Chapitre-1
Elle vient de l’embrasser. Je frissonne. Non, ce n’est pas une surprise bien sûr. Je m’en doutais mais maintenant j’en ai la preuve. Ça faisait un moment que des voyants s’étaient allumés dans ma tête : notre lit qui semblaient avoir été défait puis maladroitement refait, et tous ces moments où elle allait dans la pièce d’à côté et parlait à voix basse sur son téléphone. Je devrais être dégouté, jaloux… mais je ne le suis pas. Je suis juste triste. Je vois ça comme une fatalité. C’est en partie ma faute.
Je suis là, comme un détective en embuscade, comme dans une mauvaise comédie, à les observer. Elle, c’est Ingrid, ma femme, depuis près de 20 ans. Lui, c’est Frank, un collègue, très beau gosse, une dizaine d’années de moins qu’elle. Ils viennent de s’embrasser et s’apprêtent à monter dans une chambre d’hôtel pour faire l’amour. Elle me trompe. Voilà, comme ça je le sais. Je vois ça comme quelque chose qui allait bien finir par arriver. Elle est belle, intelligente. Mais depuis plusieurs années notre relation a perdu de son intérêt. Nous n’avons plus fait l’amour depuis quelques mois. Plus l’envie. Chacun très occupé par sa carrière. Nous sommes devenus deux amis qui vivent ensemble. En fait, et c’est peut-être le drame : j’aime toujours Ingrid. Nous sommes très complices. On a plein de gouts communs, et on ne se dispute presque jamais.
Que dois-je dire ? Que dois-je faire ? La confronter ? Demander le divorce ? Je n’en ai pas envie. Peut-être les plus jeunes d’entre vous ne comprennent pas. Les plus âgés, un peu plus. Je ressens la peur du vide. La crainte de tout briser. Alors, en l’état, je garde ça pour moi.
Au fait, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Gauthier. Je viens d’avoir 40 ans. Ingrid aussi d’ailleurs. Peut-être que cet adultère est d’ailleurs une sorte de crise de la quarantaine après tout, qui sait…
Je rentre à la maison et je me sers un scotch, histoire d’oublier ce que je viens de voir. D’ailleurs j’ai pas mal de boulot ce soir. Des dossiers à relire. Si mon mariage n’est pas vraiment une réussite, ma carrière, elle, me donne toute satisfaction. Je travaille dans un grand cabinet d’avocats. Je viens de devenir associé, après des années de travail et une progression constante.
Mais ce n’est pas ma plus grande satisfaction dans la vie. Ma plus grande réussite, C’est mon fils Nils. Il vient d’ailleurs de rentrer à la maison et on discute un peu. Il me raconte sa journée avant d’aller s’enfermer dans sa chambre. Nils vient juste d’avoir 18 ans. Il est étudiant en école de commerce, et habite toujours chez nous. Il est très proche de sa mère et moi, car notre histoire est un peu particulière…
Ingrid et moi nous sommes rencontrés pendant nos études de droit à Paris. Elle, Danoise, vive, drôle, intelligente, naturelle, avec un accent irrésistible. Moi, brun, un peu plus petit et réservé, mais pince sans rire. D’abord amis, nous sommes ensuite sortis ensemble et par accident, je dois dire, Ingrid est tombée enceinte. Nous avions 21 ans tous les deux. Encore étudiants. Ça a été un mélange de choc, de panique et de joie en fait. On a donc décidé de garder l’enfant et de se marier. Mes parents, très conservateurs, nous ont fortement poussés. Ceux d’Ingrid beaucoup moins. Nordiques et très cools, ils n’ont mis aucune pression à Ingrid. Mais celle-ci était tellement ravie d’être enceinte au bout du compte…
Les débuts ont été difficiles, juste après la naissance de Nils. Ingrid est très brillante, et nous avons fait le choix suivant : je mettrais mes études entre parenthèses pour m’occuper du bébé, et Ingrid privilégierait sa carrière professionnelle. J’ai tout de suite adorer m’occuper de Nils : le baigner, le changer, lui donner à manger, le promener en poussette dans Paris.
Quand Nils a commencé à grandir, j’ai pu reprendre mes études et rattraper le temps perdu à la force du poignet. Et puis mes parents m’ont donné un coup de pouce en me trouvant un stage dans un grand cabinets d’avocat, très sérieux et conservateur. Pas toujours fun avec les collègues, mais j’y ai fait mes preuves et je suis maintenant associé. Ingrid, elle, a connu une carrière météorique. Elle est maintenant présidente pour toute l’Europe d’un grand groupe international, et voyage souvent.
Malgré tout, Nils est très proche de nous. On l’a toujours énormément gâté et couvé. Fils unique, avec des parents fortunés, il a toujours eu tout ce qu’il voulait : les jouets, les cadeaux, les beaux vêtements, et une voiture à 18 ans. Pour autant, il est raisonnable et pas du tout arrogant, ni « enfant gâté », et a toujours eu de bons résultats scolaires. On a tenu à bien l’éduquer. A la scandinave. Bien dans son corps et dans sa tête. Il a toujours passé ses étés au Danemark dans la famille d’Ingrid. Ses grands-parents possèdent un magnifique domaine perdu dans les dunes, et constitue de plusieurs maisonnettes ou chaque branche de la famille peut dormir. Le domaine donne sur une superbe plage naturiste et Nils passe tous ces étés depuis l’enfance nu au soleil, avec sa famille, Ingrid et moi, ses cousins et ses amis Danois.
Plutôt petit pour son âge, très blond comme sa mère, il fait plus 16 ans que 18 ans. C’est un garçon bien élevé, et il est très proche de sa mère et moi. Il a d’ailleurs préférer rester habiter avec nous dans notre grand appartement après le bac.
Et au fond de moi, même si Ingrid me trompe, je ne me vois pas briser notre unité familiale par un divorce.
Les jours qui suivent je fais comme si de rien n’était avec Ingrid, et tout se passe bien. Comme avant. Nous restons complices, comme si de rien n’était. Elle rentre tard du boulot, et voyage parfois pour son travail. Moi aussi. Nous partageons toujours un grand lit, mais nous endormons chacun dans notre côté.
Notre quotidien est toutefois bouleversé quelques jours après. Alors que nous prenons notre petit déjeuner en famille un jour de semaine (c’est suffisamment rare pour être souligné), Nils a l’air un peu gêné et prend la parole.
- J’ai quelque chose à vous dire
Ingrid et moi interrompons notre discussion, toujours disponible et attentif quand notre fils unique prend la parole…
- Voilà… ça fait un moment que je me cherche et que j’ai des doutes… mais j’en suis sur maintenant… je préfère les garçons aux filles… je suis homo en fait
Au fond de moi, je suis un peu surpris… mais sans hésiter une seconde, je m’empresse de lui dire que nous sommes tout à fait contents pour lui, et que ça ne change rien. Ingrid a exactement la même réaction instinctive. C’est notre fils et nous l’aimons. Peu importe son orientation sexuelle. Nils est rassuré, même si je pense qu’il s’attendait à ce qu’on le prenne bien. Dans ma tête, en y pensant, je ne suis qu’à moitié surpris. Nils a toujours été un garçon sensible, aux traits fins. Mais au lycée, je me souviens pourtant l’avoir vu embrasser des filles et les tenir par la main. D’ailleurs Ingrid demande :
- Ça fait un moment que tu le sais ? Tu avais pourtant des petites copines au lycée ?
- Oui… mais c’était pas vraiment sérieux… et ça n’a jamais été très loin en fait. Et après avoir essayé avec un garçon, j’ai compris que c’était vraiment naturel pour moi… c’est ce qui marche pour moi
Ça me fait bizarre d’entendre mon fils évoquer entre les lignes ses expériences sexuelles. Mais il est spontané et c’est naturel pour lui. Je souris. Je me souviens aussi qu’on avait parlé de sexe avec lui il y a quelques années, comme tous les parents. A son entrée au lycée, on lui avait acheté une boite de préservatifs et l’avait posée sur son bureau. Sans lui faire la morale. Juste histoire de lui dire : « sois prudent ». Il avait juste soupiré comme tous les ados, et glissé la boite dans sa table de nuit.
Je lui demande :
- Et tu as un copain en ce moment ?
- Oui… c’est Julien en fait
- Ah d’accord je comprends, lance Ingrid malicieuse
Julien, c’est ce petit brun, malicieux, du même gabarit que Nils que j’ai aperçu à la maison quelques fois, un nouvel ami qu’il s’est fait il y a peu de temps.
Le temps passe et Nils doit aller en cours, et Ingrid et moi au boulot. Nils passe un bras autour de chacun de ses parents et nous embrasse chacun sur la joue : « vous étés les meilleurs parents du monde ! ». Une fois Nils parti, Ingrid et moi rions bien, fiers et amusés par la spontanéité de notre fils. Ingrid va l’annoncer à sa famille, ce qui ne posera pas de problème. Quand je l’annonce à mes parents, ils se montrent déçus et inquiets, mais je leur dis que c’est comme ça, et que ça ne les regarde pas. Je sais que de toutes les façons, ils feront tout pour éviter le sujet. Nils s’en moque, et je sais bien qu’il préfère la famille d’Ingrid à la mienne de toutes les façons, plus coincée, et sans cousins, car je suis fils unique.
Les jours qui suivent les choses se bousculent dans ma tête. Mon fils est gay… j’essaie d’imaginer ce que cela veut dire. Je dois dire que je suis curieux… comment il fait l’amour…. Qu’est ce qui lui plait dans le sexe entre hommes… par rapport au sexe avec une femme…
Il faut dire que cette curiosité est fortement attisée par Nils lui-même qui parle tout le temps de Julien. Julien ceci, Julien cela. Il a l’air vraiment amoureux et épanoui. Amoureusement, et sexuellement aussi, je suppose.
Sans que j’arrive à l’expliquer, ma curiosité grandit. J’ai envie de savoir comment mon fils aime Julien. Ce que c’est que d’être gay…
Un samedi, Nils nous demande si Julien peut passer à la maison. Moi je suis la à vaquer à mes occupations, tandis qu’Ingrid est à son cours de yoga (ou bien avec Frank plus probablement).
Poli, Julien me dit bien bonjour en arrivant et nous échangeons quelques mots. Pour la première fois, je le regarde en détail. Mon cœur se serre. Je transpire. Je me sens incroyablement attiré par lui. Il est beau, je le désire. Qu’est ce qui m’arrive ?
Julien et Nils s’enferment dans la chambre de Nils et Dieu sait ce qu’ils y font. Mais pendant ce temps-là, je tourne en rond dans le salon. Comme un lion en cage. Nerveux, la gorge serrée, les mains moites. Je suis obsédé par Julien. J’ai envie de le toucher. De le caresser. Je me rends compte que je bande. Mais qu’est ce qui m’arrive ?
Au bout de deux heures, Julien et Nils quittent la chambre et se rendent sur le palier pour se dire au revoir. Julien a passé une tête vers moi et me fait un petit signe de la main : « au revoir monsieur P, passez un bon week-end ». Je bredouille quelque chose, alors que Julien et Nils se disent au revoir. Ils échangent une série de petits baisers et s’échangent des mots doux. Je les regarde et soudain quelque chose se brise en moi. Comme du verre. Et des flashbacks me reviennent. Moi à 20 ans. Cette soirée étudiante. Et ce garçon. On s’était regardé toute la soirée. Joué au chat et à la souris. Jusqu’à ce baiser. Echangé. Dans un coin, bien à l’abri des regards indiscrets. Le gout incroyable. Une sensation nouvelle. Mais aussi la vague de honte immédiate qui a suivi. La terreur. Mes mains qui le repoussent. Son visage étonné et déçu. Trahison. Je le rejette. Je bredouille que j’ai trop bu. Ça ne peut pas être vrai. Je ne suis pas comme ça…
Et après ce reflexe automatique de tout nier, de se mentir, d’enterrer les sentiments. La rencontre avec Ingrid. Une distraction bienvenue, salvatrice.
Mais ce simple baiser échangé entre mon fils et son petit ami a finalement agi comme un boulet de canon et fait voler en éclats toutes ces digues, tous ces murs derrière lesquels je me suis efforcé de cacher mon homosexualité depuis 20 ans. A tout le monde, mais surtout à moi-même.
Sylvainerotic
sylvainerotic@yahoo.com
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