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Agriculteur | 8

10 | Se sentir complet

Le récit de Julien

J’ai entraîné Cyrille dans la salle d’eau, l’ai assis d’autorité sur la cuvette où, sans rougir, il a poussé quelques pétarades mais quand il a tendu sa main vers le rouleau de papier, je l’ai interceptée.

- « Ça, mon petit ami, c’est moi qui suis l’auteur du désordre alors je ne laisse à personne le soin d’en nettoyer les reliefs. Viens par ici. »

Je l’ai bousculé joyeusement dans la cabine de douche dont j’avais ouvert l’eau et je l’expose au jet, le tournant, retournant comme une toupie, privilège de ma stature. Puis je l’enduis de gel que mes deux mains s’appliquent à faire mousser sur ses épaules, son dos, son torse, ses aisselles, ses bras.

Mais le gandin est loin de n’être qu’un bel objet ballotté selon la fantaisie de mes paluches. Joueur sachant judicieusement oublier ses manières si merveilleusement policées, il profite désormais de chaque ouverture pour se blottir, se frotter, placer ses mains, glisser ses doigts … ramassant de la mousse sur sa peau pour en couvrir la mienne au prétexte de la réciprocité du savonnage. Il s’aventure.

Et j’aime sa duplicité, alors, c’est bien volontiers que je le laisse entamer ce qui devient un échange indiscret, appliqué, systématique. Chacun a les yeux fixés dans ceux de l’autre qui ainsi acquiesce en silence, autorisant la paume, les doigts à explorer, protégés par la mousse qui les lubrifie.

Je suis tombé à genoux et je m’empare de chacun de ses pieds, j’égratigne de mes ongles, j’apaise et je lisse de mes doigts, j’enveloppe de ma paume. Je me faufile entre ses orteils, fais jouer sa cheville puis je remonte sur ses mollets puissants, alternativement à gauche et à droite, ensuite, je fais de même avec ses cuisses.

Bien que mes frottements soient énergiques, il ont rendu sa meilleure forme au jeune bouc et sa jolie queue se balance devant mon nez. Cependant, je feins l’indifférence et poursuis imperturbablement la mission hygiéniste que je me suis fixée. Je me redresse en saisissant rudement ses couilles à pleine main, l’autre astique son manche en quelques aller-retour amples et précis puis la première coiffe son gland pour de savantes torsions qui le font soudain respirer profondément.

Mon buste contourne le sien et je l’incline vers l’avant d’un bras pesant dans son dos pour accéder à sa raie en écartant ses fesses. Je perce son fion facilement, d’une seule phalange, et le déplisse par de rapides mouvements de rotation. Une petite claque sèche lui indique que son doux martyre prend fin et, alors que ma main est déjà posée sur le mitigeur, je le laisse encore quelques secondes poursuivre ses attouchements. Il minaude. En vain ! Mais j’ai bien senti que sa curiosité n’est pas rassasiée. Je le regarde avec un sourire ironique.

- « Maman Colette va s’inquiéter ... »

Ses yeux s’assombrissent soudain, m’indiquant qu’il n’est pas encore prêt pour son coming-out alors, je veille à garantir son secret. La discrétion est donc de mise et je lui signifie qu’il me paraît raisonnable de mettre fin à notre entretien. Pour aujourd’hui ! Il acquiesce d’un hochement de tête.

- « Mais ... »

- « Chut, Cyrille ! Tu feras comme tu peux, comme tu veux. Au seul risque que je ne sois pas immédiatement disponible au moment que tu auras choisi ... »

Il est si évidemment préoccupé à cet instant que je retrouve les réflexes paternels que j’avais avec Adrien. Je l’enveloppe d’une grande serviette et le frictionne chaleureusement, l’embrassant affectueusement, cherchant à le faire sourire de mes attentions.

Comme précédemment, je le bascule d’un coup en travers de mes cuisses, écartant l’éponge pour dévoiler son joli fessier. Il gigote, proteste mais ce n’est qu’une façade et il me permet d’examiner son étoile froncée, à peine gonflée, que j’oins avec le plus grand soin de pommade réparatrice. Puis je deviens observateur et le laisse se préparer.

Il n’est déjà plus là. Dans sa tête, il refait son emploi du temps en essayant de reconstruire une vraisemblance qui gommera le temps passé à nos galipettes, les rendra clandestines, les effacera. Je le regarde se réincarner en « premier de la classe qui fait honneur à ses parents et à ses maîtres », notant ces détails auxquels il veille, concentré, pour ne pas allumer la moindre étincelle de soupçon.

Puis d’un coup, il se retourne et ses yeux sont dans les miens.

- « Merci Julien. »

Et il s’éclipse.

Je reste un moment pensif, à me remémorer tous les tourments qu’à connus mon âme dans une situation et à un âge analogue. Il n’est jamais simple de s’aventurer sur un territoire totalement inconnu, pour lequel nous n’avons nul récit d’aucune sorte, nulle recommandation contre quoi s’élever, nul exposé scientifique froid et désincarné pour nous positionner.

Juste les images, pour la plupart celles, artificielles et caricaturales, de la pornographie qui, elle, est extrêmement accessible et qui s’impose.

Rien non plus sur « comment le dire à ma mère ? »*

Mais je fais entièrement confiance à Cyrille, son appétit et son engagement lors de nos ébats semble indiquer qu’il assume ses penchants sans déchoir à ses propres yeux et sa détermination et sa volonté me semblent de taille à faire face au conflit entre ses inclinations et les attentes qu’on place en lui. Mais ce n’est jamais facile …

Moi, je suis repu.

Je ris ! Enfin, provisoirement !

Quand j’ai bien baisé, donné du plaisir autant que j’en ai reçu, je me sens l’homme le plus complet du monde. J’y trouve la force d’escalader des montagnes, parmi les plus escarpées, celles devant lesquelles on procrastine parce quelque chose en elles nous ennuie, nous embarrasse.

Et j’ai justement une petite réparation à effectuer. Oh, trois fois rien ! Mais qui va nécessiter beaucoup de temps et d’efforts avec tant de pas de vis à dégripper, tant de contorsions malaisées, de dents serrées, de petites éraflures qui brûlent … pour un bénéfice qui paraît si mince …

Avant !

Car ensuite ...

Je sais qu’ensuite je serai empli d’une fierté accentuée par la discrétion même du résultat de mon intervention : la disparition de ce cliquetis, ou de ce frottement grinçant, témoins disgracieux d’un désordre à quoi j’aurai remédié.

Et je connais au moins une personne avec qui je partage ce goût pour les mécaniques bien huilées que rien ne vient empêcher, pour les harmonies sans dissonance : c’est Lecourt ! Lui qui, à mon premier séjour, m’avait fait réparer une vieille auto chargeuse puis m’avait fait reprendre mon travail, me laissant deviner qu’une soudure avait lâché et produisait un raclement disgracieux. Cette attente à laquelle avait répondu mon exigence avait participé à fonder sa confiance en moi, je le sais. Il existe tant de désordres auxquels nous ne pouvons rien qu’il nous revient comme une obligation de faire cesser ceux sur lesquels nous pouvons agir !

Et ma pensée revient vers Cyrille. Il me semble que lui aussi relève de cette même recherche d’harmonie. Il parait associer le goût pour une sensualité toujours plus subtile à la recherche d’une complicité soucieuse de l’autre. Et, en la matière, il manifeste une belle ambition et un talent prometteur … J’en souris.

Puis je suis passé voir Monique dans sa petite maison. Il y a toujours quelques dysfonctionnements contingents dont elle s’accommode pourtant, pour ne pas déranger, et que je répare en un tour de main. Alors elle insiste pour me garder à dîner, un repas sans protocole par lequel elle me convoque pour affirmer sa fonction tutélaire de femme nourricière. Chère Monique qui veille sur moi en silence depuis mon arrivée aux Chênaies. Mais sitôt la dernière bouchée avalée, la dernière gorgée bue, elle vaque, s’emploie et je comprends qu’il me faut la laisser à son univers ordonné.

Il n’est que vingt heure et il fait jour. Je remplis mes poches et me dirige vers le paddock où, moyennant quelques croûtons, les juments suitées me laissent approcher leur progéniture. Après quelques caresses aux poulains, je rentre à la maison et je me déshabille. Entièrement.

Je m’étire soigneusement, me frictionne pour ouvrir totalement mes toisons à l’air, j’insère le CD de Queyras* et je m’affale sur le canapé dont les ressorts fermes me font rebondir souplement, me sentir tonique et libre. Les mains croisées sous la nuque, une jambe à l’horizontale sur le dossier pour offrir toute ma peau à la douceur de l’air, je m’abandonne à la sarabande joyeuse de Bach, cette musique de danse entraînante qui imprime sa pulsation de vie à tout mon corps.

La porte s’ouvre en coup de vent. Je bondis sur mon séant pour regarder par dessus le dossier, Cyrille s’est appuyé du dos sur le vantail derrière lui, masquant ses mains qui l’ont repoussé et il me regarde, un peu vacillant. Il est probablement incertain de ma réaction face à son audace : forcer ainsi l’entrée de ma maison n’est pas prévu par la bienséance. J’ai coupé net la musique d’une brève impulsion de l’index sur la télécommande.

- « Bonsoir Julien … Je … Je ne voulais pas rester à attendre sur le seuil, exposé à la vue … Je … J’ai dit que je partais faire un tour pour profiter de la douceur du soir. »

Il sourit faiblement. J’ai croisé mes bras sur le dossier et y ai posé mon menton en appui. Je reste neutre et le laisse empêtré dans l’inconvenance de sa position. Je le détaille ostensiblement. Il s’est changé, optant pour un chino mastic et une de ces chemisettes bleu ciel comme en portent les jeunes gens des écoles de commerce à qui un bel avenir est promis dans des publicités trop parfaites. Et j’en souris. Sans doute a-t-il encore besoin de leur ressembler exactement pour se persuader de son propre avenir.

- « Parce que tu penses vraiment que l’air suffira à rafraîchir le feu qui te consume ? »

Amical72

amical072@gmail.com

* voir la bande annonce de « coming out » le délicat documentaire de Denis Parrot.

* Jean-Guilhem Queyras, distingué en 2008 par une victoire de la musique interprète les suites pour violoncelle de J.S. Bach. Making of.

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