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12 | Audace – Le récit de Joris
De ce jour, on ne m'a plus pris en défaut : je suis totalement engagé dans mon projet de concours d'éducateur, dont la sincérité m'a été comme révélée lors de cette mésaventure avec Stéphane. Me voilà ponctuel, organisé, devançant parfois les demandes, mon père m'en a fait la remarque.
- " On ne peut jamais être absolument certain de parvenir à ses fins quand on entreprend une démarche mais je constate que tu te donnes toutes les chances, Joris, et moi, ton père, je suis convaincu que tu finiras par réussir. Je suis fier de toi, mon garçon."
Bien sûr, ce compliment émanant de mon paternel me fait EXTRÊMEMENT plaisir mais, bizarrement, il n'a pas sur moi l'effet euphorisant que ce genre de félicitations avait habituellement, non! Je découvre à cette occasion que je ne suis plus cet enfant à qui sa mère, ou son père, désigne, prescrit même, ce qui est bien pour lui ou pas, que je me suis émancipé jusqu'à me forger mon propre jugement, factuel, objectif, indépendant d'eux. Et mon"merci, papa" est empli d'une double fierté, celle d'une reconnaissance paternelle méritée qui renforce ma détermination et celle de ma certitude de devenir adulte.
Et je me vois résolu ... étrangement calme et rassemblé, comme si cette connaissance de moi, de mes aspirations, de mon autonomie, comme si mes choix, la certitude d'être STRUCTURÉ en un mot, en me débarrassant d'interrogations parasites sans fin sur moi-même, mon apparente appartenance à tel sexe, tel genre, telle orientation ... mon authenticité, me soutenait en me communiquant une force tranquille, presqu'une sérénité, quelque chose comme un équilibre.
Cependant, un des aspects qui concourt désormais à me conserver cet "équilibre", justement, commence à me faire cruellement défaut, un manque qui me creuse le ventre et m'oppresse. En fermant les yeux, je renoue avec des hallucinations : une pénombre propice, des souffles courts, le cliquètement métallique d'une boucle de ceinture, des froissements de tissus, un prélude humide et soyeux, un envahissement, une pulsation binaire, des vertiges ...
Je me redresse brusquement dans mon lit dans un hoquet dont je redoute qu'il réveille la maison. Il me faut réagir.
Hors de question pour moi de reparaître au Capharnaüm avant quelques temps, je m'y suis donné en spectacle avec une telle ostensible niaiserie que j'y serais un objet de risée, et je sais trop quels noms d'oiseaux y sifflent aux oreilles de celles et ceux qui ont ouvertement trébuché.
Pas question de m'exposer à la méchanceté de ces "vieilles pies", trop contentes de trouver un bouc émissaire sur qui déverser ad nauseam leur venin, leur amère frustration d'empêchés du cul qui se dissimulent, trop mesquines pour n'être pas impitoyables, refuser d'envisager toute prescription ou tout rachat de l'erreur, même par une conduite irréprochable.
Pas de temps à perdre, non plus.
Alors, tenter de nouvelles conquêtes aléatoires, essuyer des déconvenues, me heurter aux incompatibilités, m'écorcher le nez aux odeurs déplaisantes, aux caresses maladroites, aux attitudes déplacées, aux jugements à l'emporte pièce qui vous réduisent à une unique caractérisque, me confronter aux éternels indécis qui posent des lapins ...
Non! Décidemment non. Définitivement non!
J'ai tenté un retour à la pharmacie, lundi matin, essayant de me persuader que ... mais l'entrain n'y était plus et l'apothicaire est resté sur sa réserve, bienveillant mais distant. Paternel !
Et si je réfléchis DEUX secondes ..., pas une de plus n'est nécessaire !
Je revois ce sourire carnassier, ces mains carrées aux doigts forts lestés de lourdes bagues en or, aux phalanges ornées de toupets de poils aussi noirs que ceux qui débordent de son col, aux ongles carrés soigneusement taillés ... C'est à elles que je veux me livrer, les laisser me pétrir, disposer de moi ; je choisis de plier l'échine sous ce regard sombre et possessif puisque je SAIS que mon cul l'affole, qu'il parvient même à obscurcir son discernement ...
J'ai poussé la porte de la petite boutique dont le timbre aigrelet a grincé, le grand escogriffe a glissé de son tabouret, ouvrant une bouche en O d'asphyxié assorti à son regard de mérou avant de filer par le corridor puis de revenir s'asseoir, quelques minutes plus tard, sans un mot.
Patient, je m'abîme dans la contemplation des piercings dans la vitrine colonne, mon esprit vagabonde, je rassemble des souvenirs de frissons ... Je relève soudain la tête et distingue sa silhouette dans le corridor. Je m'avance résolument, refermant le rideau derrière moi, encore un pas ... Une main aux doigts en étoile vient se poser sur ma poitrine pour me garder à distance.
- "Tu ne donnes pas signe de vie pendant plusieurs semaines, tu t'imagines pas que je t'attendais!"
Dans le contre jour, je le distingue, massif, campé sur une jambe, l'autre croisée, reposant sur la pointe du pied, une main sur la hanche ; son poing fermé au bout du bras qui m'a retenu revient écraser la paroi d'en face de tout son poids et barre le corridor d'une limite infranchissable formant frontière.
Je ne peux retenir un petit rire de gorge.
-" Je me souviens de ce jour où tu te réjouissais de me voir revenir vers ta bonne queue parce qu'au final, c'est toi qui allait profiter des tours de salope que j'avais pu apprendre."
Mais je vois que c'est insuffisant pour l'amadouer, j'ai visiblement déjà perdu l'irrésistible attrait de la nouveauté. Alors je referme mon torse comme un souffreteux, courbe la nuque et, piteux, je m'approche de lui d'un pas glissant, jusqu'à toucher légèrement la barrière de son bras des épaules et du menton.
-"Je pensais qu'une bonne pipe ..."
Mon souffle sur son bras nu, son odeur ... Mon coeur accélère.
Il ne me chasse pas, ce qui est encourageant, mais ne bouge toujours pas ; c'est peut-être qu'il cherche comment profiter de l'aubaine sans se déjuger ni perdre la face ; à moi de lui ouvrir une porte. Alors, d'une voix d'ingénu :
-"Pour tout ce que tu voudras ..."
Il ricane, son bras qui se voulait raide comme la justice se détend, puis se creuse, s'arrondit enfin ; il s'incline vers moi et souffle.
-" T'es vraiment un sacré p'tit pédé affamé, toi !"
Voilà, ça y est ! Il a identifié le fautif et la cause : moi et mes moeurs dépravées. Lui n'y est pour rien, il se place totalement extérieur à l'affaire, dégagé, presqu'innocent bienfaiteur d'une victime, de moi et mon inextinguible soif de luxure. Et moi, j'insiste :
-"S'il te plaît ..."
Sa main s'empare de mon bras et, en maugréant dans sa moustache, il m'entraîne à sa suite à pas rapides. Derrière la porte de la réserve, il fouille et retrouve les emballages rectangulaires qui ont glissé du carton, me les désigne de la main avant de s'éloigner et je comprends qu'il m'abandonne jusqu'à l'initiative de ma tenue de scène.
Je privilégie un modèle avec un large élastique de ceinture noir et un cache sexe imprimé panthère parce qu'il me semble solide, le plus adapté aux cabrioles les plus débridées auxquelles je nous destine et je me déshabille posément, m'assurant que ma sacoche est bien calée pour qu'elle ne se renverse pas, pliant mes vêtements avec soin, mon calme et ma méthode composant un antidote à la fébrillité intérieure qui m'envahit.
Je me faufile entre les piles d'emballage qui protègent le recoin où il doit m'attendre. J'aperçois ses vêtements eux aussi pliés, à cheval sur un portant chromé, la table basse orientale à plateau de cuivre où, à l'écart d'une théière et de quelques épais verres gravés, trône l'altière pompe bleuâtre à lubrifiant, un échassier entouré de plusieurs étuis de préservatifs et, derrière, lui.
Vautré, nu sur le divan.
Les pieds posés bien à plat sur la natte, les cuisses ouvertes à l'équerre, le haut du dos relevé en appui sur le dossier, bras écartés, il me regarde approcher avec gourmandise, brun et velu, tel un fauve couché certain de me dévorer puisque je viens m'offrir à lui. Ses deux mains, posées de chaque côté dans l'aine, viennent cerner son paquet, faisant saillir ses bourses, ses pouces soulevant tour à tour sa bite brandie pour la laisser retomber sur son ventre dans un claquement de chairs menaçant.
Mon coeur s'emballe de joie.
Il m'interpelle d'un mouvement de menton et je m'arrête, écarte les bras en tournant lentement sur moi-même, je m'expose, nu, rose, glabre, rond. Je reviens face à lui en baissant la tête, le regardant par en-dessous mes sourcils, attentif à son sourire carnassier, à tous ces indices qu'il m'adresse, à ce qu'il m'indique sans un mot. Un de ses pouces redresse sa queue tendue à la verticale, où je vois poindre cette goutte translucide qui, soudain, suspend mon souffle.
Mes yeux vont et viennent des siens, malicieux, à cette perle claire, qui enfle en tremblotant. En deux pas rapides, j'ai avancé, posé un genou à terre, ma main droite a cueilli ses couilles, la gauche orienté le sceptre pour que ma bouche l'engloutisse sans coup férir ; mes joues l'ont aspiré, ma langue enveloppé, j'ai dégluti pour l'avaler. Lui.
Il a sursauté, appelant précipitamment une grande goulée d'air, décollant ses épaules, contractant ses fesses pour soulever son bassin, puis il relève ses bras pour croiser ses doigts derrière sa nuque et retenir sa tête qui bascule vers l'arrière dans un soupir rauque, diffusant alentours ses odeurs d'homme.
Je le pompe, avidement, avec la régularité d'une mécanique parfaitement réglée.
Mes mains s'égarent, arpentent ses savanes, se perdent dans ses toisons, parcourant son ventre, ses cuisses, cascadant sur ses pieds, remontant en griffes le long de ses mollets.
Doigts réunis et pouce ouvert en croissant, mes mains ont épousé ses plis poplités et les ont brusquement et vigoureusement soulevés, écartés, le faisant déraper en glissade sur l'assise. Délaissant son membre dégouttant de salive qui claque sur son ventre, je lance ma langue profilée en torpille au travers du roncier de ses poils drus et emmêlés, dans ce triangle sombre sous ses bourses, en direction de l'anneau interdit.
Et j'atteins ma cible, cette muqueuse soyeuse, plissée, sur laquelle ma langue s'écrase le temps d'un raid éclair, celui d'imposer l'étourdissement d'une caresse veloutée, pour une rapine d'odeurs et de goûts musqués concentrés avant de prudemment battre en retraite pour revenir à ce chibre brandi, le temps que dure sa suffocation résultant de mon audace inédite et insensée, celui qu'il surmonte l'afflux soudain de ce que j'espère être de la volupté, juste avant que ses deux mains ne viennent fermement recadrer ma tête pour m'empaler jusqu'à la glotte sur le seul objet que je suis autorisé à vénérer, de me le planter, replanter, à m'étouffer et, lui, jusqu'à hoqueter, rugir, rebondir en sursauts, inonder ma bouche, en tremblant sous la jouissance, de vagir en nourrisson, puis de reprendre souffle en tapotant ma joue, de pousser à la toute fin un soupir de relâchement.
-" Salope de p'tit pédé, tu m'as bien eu."
Amical72
amical072@gmail.com
* Va savoir quand elle nous quitte / L'insouciance / Va trouver la date limite / De l'enfance Maxime Le Forestier chante la date limite
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