangui, chacun de ses frissons comme autant de promesses d'un savoir-faire, la caution de l'éblouissement d'une luxure ineffable à venir.

J'ai glissé sur cette banquette pour me rapprocher d'eux, n'y prenant appui que d'une fesse, croisant mes pieds pour donner, sous mon pagne, de l'aisance à mon érection dans une -relative - discrétion. J'ai consacré une main à dénouer la serviette de David, dont aussitôt le quinqua écarte les deux pans pour emboucher gloutonnement le dard brandi, quand mon autre main ratisse la brosse des cheveux drus sur cette tête qui s'avance et engloutit la belle hampe fière.

Il quête mes encouragements avec de brefs coups d'oeil qui, maintenant, scintillent d'une complicité grandissante et joyeuse. Comme acquise.

Ils me tirent une lippe : mais je n'ai encore rien dit, moi !

Un frôlement dans mon dos, une agitation alentour me font réaliser qu'un petit attroupement s'est formé autour de nous et je tends le bras pour imposer une distance isolant les deux protagonistes et couper court à toute velléité de participation extérieure. Puis je reviens à la scène, fasciné, la paume de ma main englobant une épaule moussue dont j'accompagne les mouvements.

David a basculé en arrière en appui sur ses coudes, tête renversée, bouche ouverte. Il s'abandonne avec force geignements d'agonisant au zèle que déploie le barbu qui, sans cesse, me prend à témoin du regard.

Car il s'emploie, lentement, en expert qui opère méthodiquement, de ses deux fortes mains, de chacun de ses doigts aux phalanges ornées de toupets de poils noirs qui tantôt pressent ou effleurent, étirent ou rassemblent, de sa bouche, de ses lèvres, qui engloutissent, relâchent, têtent, détrempent et lustrent, de sa langue qui se fait tout à tour lame ou voile léger pour napper, chatouiller, souligner ou recouvrir jusqu'à soulever David de hoquets déchirants mais alors, en bon artisan, il poursuit, nettoie, dorlotte, console jusqu'au moment où, retrouvant ses esprits, David se rétablit et s'asseoit. Il soupire profondément puis pose une main sur l'épaule de chacun de nous, narquois.

- "Bon, je vais vous laisser poursuivre tous les deux, je vois bien que je ne suis pas invité à participer à la suite des réjouissances. Bonne bourre, les poilus."

Et il se lève, ceint ses reins de sa serviette, l'étire sur son ventre pour en placer un coin sur sa hanche gauche avant de rabattre le flot qu'il dispose en plis, à l'égyptienne, et bloque sous le tissu qui le ceinture étroitement. Puis il s'éloigne, grand héron suivi par les regards puis par tous les témoins de la scène qui espèrent en leur bonne étoile, me laissant vaguement embarrassé.

Mais un regard sombre ne me quitte pas et brûle ma peau.

Amical72

amical072@gmail.com

Qu'est-ce qui est la cause de la couleur de nos yeux ? Une paire de chromosomes ? Pas si simple !

Pour l’épisode avec Cyrille, voir « l’ours-gris » de la saison 10. Clic.

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