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Premier épisode | Épisode précédent

Agriculteur

Saison 4 | Chapitre 2 | L’âme du Champagne

Le matin, évidemment, je me réveille seul. La lumière qui m’arrive par la fenêtre promet une belle journée. Je me douche et, le poil encore humide et tout ébouriffé, j’enfile un petit short flottant et un simple débardeur délavé et, claquettes aux pieds, je vais retrouver Monique pour mon café du matin, vital. Le bol dans les mains, je me retourne et il est là, en habits de ville, chemisette bleu ciel et pantalon de toile, coupe de cheveux impeccable comme s’il sortait du salon. Quand il lève ses yeux vers moi, son regard, comme ses cheveux, parait plus clair sous le hâle de son visage. Il m’envisage de la tête aux pieds et je me sens déshabillé comme par des doigts chauds et un peu honteux de cette tenue de traine savate vêtu d’oripeaux mais son sourire s’épanouit et nos yeux s’accrochent :

- « Tiens, voilà notre palefrenier qui sort de son fenil ! Monique, il faudra veiller à lui trouver quelques frusques convenables. On va nous reprocher d’exploiter ce va nu pied sans même l’habiller décemment ! »

- « mon pauvre Julien, c’est vrai, c’est rongé par l’usure, tu ressembles à un poulet cou nu*1 » elle a un petit rire et se prend à tenter, à deux doigts, de remettre en place mon maillot informe.

Mais moi, je ne vois que lui, mes yeux sont rivés sur lui, je sens la boule de mon désir pour lui monter en moi, puissant, et se heurter au sien, tout aussi déterminé. Alors que, déjà, il tourne les talons et sort, je pose mon bol et bondis à sa suite : « patron ! » Je le suis à quelques pas et, à la faveur des portes, le retiens d’une main. Il se retourne, bras tendu, main levée en opposition, regard contrit : « je suis déjà en retard, Julien ! » Alors, pris de je ne sais quelle pulsion, j’arrache mon maillot, lui l’envoie d’un geste sec et, tandis qu’il le pétrit, j’abaisse à deux mains mon short aux genoux, libérant mon pieu dressé vers mon nombril et je me redresse, statue priapique.

  • « À ce soir, Julien ! » Ses yeux sont restés plantés dans les miens, assurés, droits.

De ce moment, j’ai gardé au ventre cet élan spontané, hormonal, ce nœud serré par la testostérone mais la tête froide. L’urgence me rend calculateur, efficient, clairvoyant. J’ai des milliers de choses à faire et je dois pouvoir rester disponible à tout instant pour ma priorité : Lui !

Mais en attendant, je veux anticiper la grande foire agricole où je voudrais pouvoir faire montre de mon travail avec ces chevaux lourds qui sont la fierté de Lecourt. Pour cela, je dois moi-même travailler pour acquérir la maitrise des exercices et je m’essaie patiemment au travail à pied, en longe et aux longues rênes, pour les préparer.

Après quoi, je selle Noisette et je pars, terminant mon circuit par le méandre des moines. La jument affectionne ces bains : elle plonge la tête dans l’eau, soufflant par les naseaux puis redresse brusquement son encolure en envoyant une arabesque de gouttes. Elle aime aussi particulièrement l’herbe fraiche qui pousse dans ce fond humide et, maintenant entravée, broute hardiment tandis que je nage. D’un coup, en ressortant la tête de l’eau, je l’aperçois.

  • « Elle est bonne ? »

Il a dû venir directement car il porte encore sa tenue du matin. Je me redresse pour le détailler sans gêne quand il se déshabille en suspendant ses affaires aux branches avec soin. Puis, nu, le corps blanc et velu, il entre avec de petites crispations dans l’eau qui parait fraiche par contraste avec la chaleur de l’été et s’y allonge pour sa première brasse, la tête soigneusement maintenue hors de l’eau. Je souris car Lecourt est un animal puissant sur la terre ferme mais, piètre nageur, il est ici exposé, face à mon agilité. Je plonge et, en trois mouvements, je le rejoins, le dépasse en le frôlant étroitement et ressurgis dans une gerbe d’eau, face à lui. Il se redresse, circonspect et, même si cela m’amuse, je le rassure immédiatement :

- « laisse-moi te montrer quelque chose, patron » et je l’accompagne sur quelques mouvements pour aider à coordonner sa respiration et le préparer à nager la brasse le corps étendu avec le visage dans l’eau. A l’évidence, Lecourt nage en force, en s’opposant à celle de l’eau, alors que l’on doit aussi s’appuyer sur elle pour ne pas s’épuiser. C’est d’ailleurs un peu pareil en équitation où il ne faut pas s’opposer en puissance à celle, bien plus grande, du cheval mais la canaliser et l’utiliser.

Je suis également touché de le voir, lui, le patron, ainsi m’écouter et suivre mes indications. Je sais que c’est uniquement parce que j’ai gagné sa confiance qu’il s’autorise à se mettre en difficulté corporelle devant moi, barbotant, suffocant à demi en tentant de rééduquer la coordination de sa respiration et de ses mouvements de brasse. Il persévère pourtant avec application et accède parfois à une certaine fluidité mais il s’épuise rapidement et rejoint la berge où il s’étire sur le dos au soleil pour reprendre souffle.

- « je me suis trompé sur ton compte, gars Julien ! Tu ressembles à une loutre » dit-il. Je pense immédiatement aux peu flatteurs « gras comme une loutre » ou « dormir comme une loutre » et je suis curieux de savoir ce qui, à ses yeux, me rapproche de ce petit mustélidé discret.

- « on dit la loutre paresseuse mais elle sait profiter de la vie : elle est vorace, joueuse, … et aussi intrépide, déterminée, agile … et recherchée pour sa fourrure » Je me soulève sur un coude pour le regarder, tout en restant à distance. Il poursuit :

- « Dis-moi, toi qui n’es pas fils de paysan, te vois-tu te dévouer pour une terre qui ne serait pas la tienne ? » Il se redresse le temps d’un bref coup d’œil puis se repose et attend, le regard lointain.

Je roule sur le dos, m’étire bruyamment au soleil avec un soupir d’aise : « pour moi, Les Chênaies, c’est un paradis, patron ! Ici, je galope librement avec Noisette, je me baigne dans la rivière, j’ai quelques copains, un travail varié et en plein air, un bon lit et … tu partages ton vin avec moi … mais j’ai fait quelque chose de travers, patron ? »

Il rit : « bien au contraire, tout a l’air de rouler, Julien ! » 

Alors je relève un bras vers le ciel et le laisse retomber à l’aveugle dans sa direction pour le toucher, juste un contact, ma main sur sa peau, peu m’importe où :

- « Je pense à ta bite rafraichie par l’eau, triste et toute rabougrie, patron, et à comment je pourrais l’aider à reprendre son essor … »

-« Et bien continue d’y réfléchir, gars Julien et, au besoin, retourne te baigner , l’eau fraiche t’aidera à patienter »

Je le retrouve dans la cuisine de la grande maison, assis devant quelques documents. J’ai brossé Noisette avant de la remettre au paddock, je me suis douché et j’ai pris soin de revêtir un polo récent et je vois à son regard amusé qu’il le note. Il replie ses papiers, se lève, s’approche avec le regard pétillant qui crépite sur moi. Le doigt levé vers l’étage, il précise : « j’attends un coup de fil » Je cligne lentement des deux yeux, en approbation tacite. Je sais que sa femme l’appellera comme tous les soirs ; il est marié et alors ? Il en reste assez pour moi.

Je le regarde s’approcher et sa main se pose sur mon bras droit tandis qu’il me contourne, m’entourant du sien, pour venir, à mes trois quarts, parler à mon oreille gauche. Je reste impassible, regard perdu droit devant, tout à la conscience de sa main, de son bras sur moi, de la chaleur qu’ils irradient : 

- « Tu as bien changé, Julien ! » Je sursaute et braque mes yeux grands ouverts sur lui qui sourit :

 « J’ai dit : Bien ! » Je remets ma tête en place et ferme les paupières. Je déglutis lentement comme pour avaler ce compliment. Il pose son index sur ma clavicule et le laisse glisser progressivement jusqu’à trouver mon téton qu’il saisit :

- « j’étais pressé, j’ai tout mon temps ! On était exposés, ici, on est tranquilles ! » J’entends parfaitement et très clairement.

J’entends mais je ne bouge pas. J’écarte imperceptiblement le bras gauche et ma main entre au contact de sa cuisse. Il incline son buste et me murmure à l’oreille :

- « je partage mon vin avec toi, si tu veux bien » et il s’esquive.

Il revient, porteur d’un plateau avec deux coupes « moulées sur le sein de la Pompadour », il dévoile la bouteille qu’il cachait derrière lui et la dépose entre mes mains. Il se place dans mon dos, m’entourant de ses bras, il me guide, me faisant lire l’étiquette du Champagne puis il me fait dégager la boucle du muselet, enlever l’ensemble avec son habillage, saisir fermement le bouchon, faire tourner la bouteille inclinée pour libérer doucement le bouchon du goulot sans le laisser échapper puis verser. La friction de nos corps, de nos peaux, de nos poils, son souffle dans ma nuque me font frissonner. Je remplis les coupes dans un crépitement de feux d’artifice et il se décale pour, visage incliné au-dessus de la boisson effervescente, baigner son visage de bulles et humer les arômes. Puis il se redresse, lève sa coupe à hauteur des yeux. Je le rejoins et porte le premier toast :

- « à tes progrès en natation ! »

On trinque puis on boit une première gorgée, regards rivés par-dessus les coupes. Il sourit et reprend : « à ce fameux stagiaire de BTS » Puis il s’empare de la bouteille, introduisant son pouce dans l’âme, ce renfoncement au fond - avec un regard entendu ! - et les doigts sur le côté, il remplit nos verres. Puis il pose l’index sur ses lèvres, lève son verre :

- « aujourd’hui, en réunion, il m’a été proposé d’être candidat à d’importantes fonctions lors des prochaines élections consulaires. J’y réfléchis ».  Je le félicite, on re-trinque mais je vois, à danser ainsi d’un pied sur l’autre, qu’une autre exigence le taraude. Je la partage. Sans cesse à changer de position, toujours en mouvement, on se frôle, se regarde, se touche, s’observe, et tous les élans que j’ai sagement différés refont surface un à un. Nous restons silencieux, aiguisés, électriques, vidant lentement nos coupes.

La sonnerie du téléphone retentit. Je lui indique que je rejoins l’écurie quand lui court décrocher et nous nous séparons, fébriles. (à suivre)

*1 Les poulets familièrement appelés « cou nu » ou « cou pelé » sont issus de souches rustiques. Leur cou est complètement dégarni de plumes, à l’exception d’un petit toupet à la base, laissant apparaître une peau rougeâtre de la même couleur que la crête. Cette caractéristique est réputée les rendre très résistants à la chaleur.

Amical72

amical072@gmail.com

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