1 | LA FORCE DES NATIONS
17 février 2034, il fait encore plus chaud qu’hier, 36 degrés à l’ombre en région Parisienne, le record n’est pas battu, mais s’en approche. La voisine est morte ce matin, sa clim est tombée en panne dans la nuit. Elle n’a pas très bien supporté cet enchainement de températures apocalyptiques. Dommage, elle était sympa et depuis que j’étais petit, elle avait pris l’habitude de partager ses douces pâtisseries qu’elle aimait me confectionner au gouter de 16H.
Ici, ce sont de petites maisons mitoyennes avec jardins, mais plus de piscines (l’usage de l’eau est maintenant interdit pour les baignades).
Avec mon pote Bruce nous avons aménagé la cave de mes parents qui nous permet grâce à la climatisation de nous isoler de ces températures terribles. Un réfrigérateur, un grand canapé d’angle, un lit 2 places, une télévision, et une grande salle de bain spacieuse. Nous pouvons y passer ainsi nos longues journées, depuis qu’il a été instaurer l’interdiction de sortir à la lumière du soleil pour le “Non Essentiel et non impératif”.
Les cours à la FAC ne sont maintenant plus que suivis qu’en distanciel. Si nous devons nous déplacer pour les exams, c’est la nuit entre minuit et 6 heures du matin.
Vous l’avez tous compris, c’est une réelle inquiétude, tout est chamboulé, les gens paniquent, mais Bruce et moi gardons la banane et sommes persuadés d’y avoir gagner au change.
Bruce c’est mon pote depuis toujours, mon voisin d’en face, qui partageait aussi avec moi les pâtisseries de Madame Léon notre défunte et gentille voisine.
Tient, justement c’est lui qui sonne, il est 20H. Bruce, libéré du confinement solaire, me rejoint pour partager l’écoulement du temps. « Bruce c’est une vraie barraque de muscles, comme moi il a 18 ans depuis quelques semaines.
Nous avons chacun cette chance, d’avoir deux ans d’avance sur notre parcours scolaire. Des élèves prometteurs disaient notre prof principal, lui aussi décédé depuis de longues suffocations (pour la petite histoire, il avait bravé les interdits et était resté en journée dans le lycée, enfermé dans la salle des profs avec Monsieur Barlin prof d’Anglais. Les deux avaient surpassé à la trop grosse chaleur du jour. On aurait pu penser à un suicide collectif... Peut-être... Bien qu’ils aient été retrouvés nus allongés au sol, avec un double gode insérer dans chacun de leur anus, désormais flétrit).
J’admire Bruce, il est comme un frère pour moi. Quand je suis loin de lui mon cœur est comme paniqué. Sa présence me rassure, me fait du bien, un mélange de ressenti bien difficile à analyser pour moi. C’est mon pote, il est beau, il est charmant, viril, beau (je crois que je l’ai déjà dit, mais bon, vous comprendrez la répétition), prévenant, le gendre idéal quoi ! Son regard et ses yeux sombres et doux à la fois, sont rassurants. Ce ne sont pas les cinquante greluches qui s’accrochent à ses basques en permanence qui me contrediront. Il en est fier certes, mais conscient qu’elles l’étouffent plus encore, que l’air puant que nous respirons depuis quelques années maintenant.
Moi, c’est David, chétif (à côté de lui), avec mes mèches blondes et mes yeux bleus comme le ciel (d’avant...), et mon mètre soixante-dix comparé à son mètre quatre-vingt-dix. J’ai souvent l’impression qu’il est un protecteur attentionné. Je m’interroge aussi, sur mes sentiments pour lui. S'il était mon frère, mes pensées seraient alors je pense, quelques fois incestueuses. Contrairement à lui, je suis un pur puceau, sauf de la main.
Ça ne fait que quelques temps, que ces idées me tracassent. Avant, tout était simple, mon meilleur pote, celui qui me comprenait et partageait son temps avec moi, comme des ados que nous étions. Aujourd’hui, tout est bouleversé autour de moi.
Ce soir, nous avons décidé de sortir, rejoindre quelques amis à deux pâtés de maison, pour une petite fête alcoolique. Alors que nous marchons dans la nuit et que je le trouve de plus en plus bizarre, il s’arrête soudain et se retourne vers moi. Un air joyeux éclaire son visage et ses yeux pétillants. Il pose alors sa main sur ma tête, et doucement caresse mes cheveux. Ses lèvres semblent prononcer quelques mots incompréhensibles. Je ne bouge pas. Je le regarde ébahis, presque stupéfait, il se retourne comme gêné, et au pas de course reprend la direction de note soirée.
Nous arrivons essoufflés et préférons attendre de reprendre notre respiration pour entrer. Et là, bizarrement il avance à nouveau ses mains vers mon visage et caresse ma joue du revers de ses doigts si doux. Je ne sais comment réagir. Une larme d’émotion coule sur ma joue droite, il l’essuie, délicatement sans quitter mon regard. Il prend alors ce doigt humide, le porte à son visage, l’embrasse en tremblant et le pose délicatement sur mes lèvres.
La porte s’ouvre brusquement, c’est un de nos potes qui me tire à l’intérieur par le bras : « ça ne va pas nous dit-il, vous allez finir tout sec comme la mère Léon ! ».
Je reste dans un état second, sans explication, que s’est-il passé ? Alors oui, je suis peut-être puceau, mais pas couillon comme on dirait chez moi. Je ne sais même pas si j’aime les garçons, cette question ne s’est jamais réellement posée. Mais aujourd’hui tout semble différent et très déconcertant. Il faut que j’aie une franche discussion avec mon ami.
La soirée s’enchaine, c’est l’anniversaire de notre pote Tiago, et la fête sera folle toute la nuit. Nous sommes chacun happés par nos connaissances, sans jamais pouvoir réellement être proche. Je modère tout de même ma consommation d’alcool, alors que de son côté mon Bruce, affiche toute sa virilité. Il enchaine les shoots de tequila, avec les rondelles de citrons verts, sans jamais passer par la case Coca.
Mais qu’est ce qui peut bien rendre Bruce si différent ce soir ? Habituellement c’est plutôt lui qui maitrise ce genre de soirée et moi qui tombe dans l’abus. Tiens, je remarque que maintenant il se retourne et me fixe chaque fois qu’il lève son verre pour faire cul sec. Mon Bruce est dans un sacré état, mais il tient le choc. Il en faut plus pour déstabiliser cette armoire.
Mais quand je le vois tituber et pencher, je m’approche de lui et lui glisse à l’oreille qu’il serait peut-être préférable de dire aurevoir à nos hôtes. Chacun rie de le voir pompette de la sorte. Tiago lui lance : « Bruce, y a ta meuf qui frétille, elle veut rentrer ». Du pur hétéro qui va se palucher en pensant à nous deux, mais nous rigolons tous.
Après de longues embrassades, nous quittons la maison. Bruce s’est accroché à mon cou. C’est avec tout son poids sur les épaules, que nous effectuons notre retour dans la chaleur de cette nuit de février.
Bruce, est heureux, il rit beaucoup en chemin, mais ne parle pas. Soudain il stop notre convoi, me regarde comme il peut, pas droit dans les yeux et me lance un : « comme tu es beau mon David ! », et puis plus rien, il reprend la route en m’entrainant fort vers la maison. Pas question qu’il rentre ainsi chez ses parents, ils savent où nous trouver, je l’hébergerais avec moi à la cave pour les heures de soleil à venir.
Nous rentrons et l’air frais de l’intérieur semble lui faire reprendre pied. Il m’envoie un « merci David » qui vient du fond du cœur. Et, joignant le geste à la parole, pose délicatement ses lèvres sur les miennes, pousse le bout de sa langue et se retire soudainement.
« Pardon David, je suis con, je suis bourré ne m’en veut pas ».
Ses yeux sont humides, et soudain il met son visage contre le mien et comme un enfant se met à pleurer. Il est inconsolable, des larmes qui se transforment en rire de temps en temps. Il s’arrête, lâche son étreinte sur moi, mais garde ses deux mains sur mon visage.
« Je voudrais tant que ce moment ne s’arrête jamais David, tu es tellement important pour moi, j’ai trop de mal à comprendre ce qui se passe là, dans ma tête, mais tu es ma joie !” et il enchaine comme pour se défausser : “J’ai trop bu David, je gère plus trop ce que je raconte”.
Je me liquéfie, mais c’est quoi ce bordel dans ma tête ? Je voudrais lui dire quelque chose, lui répondre, mais non, je suis tétanisé, bloqué, à la limite de la sidération. Je m’approche alors de lui, prend son visage dans mes mains, et stupéfait moi-même, je pose à mon tour mes lèvres sur les siennes, poussant le bout de ma langue qui vient effleurer la sienne.
Très vite, je me retire, un peu gêné mais fier de lui avoir montrer que je partageais son élan.
« Bruce lui dis-je, on va se coucher, on a trop picolé, on flirt avec la dinguerie. Ne t’inquiète pas, demain on ira mieux ».
Fabiodimelano
fabiodimelano@gmail.com
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