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Cela ne convint pas à Abel.
J'aurais dû le comprendre plus tôt et m'adapter à ses propres désirs, mais je me suis obstiné.
À plusieurs reprises, alors que je le submergeais de mes caresses égoïstes, il s'était relevé de notre lit avec un soupir excédé, s'était rhabillé pour enfourcher son bolide et se tirer.
Sans un mot.
J'avais dégénéré, je m'amollissais, je n'étais plus ce cruel sultan dont vous auriez rêvé d'obtenir un simple regard, bande de pintades obsédées du cul !
Pour parachever la catastrophe, j'avais rencontré, lors d'un dîner à Amsterdam, un vieil homosexuel désabusé qui m'avait expliqué qu'il était impossible de construire un amour durable sur des rapports sadomasochistes.
J'avais écouté cet éminent professeur de la chose du cul, avec tout le respect qui lui était dû.
Mais mon scepticisme souriant ne parvenait pas à masquer l'angoisse que ses propos alarmants faisaient naître en moi.
Que devais-je faire pour garder Abel dans mes rais ? Dites-le-moi, vous les petits malins du genre " moi je sais tout ".
Certes, Abel accepta enfin, au bout de trois ans, que je l'aide pécuniairement à monter sa propre entreprise de maçonnerie, qu'il géra très bien. Mais dans l'absolu, ce n'était pas ce qu'il attendait de moi.
Il voulait que je redevienne le Romain du début de notre histoire.
Le Romain tout paumé, tout gourmand d'apprendre et qu'il avait initié pour son plus grand plaisir... et pour le mien aussi, je dois le reconnaître humblement.
Je faisais parfois des efforts pour redevenir le grand méchant loup qu'aimait tant Abel, mais j'avais perdu la main. Je m'étais endormi dans les délices de Capoue.
Ainsi donc, j'étais mal barré.
Après un déjeuner très sympa chez un ami qui habitait Saint-Tropez, Abel et moi nous avions décidé de prendre un bol d'air sur la jetée.
Chemise ouverte, volant au vent, Abel humait l'air marin à pleins poumons. Et moi, les mains dans les poches, J'observais, compatissant, l'activité morne des touristes déçus.
Abel, un brin exhibitionniste, aimait bien se balader chemise grande ouverte en été car cela apaisait son métabolisme toujours en surchauffe. Mais aussi parce qu'il savait que de nombreux regards gourmands s'attardaient sur son torse de gladiateur.
Abel était un incorrigible allumeur.
C'est ce jour-là, que nous avons rencontré Ted et Freddy. Deux grands gaillards qui ont interpellé Abel par de joyeux meuglements.
Ce n'étaient pas des tarlouzes qui se la jouaient Rambo avec des slips Calvin Klein.
C'étaient carrément des cousins germains de l'homme de Neandertal, avec les bras gros comme des cuisses.
Après de brèves présentations, ce furent, entre les trois mecs, de grandes claques dans le dos à se décrocher les poumons et des échanges de banalités graveleuses affligeantes.
Ils étaient sincèrement contents de se retrouver, quand soudain les yeux chafouins du plus grand, le Ted, s'étrécirent en considérant mieux Abel.
- Tu m'as l'air en pleine forme, toujours aussi bien tanké ! Mais c'est vachement appétissant tout ça. C'est du solide au moins ? Brama-t-il en plantant son gros index dans les abdos de mon compagnon.
J'ai frémi, l'invite était claire.
- Pas de problème pour ça, c'est du solide. Qu'est-ce que vous faites ici ? Répondit Abel.
- On cherche un trou, mec. Freddy et moi, on a tellement la trique que c'est plus possible. Dommage que tu sois rencardé, parce que tu aurais bien fait notre affaire. Pour une fois, tu nous aurais bien donné ton cul, non ? Entre copains faut bien se rendre service, non ? Barrit le gros balèze.
- Désolé les mecs mais ce ne sera pas possible, mais merci quand même d'avoir pensé à moi. Rétorqua Abel avec un grand rire... un peu jaune.
Avant de nous séparer, le grand Ted a saisi Abel par le cou pour l'éloigner de quelques pas et lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Abel l'écouta puis repoussa son bras gentiment mais avec fermeté. Ce fut tout.
Abel ne semblait pas attacher beaucoup d'importance à cette rencontre. Il m'expliqua que c'étaient des copains avec lesquels il s'était bien amusé autrefois.
J'avais cependant cru percevoir une familiarité et une complicité latentes entre les trois hommes et je me suis surpris à avoir un petit pincement de jalousie et un voyant rouge s'alluma sur mon tableau de bord.
Tard, ce soir-là, Abel et moi étions assis sur les marches de la terrasse pour contempler une grosse lune parfaitement ronde qui se mirait dans la mer.
Torse nu et les bras reposant sur les genoux, Abel m'offrait un profil rêveur. Je le trouvais particulièrement séduisant et je ne trouvais pas mieux, alors, que de lui imposer l'un de mes gros câlins envahissants. Ce n'était pas ce qu'il attendait de moi.
Il supporta ma pesante tendresse un moment, puis se leva avec un soupir en me disant :
- Je rentre chez moi, j'ai un nouveau chantier demain, il faut que j'y sois de très bonne heure.
- Qu'est-ce que cela changera dans tes horaires si tu restes dormir ici ? Lui ai-je demandé.
- Le dossier et les plans d'implantation sont chez moi.
Sans davantage d'explications, après m'avoir fait un bisou sur le front, il alla chercher ses clés et son blouson et se dirigea vers son Duster sous l'oeil navré de Tango resté vautré auprès de moi. Je regardais partir la voiture un peu surpris.
Abel ne m'avait pas habitué à autant de désinvolture.
En mecs jaloux de leur liberté, chacun de nous deux nous vaquait à ses occupations sans avoir des comptes à rendre à l'autre. Après tout, nous n'étions pas un couple uni pour le pire et le meilleur (dites-moi de quel meilleur il s'agit ?).
Mais ce soir, je considérais son attitude un peu expéditive sinon cavalière.
Il était tard, j'allais me coucher. Le sommeil ne vint pas. Turlupiné, j'ai appelé Abel sur son portable. À trois reprises, j'ai eu droit à sa messagerie. Bizarre !
Après une heure de bataille avec mon oreiller, une ampoule rouge s'alluma dans mon cerveau.
Fulgurante, évidente, elle m'avertissait que j'étais le roi des cons. J'avais enfin tout compris !!
Ce nouveau chantier dont il me parlait tout à l'heure, n'était prévu que pour la fin du mois, il me l'avait dit avant-hier. Ce fils de pute m'avait bourré le mou. Aux armes citoyens !!!
Avec des gestes d'automate, je me suis habillé, j'ai saisi ma vieille winchester à chargeur et je me suis mis au volant de mon 4X4. J'ai fait rugir le V8 dans les virages en lacets. Quand j'arrivais en vue de la maison, je coupais les phares pour me rapprocher le plus discrètement possible.
Je ne m'étais pas trompé... auprès du Duster d'Abel, était garé le gros pick-up customisé des cousins de l'homme de Neandertal.
J'ai empoigné la carabine et me suis dirigé vers la porte d'entrée, elle n'était pas verrouillée. J'entrais et j'entendis le bruit caractéristique de poings frappant une peau nue.
Ça claquait fort.
Bordel ! Quand je pense qu'il y a des mecs qui galopent toute leur vie pour assouvir leurs putains de petits fantasmes et que moi, il me suffisait de franchir une porte et de grimper une échelle de meunier pour tomber de plein-pied dans le plus ténébreux des miens.
Je suis le Béni des démons.
N'importe quel homme normal verrait son amant se faire massacrer par des gorilles, hurlerait. Moi, j'ai bandé.
Nu, écartelé debout sous la poutre maîtresse, Abel subissait son supplice préféré. Supplice que depuis trop longtemps je ne lui avais pas infligé. Son dos portait des marques de flagellation.
Le maintenant solidement par une double nelson, le plus massif des deux, le grizzly Ted, lui défonçait le cul à grands coups de reins tandis que l'autre brute attendait son tour, en lui balançant des uppercuts dans le plexus. Chaque coup était ponctué d'un râle rauque.
Entre les jambes écartées de leur proie, un poids de fonte se balançait. A l'extrémité du scrotum étiré, les testicules saillaient comme deux grosses prunes trop mures.
Ils me l'avaient joliment démoli, mon bel Abel, ces deux fumiers ! Le pire était qu'il s'agissait d'un plan convenu entre les trois mecs. Abel était consentant. J'étais fou de rage !!
Quand mes yeux effarés ont croisé le regard flou d'Abel, ils ont croisé le regard d'un inconnu.
Pourtant... qu'on me les coupe si je mens... il a juté en me voyant apparaître!
Ce ne fut pas en jets que son foutre a jailli, non. Il s'est écoulé lentement, épais et abondant, de son méat dilaté pour couler le long de son sexe érigé, de ses couille distendues et choir en flaques sur le plancher. Une fontaine de faune obscène.
Je bandais jusqu'à la douleur. J'ai relevé mon arme et j'ai tiré à la verticale. Au dessus de moi, une demi douzaine de tuiles ont explosé, recouvrant mon crâne et le sol de débris épars.
Pétrifiés, les deux brutes me regardaient avec des yeux de hiboux. La déflagration me faisait ronfler les oreilles. J'ai réarmé d'un coup de pouce en rugissant :
- Cassez-vous ! La prochaine, c'est pour vos jambes !
Leurs fringues sous le bras, les deux malabars ont dévalé l'escalier sans piper mot.
La carabine toujours le long de la jambe, je les ai suivi, calmement, en faisant sonner les marches sous mes talons. J'étais la réincarnation furieuse de Josh Randall.
Le gorille, paniqué, s'excitait sur son démarreur. J'ai tiré un nouveau coup en l'air et le pick-up est parti en patinant des quatre roues. Comme le gros con n'avait pas pris le temps d'ouvrir les phares, il s'est payé le pilier du portail plein pot, sur toute la longueur.
J'ai attendu que disparaisse le bruit du moteur, puis je suis remonté au grenier.
Dans un geste d'imbécile, je me suis avancé vers le prisonnier pour lui visser le canon chaud de la Winchester dans le nombril.
Il n'était pas frais le bel Abel, mais il pouffait de rire. Allez comprendre !?
- Tu es complètement barjot ! Trouva-t-il à me dire.
J'ai failli lui répondre que oui, en effet j'étais dingue. Dingue de lui, tout simplement.
C'est pourtant sans répondre, le visage fermé mais en gestes précautionneux, que je l'ai débarrassé de ses pinces à seins et que j'ai dénoué la cordelette pour le délivrer du poids qui distendait ses couilles. Au moins 2 kg.
Mais je ne l'ai pas libéré.
Je l'ai abandonné, écartelé par les cordes tendues et suis redescendu au rez-de-chaussée pour me coucher sur son lit.
Là, les doigts croisés derrière la nuque, les yeux fixés au plafond, je l'ai entendu m'appeler plusieurs fois :
- Romain... déconne pas... détache-moi.
Ses appels se sont espacés et je me suis endormi, meurtri, blessé, le coeur vide... sec.
Ce n'est pas le chant du coq qui m'a réveillé mais le grondement d'un orage qui survenait.
Le jour se levait. J'ai gravi les marches jusqu'au grenier. Le sulfureux Caravage n'aurait pas renié le tableau qui s'offrait à moi. C'était une descente de croix.
Suspendu, les bras distendus, le menton sur la poitrine, Abel semblait inconscient mais il releva la tête à mon approche. Ses prunelles étaient des trous dans la nuit.
Entre ses pieds nus, il y avait une grande tache humide sur le plancher de bois brut.
C'était le foutre qu'il m'avait peut-être dédié et la pisse qu'il n'avait pu si longtemps contenir. Tout cela, le bois le buvait maintenant.
J'ai enveloppé son torse étiré de bras enfin secourables. Il a laissé tomber sa tête sur mon épaule avec un petit sanglot. Je l'ai détaché et quand il s'est affaissé, je l'ai pris dans mes bras pour l'emporter loin de là, chez moi.
Tandis que nous roulions sous la pluie, sur cette route qui me semblait soudainement étrangère, il tourna un visage épuisé vers moi et me dit :
- Maintenant, tu sais ce qu'il te reste à faire pour que je n'aille pas chercher ailleurs. De toute façon, tu es le meilleur. Aucun de ces guignols n'avait ta queue... ni la mienne d'ailleurs.
Peut-on imaginer pires paroles ? Je n'ai pas répondu mais la route a défilé bien plus vite encore sous les roues du véhicule. J'entrais dans mon enfer. Toujours récurant.
Il me disait que j'étais le meilleur. La bonne blague.
Et les autres alors ? Combien y en avait-il ?
Je n'étais pas d'un tempérament jaloux mais j'avais quand même des limites.
La jalousie est un réflexe animal de transmission génétique que l'homme a perverti en réflexe de possession. Abel ne m'appartenait plus. Et j'en crevais.
Arrivé à la villa, je l'ai douché, soigné, désaltéré et je l'ai couché dans des draps frais.
Une vraie Maman.
- Alors, comme ça, tu m'aimes quand même un peu ? Me balança-t-il.
- Je t'aime depuis que je t'ai vu. Et pas qu'un peu ! Sale con !
C'était la première et dernière fois que je disais à un homme que je l'aimais.
alain.romain@orange.fr