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10 | Traverser l’épreuve de la nuit – Le récit de Julien.
- " Dis-moi, toi qui te dis si avisé, ne m'as-tu pas confié un second préservatif, tout à l'heure?"
Après un premier round, Damien s'est laissé aller à quelques confidences sur l'oreiller. Je réalise qu'au delà de tout ce qui, à l'évidence, nous différencie, nous partageons un fondamental qui nous rapproche : le même questionnement existentiel ; nous sommes des pionniers et avons à construire une "illustration" de la vie d'homme gay dans une société qui, jusqu'à notre génération nous cantonnait dans le non-dit, la non-existence et qui, sous l'action conjuguée des circonstances et peut-être également de notre militantisme, nous a progressivement découvert, puis protégés et ... permis de conquérir notre place.
Mais Damien a brusquement écarté ses jambes et la mienne, qui reposait en travers, s'est effondrée entre elles. Il les a refermées en pince, me déséquilibrant soudain pour me faire à demi basculer sur lui ; ses mains m'encadrent, me maintenant fermement comme s'il disposait de moi à sa guise.
Mais immédiatement, nos yeux entament une toute autre conversation dont la teneur se voit confirmée par un certain échauffement des sens, un durcissement simultané et symétrique. Nous restons ainsi empilés l'un sur l'autre en équilibre quelques minutes, à nous caresser du regard, chacun laissant transparaître son appétit pour l'autre, sans rien dévoiler encore de ses intentions, laissant la tension érotique monter entre nous.
Étrangement, je me sens disponible, presque fataliste et c'est une disposition nouvelle pour moi. J'ai changé. Là où je me serais d'emblée affirmé, lourd et dense comme du granit, indifférent aux orientations alentours, même contraires, me voilà perméable à ce qui m'entoure, prêt à me fondre dans cet environnement, à me laisser porter par ce qui s'offre à moi, quoi que ce soit, sans avoir le sentiment de me renier puisqu'aujourd'hui, je sais bien qui je suis, mais sans chercher non plus à tout contrôler ni tout maîtriser. Je laisse advenir les opportunités, sans appréhension, comme si la récente mésaventure avec Mehdi m'avait infléchi en m'enseignant la modestie, la souplesse du mimétisme.
Damien nous fait rouler l'un sur l'autre pour venir me chevaucher à son tour, décollant son torse qu'il relève au bout de ses bras tendus. De sa position surplombante, il m'examine d'un oeil lubrique.
Il ondule du bassin et glisse vers le bas et je dois écarter les cuisses pour l'accueillir entre elles, ma bite pressée par son abdomen, la sienne s'infiltrant malaisément dans la fourrure de mon périnée, empétrée, heurtant mes couilles, cherchant ma faille à tâtons.
D'un coup, il s'accroupit entre mes jambes, sa bouche engloutit ma verge en feu et l'enveloppe dans des arcanes de douceurs tantôt satinées tantôt carnivores pendant que ses mains explorent, cernent, conquièrent, s'approprient.
Dans une preste manoeuvre, il a soulevé mon rein et, sous leur propre masse, mes cuisses s'ouvrent de chaque côté, dégageant mon sanctuaire. Il me décoche un coup d'oeil d'aigle avant de fondre pour y plonger son visage, langue en pointe.
J' expulse brutalement tout l'air de mes poumons dans une profonde expiration bruyante et, associant immédiatement l'émerveillement de sa voluptueuse caresse à l'ivresse de l'oxygène revenu, je m'abandonne au ravissement de ses lècheries, aux surprises de leurs variations, à son art consommé de me tournebouler, à l'attente impatiente, qu'il tarde à combler, de sentir ses doigts coulisser en moi.
Car il me masse, me presse, me lèche, me chatouille, me ... fait languir, le monstre !
Enfin, son doigt fuse et fait mouche.
Je me tend à vibrer, à hurler pour allumer toutes les étoiles du ciel derrière mes paupières closes. Son doigt s'apaise, joue à me bercer, se retire lentement et je retrouve la danse ensorcelante de sa langue, de ses lèvres. Je voudrais rouler, adopter une position qui l'encourage tout en libérant mon torse de ce tassement, de cette compression qui me bride, m'étreint mais ses mains me retiennent farouchement tandis que sa langue se déchaîne.
D'un coup, ses doigts ont tracé leur trajectoire et atteint leur cible de plein fouet. Ma détente a été si violente que je lui ai échappé et suis retombé sur le flanc, comme étourdi.
Je retrouve difficilement mon souffle ; progressivement, mon coeuraffolé se calme. Tandis qu'allongé contre moi, son bras entoure ma tête, son autre main caresse mes fesses, la pulpe d'un de ses doigts dérape de temps à autre et vient effleurer mon sphincter. Il s'approche à mon oreille pour murmurer.
- " En effet, ça peut t'arriver, comme tu dis et ... tu as alors un joli coup de rein !"
Son doigt, son pouce je pense, s'applique à franchir mon anus en répétition, comme pour aplanir un obstacle et me tient dans une tension, une attente qui scande ma respiration en courtes séquences quand des étincelles éclairent subitement le noir derrière mes paupières baissées.
Il rit à mon oreille.
- " A toi de m'envoyer au ciel, maintenant. Avec toi, ce soir, j'ai furieusement envie d'en prendre encore plein le cul, alors profite de l'occasion offerte."
Il a roulé sur le dos, écartelé ses cuisses en V, ramenant ses genoux à ses épaules et ses bras, glissés entre elles, les maintiennent tandis qu'il se lubrifie abondamment sans me quitter de ses yeux perçants.
J'ai soudain retrouvé tout mes instincts et ma bite bondit comme un ressort. J'allonge le bras et mon index tendu en flèche perce cet anneau qui palpite, noyé de gel. Il sourit. Je l'associe au majeur, en tarière qui s'enfonce sans effort et il s'en mord les lèvres dans un soupir ; quand j'ajoute l'annulaire, sa nuque s'effondre et il geint, plissant farouchement ses paupières.
Je déchire l'étui et me capote prestement puis j'encadre ses hanches pour le maintenir, ma queue gainée de latex s'appliquant exactement dans sa raie où elle dérape, coulisse.
Ses yeux s'éclairent et ses mains viennent diriger puis guider mon trait qui, sans forcer, le fourre lentement, délicieusement. Je m'écrase sur lui pour m'assurer que mon harpon l'a bien ferré et, soulevant mon bassin, jambes tendues, je retombe lourdement sur lui à plusieurs reprises pour le convaincre qu'il est bien aussi complètement farci qu'il le souhaitait.
Un de ses bras a entouré mon cou, ramenant mes lèvres aux siennes pour un lent palot de gourmet, ses doigts tâtonnent pour débusquer mon téton qu'ils pincent horriblement, exacerbant ma cambrure qui me fiche profondément en lui.
Dans une soudaine pirouette, comme poussés par une urgence, nous basculons, lui en levrette au bord du matelas et moi, debout, qui sans barguiner, ramone furieusement ce cul qui me dévore, m'aspire, m'obsède. Putain, je vais le remplir !
Rapidement, j'éclate dans un grognement et son cul se referme comme un piège sur ma queue qu'il essore tandis que lui même est secoué par de brefs sursauts. Nous tombons côte à côte sur le matelas et je l'attire à moi dans un geste qu'à l'évidence, je veux tendre ; il y résiste une seconde puis cède et c'est étroitement enlacés que nous récupérons.
Et c'est là, dans l'entrelac de nos jambes, de nos peaux collées l'une à l'autre, de nos bras enveloppants où il a fini par se nicher, lui, l'homme poilu et barbu, qu'il reprend la parole.
- " Je crois qu'Antoine a raison quand il dit que tu baises comme on ouvre un dialogue, Julien! Il a dit t'avoir trouvé attentif et ... retenu, et ce, avec un frisson de volupté dans la voix que j'ai bien noté. Alors que tu étais invité à te servir de lui à ta guise, tu ne l'as pas utilisé comme un accessoire inerte uniquement fait pour te valoriser et installer une rivalité entre nous mais tu as veillé à cerner ses désirs comme on le fait avec un partenaire.
C'est sans doute la raison pour laquelle j'ai eu, à mon tour, envie de m'en remettre à toi, de me laisser guider en confiance, l'occasion d'adopter un autre point de vue pour éclairer mes propres aspirations et tenter de voir clair en moi.
Alors quand, pour finir, tu me prends tendrement dans tes bras, je renoue avec le sentiment atavique de sécurité que procure la présence d'un pair avec qui on partage la couche, avec qui on traverse l'épreuve de la nuit. C'est assez rare pour que je t'en remercie."
Ce disant, Damien, paradoxalement, me parait se placer moins en amoureux qu'en ami, ce qui me rassure. Et je suis absolument convaincu par ce positionnement clair et tranché. Car je ne me sens pas prêt à participer à un triangle amoureux ni à ses délicats équilibres mais pourtant, leur compagnie à tous deux me séduit, me laissant augurer de bons moments de sensualité, malgré nos différences.
Car des différences, il y en a ! Comme sa distance à nos animalités de mammifères ; par exemple, cette façon d'effacer de notre vue nos productions les moins "nobles". Me confronter à ses réticences, à ses écoeurements me conduit à reconsidérer notre rapport au corps et à la maladie dans sa dimension sociale. Je crois que mon père, d'une autre génération, n'aurait jamais accepté de reconnaître être malade, ce qui, à ses yeux, revenait à avouer une vulnérabilité incompatible avec sa responsabilité de chef de famille et, donc, de faillir à son devoir.
Or ce sont justement ces écoulements, ces entrailles qui baillent, ces fragilités qui participent de mon lien à Lecourt, je le perçois nettement. C'est quand je l'ai vu assister sa jument lors d'un poulinage, plonger ses mains dans le placenta sans se détourner ni redouter de se couvrir de sang, de mucus et de fange pour en extraire une vie balbutiante que je me suis senti m'attacher à cet homme. Parce que je le voyais capable de cette abnégation qui le grandissait, qui forçait mon admiration, qui me soulevait d'une aspiration similaire.
Mais ça, c'est Lecourt et ça nous appartient.
Damien, c'est différent. Alors, avec lui, je choisis de conforter son point de vue en soulignant ce qu'il a de positif et dynamique à mes yeux.
- " C'est simple avec vous parce que vous n'êtes pas cachés derrière des faux-semblants ou des illusions aussi friables qu'elles seraient essentielles à vos propres yeux. Vous acceptez de montrer vos fragilités sans en rougir, de vous confier à la bonne garde de l'autre et réciproquement.
Je peux, moi aussi, vous proposer l'occasion d'un moment convivial au prétexte d'une bonne bouteille."
Ses yeux pétillent, son sourire s'élargit lentement.
- " Avoue que sa peau douce et glabre te trouble, toi aussi!"
J'en ai convenu dans un sourire et nous avons paisiblement fraternisé entre épicuriens convaincus, laissant divaguer nos pensées polissonnes respectives, aiguillonnés par le mystère de nos rêves de volupté.
Amical72
amical072@gmail.com
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