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Premier épisode

Agriculteur | S12 La chance

2 | Comment te dire

Le récit de Julien

Lecourt et moi sommes accoudés à la lice des paddocks, examinant les chevaux que nous avons ramenés des prés. Je me soulève sur un bras.

- "Tu viens."

Le ton est neutre, ni ordre, ni question. Il se redresse à son tour et me lance juste un regard rapide et indéchiffrable, ainsi qu'à son habitude, mais celà suffit pour accélérer mon pouls. Tranquillement, il m'emboite le pas.

Et aussitôt, mes oreilles bourdonnent. Nous marchons tranquillement mais soudain je me partage entre une hyper vigilance à tout ce qui pourrait s'interposer pour tenter de nous faire obstacle et une application forcenée à ne rien laisser transparaître de cet entrain qui me porte, de ce frisson, de ce pincement.

Nous enlacer dés la porte posément refermée puis nous embrasser n'a certes plus le même sel étourdissant qu'aux débuts mais reste tout aussi puissant. C'est un moment où chacun, dans sa vérité nue et dévoilée, s'avoue et se sait totalement accepté, jusque dans ses faiblesses.

Nous embrasser ouvre ce dialogue où se rencontrent silencieusement tous les discours du monde, toutes les expressions les plus labiles, les rhétoriques les plus communes comme les plus rares, destinées à entraîner l'autre, le distraire, l'étourdir, le séduire ou le désarmer, pour l'embarquer dans un pas de deux tressant étroitement l'essentiel et nos langues, avec nos souffles vitaux, nos joies les plus solaires et nos terreurs les plus profondes.

Et je sais d'emblée, à sa façon de se couler dans mes bras ce que lui, Lecourt le taiseux, l'homme avare de mots mais dont les mains calleuses savent donner la vie, ce qu'il attend ; s'il est dans la confidence, dans l'écoute ou ...

Et là?

J'affectionne de porter mes maillots élimés jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que loque, quand le coton est si usé, lustré jusqu'à la trame, qu'il en devient léger comme un souffle, doux, satiné. Or voilà qu'il le chiffonne de ses larges mains, sans plus le ménager que des haillons, étirant les coutures déjà festonnées jusqu'à arracher de sinistres craquements ; ses doigts viennent se prendre dans le moindre accroc pour l'élargir, dépenaillent les parties déjà élimées et réduisent ce plaisant souvenir à l'état de guenille sans la moindre pitié. Il joue.

Il jubile, je me désole, il prétexte mille cajoleries ou pincements qui m'arrachent des soupirs, gronde que mes oripeaux lui font honte, que, plutôt que me voir couvert de tels lambeaux, il me préfèrerait totalement nu et achève la destruction dans un ultime déchirement, sa bouche venant happer mon téton alors dévoilé pour l'étirer férocement, adhérant telle une ventouse enflammée.

Il met à profit ma suffocation et m'entraîne jusqu'à mon lit, arrachant le dernier rempart que constitue mon short, m'écrasant de son autorité.

Et je capitule !

Endossant sans remord la soumission de la victime écrasée qui rend les armes, du faible qui s'en remet au fort pour qu'il prenne soin de lui, j'accepte de fléchir la nuque dans ce que je SAIS n'être qu'un simulacre, un jeu de rôle où chaque balancement ne vise qu'à conforter l'équilibre entre nous, où le respect, dans sa certitude de ne souffrir aucune exception sur le fond, s'autorise toutes les variations, toutes les allégories pour les transcender.

Il me bouscule, nu sur le lit où je me tortille comme un ver qu'il embrasse, lèche, râpe de sa barbe, mordille, suce, aspire quand ses mains me pétrissent, me retournent, me renversent, me hérissent, me maintiennent à son entière disposition.

Et, régulièrement, il revient m'embrasser, goulument, sa langue partageant tous les sucs qu'elle a recueillis, dans des voltes et des pirouettes où elle s'attarde parfois, pour prendre le temps de la volupté soudain apaisée.

Je m'accroche et m'emploie discrètement, défaisant ici un bouton, là une boucle, antipant le moment où il me permettra de reprendre pied. J'ai saisi son maillot à deux mains et il a brièvement soulevé son torse, le temps de le lui passer par dessus tête. Aussitôt, il revient s'écraser sur moi.

Rien d'autre n'existe à cet instant que nos peaux qui se retrouvent et se collent, que nos poils qui se plient en boucles qui éclatent, écrasés, emmêlés les uns aux autres comme des hameçons, que ses moiteurs, son odeur qui envahit mes narines. Le baiser est celui de retrouvailles fusionnelles, un élan joyeux, une course éperdue, un bondissement printanier toujours recommencé. Il est suivi d'un instant suspendu où se croisent nos regards canailles, pendant lequel je le devine qui balance sur le sort qu'il me réserve, auquel je me rends sans condition. Mieux : que j'attends avec impatience!

Il s'est jeté en travers de moi et je ne vois que son dos, son torse barrant mon abdomen. En appui sur le coude gauche, sa main saisit ma queue et la pointe vers le ciel pour qu'il puisse plus aisément l'engloutir.

Ô le salaud, le monstre, l'imperator!

Ô que je voudrais que cette lente glissade dure cent ans!

Les poils drus de sa moustache et de son bouc brossent mes couilles et la base de ma queue, je soulève le bassin pour qu'il s'emploie jusqu'à fond de gorge et c'est précisemment le moment qu'il choisit pour me percer le cul. Une seule flèche. Pile dans le mille!

Mon sursaut me renvoie en réflexe vers le haut, puis je retombe sur son doigt planté, puis je rebondis puis ... Étourdissant.

Il a patiemment attendu que le tourbillon s'épuise, que je retrouve mes esprits, que je reprenne pied dans la maîtrise ... Mes mains le caressent et s'attardent dans ces plages de fin pelage qui griffe son dos. Il a ondulé et se dispose pour faciliter mes initiatives. Ma main s'aventure.

A l'abri dans le creux de ses reins, le poil que mes doigts ratissent gagne en densité, se recourbe, tapisse ses fesses jusqu'à mècher parfois. Son doigt se borne à entretenir ma chaleur intérieure mais sa bouche, ses lèvres s'emploient à ranimer ma vigueur qu'aussitôt retrouvée, il agace, excite, mordille, lèche, égratigne de sa barbe, me laissant chaud comme la braise.

À caresser distraitement sa croupe de la main, inévitablement un doigt glisse dans sa raie. Son murmure est parfaitement audible quand j'effleure son anneau et celui qui lui échappe quand mon majeur, humide de salive, revient s'attarder, s'arrondir délicatement puis se nicher n'est que plus net encore. Eloquent.

Il secoue ma bite comme une bannière et ranime mes pulsions de pointeur ; à mon dernier sursaut, j'ai bien perçu que sa résistance se faisait moins farouche or voilà qu'il m'enduit d'un gel que le renard a préalablement réchauffé dans sa paume, une application méthodique d'une précision anatomique. Dans une pirouette parfaitement coordonnée, nous basculons : lui sur le côté, moi en surplomb, le torse écrasant ses épaules, une main guidant mon épieu pointé qui coulisse et trouve immédiatement sa cible ; elle est souple, offerte, accueillante.

C'est SA maison familière, SON fourreau exactement ajusté où il reprend SA place, un sur-mesure né d'une longue habitude attentive et précise, d'une recherche de la plus étroite imbrication possible, une confiserie ancienne d'origine contrôlée.

Mes bras m'arriment à lui et ses mains me retiennent de m'échapper, nos balancements vont en sens contraires quand nos souffles s'accordent, courts et précipités. Après avoir musardé, nous voilà comme en état d'urgence, celle de nous rejoindre, vite, de nous fondre une fois encore.

- "Ah! Lecourt ..."

Au terme d'un élan plus vigoureux, mes reins se bloquent, presque douloureusement creusés pour me lancer vers l'avant et un étourdissement brouille fugacement mon esprit.

Je reprends lentement pied entre ses bras, sous son regard amusé et bienveillant penché sur moi. Nous retombons sur le dos, côte à côte, en soupirant et le calme revient, le silence, les yeux au plafond ...

- "Julien, pour la jolie pouliche, je pense que j'aurai une opportunité ..."

Voilà! C'est ça, Lecourt !

C'est le refuge dans les choses simples, quotidiennes, banales, rassurantes, celles qui jalonnent notre existence de joies ordinaires mais pourtant essentielles, de petites attentions, qui témoignent de la permanence d'un regard attentif, assurent de la constance d'une présence.

Je le connais bien, lui, son impossibilité à se dire et ses façons, pudiques et souples, de contourner cette incapacité. Pourtant, chaque fois, l'habileté qu'il y met me surprend et me touche ; finalement, peut-être que s'inquiéter de mes émotions, se pencher sur mes ressentis serait plus convenu. Plus limité, assurément.

Mais il a bien entendu ma fierté de lui présenter ce bel animal. Je sais qu'il va probablement me proposer une "idée folle", un de ces défis ambitieux pour lequel je devrai chambouler mes compétences, mes habitudes mais que je mettrai un point d'honneur à relever.

Fait-il celà uniquement parce que ces – modestes - succès d'élevage ont régulièrement jalonné toutes ces années aux Chênaies? S'il me les attribue sans discussion pour me dire SA satisfaction de m'avoir à ses côtés, ils renforcent notre dignité commune, notre amour-propre tiré de l'aboutissement du travail accompli ensemble. Ils nous soudent.

Ou bien fait-il celà pour flatter ma prédisposition naturelle à être un éternel "apprenti" ? Ce trait que j'ai par la suite, soigneusement cultivé, m'invite à être toujours à l'affut ce que chaque situation, même réitérée, comporte d'inédit, de singulier et à me réjouir de l'explorer, poussé par mon inextinguible curiosité ; est-ce qu'à ses propres yeux également celà renouvelle les attraits de la vie ? Je ne sais pas ...

Alors cette proposition, je veux la lire comme une chance qu'il m'offre, l'expression discrète de sa reconnaissance à mon égard, une manifestation de la confiance qu'il place en moi, de son respect également et, je l'espère, ... davantage encore. Comme un écho. Un de ces signes qui, régulièrement répétés, ont inscrit notre relation "affective" dans la durée.

Il me touche.

Oui, il me touche, ce diable d'homme et j'en suis heureux.

* Sade - Smooth Operator - Montreux ( 1984 ) "No need to ask. / Pas besoin de demander. / He's a smooth operator, / Il sait s'y prendre." Qui a eu la chance de la voir onduler sur scène, strictement gainée de cuir noir, cette brindille de voix qui clame He's a smooth operator

Amical72

amical072@gmail.com

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