Premier épisode
Saison 7 | Chapitre 2 | Pouvoir revenir
Ma mère a appelé et laissé un message : mon père est malade et elle me demande quand je vais « rentrer ». Monique m’a fait les gros yeux
– « Julien ! Ce sont tes parents, tout de même »
Oui ! Et aujourd’hui, avec la distance, je dirais qu’ils ont fait de leur mieux pour être de plutôt bons parents, même si, la maison ne roulant pas sur l’or, nous devions nous passer de ce superflu qui, faisant la fierté de certains de nos camarades de classe qui fanfaronnaient, nous rendait parfois jaloux ; même s’ils ont été dépassés lorsqu’en prise avec mes « démons », j’ai été un fils agressif, instable, incompréhensible … Eux sont restés attentionnés et se sont employés à toujours m’accompagner, même sans me comprendre.
Je sais que ma mère m’a percé à jour sans que rien ne soit clairement formulé. Elle s’est inquiétée des embuches que cette vie pourrait me valoir sans me rejeter et mon père, s’il a compris lui aussi, n’a rien laissé paraitre et rien ne me laisse à penser qu’il pourrait me regarder comme un mauvais fils*.
Alors pourquoi ai-je tant de réticence à « rentrer à la maison » ?
J’ai eu une enfance heureuse, si tant est, avec toutes les terreurs auxquelles un enfant est confronté, qu’on puisse parler d’âge heureux … Et je remercie mes parents de l’avoir progressivement lestée de mes premières responsabilités et de m’avoir inculqué le sens du devoir et de l’effort, de l’exigence envers moi-même. Car j’ai été toujours entouré d’affection et d’attention et, ainsi porté par le sentiment de sécurité qu’elles procurent, j’ai pu me remplir de fierté à chacun de mes petits succès*². Et grandir.
« Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère / Ou je perds la mémoire*3 »
Non ! ça vient de moi !
Tout, dans mon éducation, depuis les comptines dans la cour de maternelle jusqu’aux histoires lues, le soir, tout me prédestinait à fonder une famille. On me demandait combien j’aurais d’enfants et je répondais calmement « quatre ». Une abstraction, avec un fantôme à mes côtés. Il n’existait aucun modèle alternatif.
Car moi aussi j’y croyais ! Même si, depuis tout petit, c’est le corps des hommes qui m’érotisait, je n’en avais pas pris conscience et continuais de parler de ma future famille.
Avec les premiers émois physiques, j’ai d’abord nié, je me suis effrayé puis j’ai eu honte. Enfin, j’ai eu la chance de croiser François*4 et de découvrir la plénitude que me procure le commerce charnel avec un homme. J’étais, à la fois, rassuré, comblé et ...
Car je restais écartelé entre les attentes sociales et familiales auxquelles j’avais publiquement souscrit et mes propres attirances « pas conformes » qui, je le savais sans aucun doute, finiraient pas l’emporter.
« Est-ce que les gens naissent égaux en droits / À l'endroit où ils… naissent / Que les gens naissent pareils ou pas*3 »
Quand tant d’autres se suicident en prenant conscience de cette incohérence irréconciliable qui les fracture*5, moi, j’ai fui.
L’internat, un lycée improbable, un lieu neutre où je pouvais m’essayer à « être moi » sans qu’on agite sous mon nez ces sempiternels engagements sociaux que j’avais tacitement approuvés. C’est ce qui me donnait encore et toujours mauvaise conscience.
Puis il y a eu Les Chênaies et Lecourt. Et là, je me suis réuni, fondé, réalisé. J’ai pu me regarder dans le miroir et affirmer mes choix, effrontément.
Mais le coût était / est colossal : pour me vivre en homme gay, libre - puisqu’enfin, nous n’étions plus condamnés par la justice - et toutes ces guirlandes dont j’affublais mon choix pour m’épauler, faire face et pouvoir l’assumer, j’ai dû abdiquer la possibilité de la paternité. Je serai une fin de lignée, sans pouvoir transmettre. Résigné.
Je comprends Lecourt, Ô combien !
D’autant plus après avoir tenu son fils Adrien dans mes mains et l’avoir entendu rire à mes oreilles.
Mais je n’aurais jamais pu jouer double jeu.
Et non, je ne pouvais pas encore revenir sereinement « à la maison ». Car eux, ne savent toujours pas QUI je suis et ne cesseront de voir en moi, d’interroger, de faire vivre ce Julien que je me suis longtemps appliqué à faire semblant d’être. Aujourd’hui, c’est une peau morte. Quand Julien, le vrai, le seul, est si plein de vie et d’espoirs.
Non, je n’étais pas, encore, totalement réconcilié avec moi-même, il me restait encore au moins un pas de géant à parcourir.
*voir Agriculteur saison 1/07 coming out
*² Qu’est-ce qui nous fait grandir
*3 « né quelque part » chanson de Maxime Le Forestier. Le titre est sorti en single en 1987 puis sur l’album éponyme en octobre 1988. Son succès va relancer la carrière de l’artiste, lacoccinelle.net
*4 Lire, publiée par Cyrillo, la série « découvertes »
*5 Sur le taux de suicide, bien plus élevé chez les jeunes LGBT, vous pouvez facilement parcourir ce bilan suisse
Ou télécharger le document, plus complet, de Santé Publique France : « les minorités sexuelles face au risque suicidaire » de l’INPES
Amical72
amical072@gmail.com
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