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8 | Jetable
Le récit de Julien
Dédaignant l’autre bassin d’eau fraîche et tranquille, nous nous dirigeons vers le foyer : une vaste salle avec une cheminée pour l’hiver, un grand écran, de confortables sièges de salon. Il y règne une convivialité bon enfant que l’équipe, toujours disponible, entretient depuis le bar.
Un mec y est appuyé qui sursaute en voyant entrer Cyrille et le dévisage illico de pied en cap. Nous poursuivons jusqu’à une paire de fauteuils en face à face. Je lui glisse à l’oreille.
- « Sitôt entré, tu as déjà un admirateur ! »
Il hausse sèchement les épaules.
- « Quoi, le nabot contrefait à l’entrée ? Outre que ses œillades de crapaud exophtalmique pèsent des tonnes, il a les jambes torses et se marche sur les orteils à chaque pas ... »
Il secoue la tête.
- « De cela, bien sûr, je ne devrais pas lui faire reproche mais regarde-le ... Il tente de détourner notre regard de sa calvitie en semant sa barbiche filasse de perles d’acier, couvre ses doigts courts de trop nombreux et trop lourds anneaux du même métal, ses poignets de larges bracelets de cuir noircis, peigne avec un grand soin bien trop apparent la courte toison de son torse et a tatoué son bras de grossières guirlandes de fleurs … Sans doute croit-il que s’approprier si visiblement de lourds marqueurs de virilité qu’il prend pour des cautions suffit à lui conférer un « genre » ? Que l’habit fait le moine ? Naïves croyances !»
Il balance latéralement la tête et fait la moue, jeunesse aux certitudes et au verbe impitoyables sitôt qu’elle a pris un peu d’assurance, même si je ne suis pas loin de partager son impression car nonobstant ses légères disgrâces qu’une belle personnalité acquise par un vrai travail sur soi pourrait transcender, l’homme paraît cultiver à dessein le mystère d’une posture tarabiscotée de dandy de pacotille.
Que cache-t-il sous cette mine qui se veut lointaine, serait-ce l’authentique amour d’une reine comme on en trouve dans le cœur d’Hélène ? Mais ceux qui ont une vie riche et bien remplie ont généralement mieux à faire que de la dissimuler et ces mines de théâtre ne protègent souvent que le vide du trou du souffleur, un abîme. Mais Cyrille hausse déjà l’épaule et poursuit.
- « Sur lui, ces accessoires par leur accumulation même touchent au ridicule et le font apparaître comme un imposteur apprêté ... Un travesti ! »
Il rit.
- « A considérer l’air de fausse modestie qu’il arbore et son sourire suffisant, je parie qu’il s’offusquerait bruyamment si jamais il apprenait que je ne vois en lui qu’un pantin factice ; il est tellement plus facile de s’indigner, de crier à l’humiliation, plutôt que de se regarder dans le miroir tendu … Il hurlerait au manque de respect mais s’empresserait de disparaître pour se répandre sur les réseaux sociaux en y déversant une brouette de jugements sans appel, d’imprécations et d’excommunications prononcés depuis son nombril qu’il prend pour le centre du monde.
Mais cela sans avancer d’arguments, en évitant toute confrontation directe avec l’autre, sans expérience partagée, et surtout sans implication émotive, préférant rester lâchement bien à l’abri derrière son caparaçon de bibelots et d’amulettes clinquantes …
Tout le contraire de ce que j’ai vécu avec toi.
Non, toi, tu es rude mais sincère, si exigeant que tu en es presque effrayant mais tu descends te colleter dans l’arène et tu m’as procuré de vraies émotions, puissantes, violentes, renversantes ... authentiques et abouties. Tu sais aussi te dévoiler, être tendre, et je t’ai même vu te montrer ému quand je m’effondre dans tes bras … N’est-ce pas, papa ? »
Il me regarde effrontément dans les yeux en souriant de son culot.
- « Alors, tu me proposerais de m’enculer comme tu sais si bien le faire que je serais encore ton homme, parce que tu m’as réconcilié avec moi-même … mais je t’ai demandé de m’accompagner ici pour découvrir d’autres choses ... Comme le mec derrière toi. »
Son regard passe par dessus mon épaule et je cherche la position qui me permettra d’examiner l’objet de sa convoitise sans me retourner, dans un des miroirs sur le mur face à moi.
Il est appuyé sur le bar par un coude en arrière, pour mettre en valeur ses abdominaux marqués, résultat de sa probable assiduité à la salle de sport, ce qui, en dessous, tend sa serviette et dessine l’axe de sa bite. Il peut avoir la trentaine, cheveux châtains très courts mais le corps débarrassé de tous ses poils. Sans artifices trop clinquants, il se contente d’exhiber avec assurance une musculature volumineuse et sourit en examinant ostensiblement mon compagnon qui lui rend la pareille quand, soudain, son regard se met à papillonner, incapable de se fixer.
C’est que le costaud apparaît à notre hauteur ! Il nous dépasse pour se diriger vers la zone des cabines d’un pas nonchalant. Sans doute a-t-il perçu la fébrilité de Cyril et conclu à la certitude que ses biscotos charnus auront imparablement séduit le jeune homme. C’est un beau mec mais il y a quelque chose de présomptueux dans l’assurance de sa démarche, sans même qu’il concède un regard en arrière, et je me prends à espérer que le sens critique de Cyrille se réveille et le détourne de ce bodybuildé si évidemment infatué de lui-même. Mais il me lance un regard désespéré et implorant et, résigné, je me lève pour, d’un coup de menton, l’inviter à suivre sa chimère.
Nous le découvrons au détour d’un couloir. Il attend, debout, appuyé de l’épaule gauche et du pied droit à la cloison. Sa cuisse puissante à l’horizontale a remonté sa serviette et sa main est négligemment arrondie sur son paquet, comme pour le retenir de bondir.
Cyrille me devance d’un pas ; pourtant c’est moi qu’il fixe du regard, me lançant du menton une interrogation muette à laquelle je n’oppose qu’un sourire. Il enveloppe alors Cyrille de son bras, l’attire à lui, enserre sa nuque d’une main et celui-ci incline docilement son visage jusqu’à toucher son torse. Dans le même temps, Musclor a pivoté et les a entraîné tous deux dans la cabine voisine où je les suis mécaniquement, refermant la porte derrière nous.
La pression continue sur sa nuque a plié Cyrille en deux et la serviette du costaud tombe à ses pieds, m’offrant le spectacle de ses deux fesses qui se contractent au rythme de son léger balancement d’avant en arrière. Puis, du plat de la main, il balaie le dos de Cyrille et lui arrache à son tour sa serviette pour aussitôt empoigner fermement sa fesse claire d’un geste possessif. Il pousse maintenant rudement son bassin plus avant, marquant le tempo de la fellation de petites tapes sèches sur le cul tendre puis il crache dans sa main avant de revenir en explorer la raie.
Il a tourné juste ce qu’il faut la tête vers moi pour m’adresser un clin d’œil et avance sa mandibule dans une moue volontaire tout en doigtant puissamment l’anneau rapidement conquis.
D’un mouvement preste, il a retourné Cyrille face à la banquette, le place en appui et écarte ses cuisses de son genou quand je m’interpose, lui tendant l’étui de gel extrait de mon bracelet.
- « Prends soin de lui ! »
Le ton est sans appel.
De l’autre main, je bouscule Cyrille et lui impose l’étui du préservatif dont il s’empare comme d’un secours providentiellement tombé du ciel avant de se contorsionner. Et je lis dans le regard soudain voilé du balèze que les gratifications qui lui sont administrées à l’occasion de l’emballage de son sceptre compensent sa contrariété puis, à son sourire carnassier qui s’épanouit, qu’il s’en trouve probablement stimulé.
Il a remis Cyrille en position et, masséters contractés, le pénètre lentement mais impitoyablement puis, fièrement campé en picador figé, il prolonge quelques secondes l’exposition de sa posture de puissance dominatrice …
Il s’est détendu d’un coup et enclenche alors le va et vient, souplement, comme à la parade. D’abord, il guide le mouvement des deux mains, encadrant les hanches, retroussant les fesses, creusant le rein puis, le mouvement installé, il relève un premier bras pour se palucher les pectoraux, pinçant ses mamelons et, enfin, il écarte le second bras sans cesser d’étirer ses tétons, tourne la tête pour venir humer son aisselle ruisselante, Narcisse s’étourdissant de ses propres effluves, tandis qu’il lance puissamment son bassin qui claque sur les fesses de Cyrille qu’il envoie vers l’avant et qui revient inlassablement à la rencontre du coup de boutoir suivant.
Je les vois, de dos, et j’assiste, fasciné, à l’exposition complaisante de ce puissant coït animal, si dépouillé, si essentiel qu’il m’en parait effrayant, mais je me garde d’intervenir malgré ma bite pourtant brûlante et tendue à l’extrême, un constat qui me remplit d’ironie sur notre force morale. Mais non, ce n’est pas MON scénario, je suis pris à témoin mais ce round m’échappe. J’attends.
Il a repris les hanches de Cyrille à deux mains pour l’attirer à lui au rythme de ses coups de reins, maintenant secs, courts, profonds, soulignés par ses « han » de bûcheron. Dans une ultime estocade, il se cambre, soulève ses talons du sol en plantant Cyrille sur sa queue et, dans un dernier grognement, se fige, les épaules soulevées par quelques soubresauts.
Puis il repose ses pieds à plat, se retire et débarrasse sa bite qui débande de son étui de latex en le roulant à deux mains. Il se retourne vivement et le lance en direction de Cyrille qui s’est effondré sur la banquette. Il s’écrase sur lui dans un bruit flasque.
Puis il balance son bras dans un geste de faucheur pour ramasser au sol sa serviette dont il dédaigne d’entourer ses hanches, exhibant son sexe ballant, encore rougi et baveux, comme un trophée de vainqueur. Il s’avance, ouvre la porte de la cabine, me pose la main à plat sur l’épaule.
- « Elle a une bonne chatte, ta p’tite pute ! Si t’as encore besoin d’aide ... »
Et il sort, tout à l’ivresse de sa démonstration de puissance, roulant exagérément des épaules sur lesquelles, désinvolte, il jette négligemment sa serviette. Un instant, je le VOIS, je l’imagine plutôt, grimaçant soudain de douleur pour avoir … posé franchement son pied nu sur un éclat de métal assez tranchant pour l’érafler, poussant alors un cri haut perché, affolé à la vue de deux minuscules gouttes de son propre sang …
Je ne suis pas toujours charitable.
Je me suis affalé sur la banquette près de Cyrille et il est venu se blottir, enfouissant son visage, le temps de reprendre son souffle. Je le caresse paternellement, sans mot dire.
Il a tourné la tête, posant sa joue sur mon ventre et m’offrant d’observer l’épi qui oriente ses cheveux courts en tourbillon au sommet de son crâne.
- « J’arrive, tout nouveau, tout neuf. Il m’attrape, il m’enfile, me bourre, il jouit, se retire et, immédiatement, je n’existe plus : je suis qu’une petite pute qu’on baise et qu’on jette aussitôt, un kleenex ! Tu crois qu’il se souvient encore de mon visage ? …»
Il se tait quelques secondes, puis, d’un coup, il saute sur ses pieds.
- « Allons laver tout ça ! »
Amical72
amical072@gmail.com
Brassens chante « Moi j'ai pris la peine de m'y arrêter / Dans le cœur d'Hélène, moi qui ne suis pas capitaine / Et j'ai vu ma peine bien récompensée » Mais que trouve-t-on dans les sabots d’Hélène
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