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4 | La dépression
J’arrive devant la porte de l’immeuble et Karim sort justement du sien lorsqu’il me voit chargé comme un bœuf. Il s’inquiète et vient me voir en me demandant si on s’est de nouveau engueulé. Je lui dis que je l’ai surpris avec le serveur du bar et que je l’ai quitté. Je sens Karim s’enrager et insulter à voix-haute Samir en se demandant comme il peut être aussi con. Il se recentre sur moi et me demande comment je le vis. Je lui réponds en rigolant que je suis encore traumatisé et que toutes mes émotions sont bloquées. C’est donc facile à vivre mais que ça le sera moins quand je réaliserai vraiment ce qu’il s’est passé. Il vient me prendre dans les bras et me dit qu’il sera toujours là pour moi si besoin. Je lui souris et lui demande de ne pas prendre de parti et de ne pas haïr Samir pour ça. Il me regarde avec surprise et me répond :
« Mec, t’es sérieux ? Il t’a fait un coup de bâtard et tu veux que je le félicite ? Il a pas encore compris qu’il n’en retrouvera pas un comme toi avant un moment ! Qu’il est con putain ! »
« Karim, écoute, je te demande juste de réagir à travers tes valeurs et ton discernement. Oui, il a été très con mais il a aussi été présent pour moi pendant toute la relation et a aussi été là pour toi. Il n’est pas qu’un connard et c’est ça que je veux que tu prennes en compte. Insulte-le sur cette situation si tu le veux mais ne le renie pas de ta vie pour cet événement qui n’impacte pas ta vie directement. »
Il me regarde avec le sourire en me disant qu’il devrait prendre de ma sagesse. Il me redit une nouvelle fois qu’il est là pour moi si j’ai besoin et s’en va. J’appelle Coralie sur l’interphone qui m’ouvre dans la minute.
Je me retrouve dans l’ascenseur face au miroir et me regarde. Je vois mon regard vide, mon corps figé. Je prends conscience de tout le déni accumulé pendant cet après-midi et réalise petit à petit en me voyant avec les sacs. L’ascenseur s’ouvre et je traverse le couloir. La porte est entrouverte et je rentre. Coralie m’accueille et se bloque en me voyant avec toutes mes affaires. Elle me demande ce qu’il s’est passé. En la regardant, toutes mes émotions sont remontées d’une traite. Les larmes me montent et je m’effondre en larmes. Je réalise que je viens de perdre l’homme que j’aime et que dire que je ne l’aime plus ne serait qu’un mensonge. Je réalise que je reviens à la case départ mais que cette case a bien changé depuis l’année passée. Je reviens chez moi tout en étant aujourd’hui étranger.
Coralie vient me prendre dans ses bras pour me réconforter et une fois que j’ai repris ma respiration, je commence à lui raconter. Je lui confie mes peurs de ne pas réussir à refaire confiance. Elle me laisse parler quelques minutes avant de prendre la parole. Elle commence alors à me raconter son histoire, celle que très peu de gens savent. De sa relation avec un pervers narcissique et de la destruction que cela a eu sur elle-même. Elle en vient à me raconter ce qu’elle a traversé en assimilant son histoire avec la mienne et de la perte totale de confiance qui a suivi. C’est alors qu’elle aborde sa rencontre avec Julien qui petit-à-petit lui a remonté son estime et sa confiance en l’autre. Elle me confie que ça me prendra du temps mais que rien n’est définitif.
Julien rentre un peu plus tard et je reprends mon histoire. Il est aussi désolé que moi et me dit que je peux occuper la seconde chambre autant de temps que je le souhaite. Coralie me dit qu’elle ne voit pas de problème à ça et que je peux me sentir comme chez moi, comme lorsque j’habitais ici pendant 7 ans. Je retrouve alors mon ancienne chambre qui n’a pas énormément changé.
***
Une semaine est passée. Samir a tenté à de multiples reprises de rentrer en contact et j’ai dû finir par le bloquer de partout pour avoir la paix. Je ne touche quasiment plus mon portable et reste enfermer dans ma chambre. J’ai développé des terreurs nocturnes et chaque nuit je me réveille en hurlant. La première nuit que c’est arrivé, je me souviens que Julien est arrivé en courant dans la chambre. J’étais assis sur le lit en pleurs et en essayant de retirer le cauchemar de mes pensées. Il s’est approché de moi pour venir me prendre dans ses bras et me demander si ça allait. Ma première réaction a été de m’excuser de l’avoir réveillé. Coralie arrive quelques minutes plus tard pour voir si tout allait bien. Julien lui dit alors qu’elle peut aller se recoucher et qu’il va rester avec moi. Elle acquiesce et retourne dans son lit.
« Julien retourne avec Coralie, je peux me gérer. En plus je vous ai tous réveillé. »
« Tais-toi voir, tu gères rien du tout. Les premières nuits que j’ai passé avec Coralie ont été compliquées pour elle et j’ai appris à me montrer présent dans ces moments-là. Je ne les comprends pas dans son entièreté mais je sais que je ne peux pas laisser mon meilleur ami seul dans ces moments. »
Je commence alors à pleurer en lui disant que j’ai tellement mal. Il m’invite à m’allonger et je me blottis dans ses bras. Il commence alors à me réconforter puis se tait. Le silence règne mais sa présence m’apaise et je finis par m’endormir.
C’est de cette manière que toutes les nuits suivantes se sont quasiment passées, mis-à-part une seule. Je me désole chaque jour auprès d’eux car je ne veux pas créer de problèmes dans leur couple et leur routine. Heureusement pour moi, Coralie se montre comme un réel soutien pour avoir traversée des phases similaires. Mes journées sont toutes aussi mornes et je ne veux pas sortir. Je suis donc resté toute la semaine dans l’appartement et malgré les encouragements de Coralie et Julien, je n’ai pas réussi. J’ai peur de le voir en bas de l’immeuble et je ne vois aucune raison de sortir. Il y a juste Karim qui est passé hier pour prendre de mes nouvelles et discuter. Je ne l’ai pas questionné et il m’a dit venir me voir en tant qu’ami et ne pas vouloir me parasiter avec Samir. C’était donc un moment agréable.
Je suis actuellement dans mon lit à déprimer une nouvelle fois. J’ai des phases de déprime assez violentes et je dois être pas très beau à voir de l’extérieur. Julien et Coralie respectent ces moments et me laissent tranquillement dans ma chambre tout en se montrant disponible si je le souhaite.
Je suis donc dans ma dépression et il doit être environ 19h quand j’entends l’interphone sonner. Julien décroche et ouvre à la personne en bas. Je suis un peu soûlé et espère que ce n’est pas un groupe de personnes qui potentiellement pourrait faire du bruit. Je ne me souviens pas avoir entendu Julien parler d’une soirée mais dans le doute, je commence à m’énerver intérieurement sans raison.
La porte s’ouvre et j’entends une voix. J’ai mis de la musique et avec la cloison on ne distingue pas tout mais j’entends à l’intonation qu’il y a un gars. Je n’entends d’ailleurs que cette voix et me dit qu’il n’y a qu’une personne. Je respire plus serein en me disant que c’est sûrement qu’un collègue de Julien.
Je retourne alors à mes occupations lorsque l’on toque à ma porte. Mon cœur fait un bond et je me raidis dans mon lit. Julien me demande d’une voix mesurée s’il peut rentrer. Je lui dis que oui tout en fixant la porte. Elle s’ouvre et je vois alors devant moi une autre personne que Julien. C’est Antoine. Je suis sous le choc et me retourne face au mur comme pour oublier ce que j’ai vu. Il me demande s’il peut venir et je lui demande en réponse ce qu’il fout ici. Il entre en rigolant et referme la porte. Il me rappelle que l’anniversaire de Julien est dans deux jours et qu’il avait prévu de venir passer ses vacances ici.
Je reste dos à lui et sens qu’il vient de s’asseoir sur mon lit. Je reste dans ma position et je l’écoute recentrer sur le sujet sur moi et il se voit désolé de ce que j’ai vécu. Je lui dis que je ne veux pas qu’il me voit dans cet état désastreux. Je sens alors son corps s’allonger et sa main se poser sur mon dos.
« Martin, quand Julien m’a raconté ta situation je ne m’attendais pas à te voir habiller en fée clochette à lancer des paillettes dans l’appartement. »
Il réussit à me décrocher un sourire avec sa connerie malgré toute ma tristesse. Mais étant dos à lui, il ne peut pas le voir. Je l’entends se redresser au bout de quelques secondes de silence et me dire qu’il me laisse tranquille. Un son s’échappe de ma voix :
« Non, reste avec moi s’il te plait. »
Je l’entends alors s’allonger à nouveau. Je n’ai pas envie de me retourner pour le regarder mais sa présence me ravi intérieurement. Je bouge juste mon bras pour saisir le sien et l’inciter à me prendre dans ses bras. Il saisit la demande et je me repositionne mieux pour me sentir contenu. J’expire de soulagement. Puis une pensée me traverse.
« Mais, si t’avais prévu de venir, je t’ai pris ta chambre. »
« On s’en fout de ça Martin, je dormirai sur le canapé. »
« Non c’est à moi d’y aller, je suis l’intru »
« Roh mais ta gueule ! T’as d’autres conneries à raconter ? »
Le franc parler d’Antoine me bouscule. Il est vrai que Julien et Coralie se montrent très attentionnés sur leurs actions et leurs paroles pour ne pas me bousculer. Tout le contraire d’Antoine qui parle comme il réfléchit. Ça me fait du bien. Puis je me souviens de mes terreurs nocturnes dont il n’en a pas connaissance. Je me dis que si je dors avec lui, j’ai des chances de ne pas en avoir car il y aura déjà une présence près de moi.
« Antoine, si tu veux, on peut dormir les deux ici. En tant qu’ami bien sûr. »
« Ah bah oui enfaite t’en as d’autres de conneries à me raconter. »
« Désolé c’était une mauvaise idée… »
Antoine voit que je suis peiné de sa réaction et vient se coller plus fort contre moi.
« Je me suis mal exprimé. La connerie c’est ton « en tant qu’ami ». Tu crois vraiment que je veux profiter de la situation alors que t’es au plus bas ? T’as pas besoin de le préciser, j’ai conscience que tu n’es pas bien… » un petit silence s’installe. « Et oui, je veux bien dormir avec toi si ça peut te réconforter. »
Je me décolle pour me retourner pour la première fois face à lui. Je vois alors ce visage qui m’avait ébloui l’année passée et particulièrement ses yeux d’un marron clair. C’est son sourire qui occupe alors mon attention quand je le vois s’étendre de plus en plus. Son visage est encore plus beau que dans mes souvenirs. Il émet un rire avant de me dire :
« Ouais c’est vrai t’as raison. J’aurais mieux fait de pas voir ta tête. »
Je me retourne alors à nouveau faussement vexé et il vient instinctivement me reprendre dans ses bras pour s’excuser tout en rigolant. Il se penche pour voir mon visage tout en souriant et je dois m’avouer vaincu lorsqu’il est témoin d’un sourire sur mon visage.
« Ah mais je savais pas que t’avais la capacité de sourire. »
Il continue ses blagues en rigolant et je le repousse pour me lever et en lui disant qu’il est con. Je me retourne avant de sortir et je le vois allongé dans le lit les bras derrière la tête avec le même sourire angélique que l’année passée.
«Ah mais tu sais aussi marcher ? »
Il rigole encore et je lui décroche un sourire avant de quitter la chambre. Je me retrouve face à Julien et Coralie et je l’efface instantanément. Eux, au contraire, semblent ravis de leur surprise. Je les regarde et les qualifie de traitres pour l’avoir fait venir sans prévenir. Julien se lève et rigole en me disant que c’est le but d’une surprise. Il vient me prendre dans ses bras et me dit qu’il est content de me voir aller un peu mieux et de pouvoir réentendre les rires d’Antoine. J’avoue que je suis aussi content et sans plus attendre, je pars me doucher.
***
La soirée retrouvaille est passée et pour la première fois depuis ma rupture, je me sens sur une pente ascendante. Pendant la soirée, Antoine nous confie une autre surprise. Je le regarde impassible en attendant quelle autre surprise à la con il a prévu. Il se lève et prend un ton solennel :
« Chers amis, je me dois de vous annoncer que je ne suis pas venu ici que pour l’anniversaire de Julien. J’ai la joie de vous annoncer que je passe aussi un entretien d’embauche pour un poste sur Montpellier. »
Mon cœur fait un bond. Je m’attendais à tout sauf à ça. Je n’arrive pas à dissimuler mon désarroi et le félicite maladroitement sans pouvoir cacher les peurs qui émanent en moi. Heureusement, la joie de Julien m’éclipse et j’arrive à m’en sortir sans trop de peine. On passe ensuite à autre chose et Antoine et Coralie font plus ample connaissance.
On finit par aller se coucher et je me retrouve avec Antoine dans le lit. Un silence d’une trentaine de minutes prend place où je feins de dormir. Mais un mouvement me trahit et j’entends Antoine me demander si je dors. Je lui réponds que non et il se rapproche de moi. Je me retourne pour lui faire face. Il me questionne alors :
« Tu n’es pas content que je vienne potentiellement à Montpellier ? »
Il semble peiné de ma réaction et je respire profondément pour lui répondre.
« Antoine, c’est pas ça. Je suis content de te revoir. Mais j’ai peur. Là tu es là pour une semaine et ça va. Mais si tu t’installes ici, je ne sais pas comment je pourrais réagir avec toi après toutes ces histoires. »
« On se verra comme amis ne t’inquiètes pas. »
« C’est juste ça dont j’ai peur Antoine. Je ne pourrai jamais effacer les sentiments que j’ai pu éprouver l’année passée pour toi. J’ignore si je serai capable d’être ami avec toi. Mais je n’ai plus confiance en rien et je ne veux pas te faire du mal. J’ai peur que ton arrivée à Montpellier ruine notre relation. »
« Martin, tu réfléchis trop. Tu prendras le temps qu’il faut pour te reconstruire et ce n’est pas parce que je viens vivre ici que l’on devra se voir. Je serai là en cas de besoin mais je respecterai toutes tes décisions. Par contre tu ne peux pas penser à ma place et c’est aussi mon problème si je veux te voir. »
Un silence prend place et on se regarde dans l’obscurité. Il ouvre la bouche et continue :
« Et… Moi non plus je ne pourrai jamais effacer la joie que j’ai pu éprouver il y a un an, ni la tristesse de lorsque j’ai appris que tu étais en couple. Je me suis rendu compte que je préfèrerais ruiner ma relation avec toi en essayant quelque chose que de rester amis… Maintenant il faut essayer de dormir et demain sera un nouveau jour. »
Pour la première fois, c’est lui qui se place dos à moi et je me retrouve comme un con à enregistrer ses paroles dans mon cerveau. Il vient de me confier qu’il est toujours amoureux de moi et qu’il est prêt à prendre le risque. Je me retourne moi aussi de mon côté et réfléchis à ses paroles tout en me disant que j’ai encore plus peur maintenant que je sais ça.
***
Je me réveille en hurlant.
Je peine à revenir à la réalité et mes pleurs et sanglots comblent le silence. J’entends Antoine sursauter derrière moi. Je suis assis sur le bord du lit, comme chaque nuit. Julien entre dans la minute dans ma chambre pour savoir comment j’allais. Il remarque ensuite Antoine et se souvient qu’il est arrivé hier soir.
« Désolé Antoine j’ai oublié de t’en parler. Il a des terreurs nocturnes chaque nuit depuis sa rupture. »
Antoine semble affecté et se redresse pour me prendre dans ses bras. Julien vient se poser de l’autre côté et place aussi ses bras autour de nous. Dans mes sanglots, je finis par formuler une question :
« Comment est-ce que je suis supposé avoir de nouveau confiance pour aimer quelqu’un ? »
Dans le brouhaha de mes pleurs, j’entends mes amis me dire qu’ils m’aiment. Leurs bras se serrent autour de moi et je ressens tout leur amour. Je n’arrive qu’à répondre « merci ». Je pensais que je n’allais pas avoir de terreurs nocturnes vu qu’Antoine était à mes côtés et pourtant c’est la pire nuit passée depuis ma rupture. Je sais que son arrivée a réveillé en moi l’amour que je porte pour lui mais aussi toutes les peurs qui y sont reliées.
Julien demande à Antoine s’il peut s’occuper de moi car il travaille demain. Après son approbation il vient m’embrasser et me dire que s’il y a une chose dans lequel je peux avoir toute confiance c’est son amour pour moi. Je lui retourne sa déclaration. Je passe mes journées depuis une semaine à me rappeler la chance que j’ai d’avoir Julien dans ma vie et ce soir encore il me le démontre.
Je reste seul avec Antoine qui m’invite à m’allonger contre lui. Je me pose alors sur son torse nu. Il semble tout aussi bien musclé que l’année passée. Je le remercie aussi d’être là et finit par m’endormir sous ses caresses dans mes cheveux.
Ninemark
ninemark@hotmail.fr
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