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4 | Cul poilu – Le récit de Jérôme.
Julien est l'artisan de ce miracle : refaire le cours de ma vie après n'en avoir changé qu'un seul ingrédient mais d'importance car, désormais, je me sais, je suis, je me vis gay !
Alors, je recommence tout, comme un adolescent qui découvre la vie.
Cependant ce seul trait suffit à interroger toute ma vie passée, mes réflexes, mon mode de vie et de pensée.
Je demeure un professionnel consciencieux au travail, j'assure en adulte père raisonnable avec mes fils pour démontrer que je sais parfaitement prendre soin d'eux ... mais, pendant mon temps libre, je me précipite aux Chênaies où je revis comme un ado. C'est comme un ado que je me dépense sans compter dans le sport, que je mange comme un ogre, que je dors comme une souche, que je refais un brouillon pour ma vie.
Julien m'accompagne mais en mentor, avec juste ce qu'il faut de tempérance. Il me regarde partir m'éclater en VTT sur les chemins et, plus tard, il selle posément son cheval, me rejoint au méandre des moines où on nage de conserve puis on rentre.
Et, comme un adolescent qui débuterait dans la sexualité génitale, j'ai le feu au cul, une boulimie permanente. Là encore, à ma goinfrerie brouillonne et insatiable, Julien oppose son sens de la gastronomie.
De retour aux Chênaies, parce qu'elle est mécanique contrairement à la sienne à quatre pattes, ma monture n'exige fort heureusement que peu de soins ; un simple coup de jet suffit à la nettoyer et je peux la laisser là.
Ensuite, j'espionne Julien.
J'aime le regarder quand il se consacre au pansage de son hongre, ce mélange d'énergie et d'attention qu'il lui accorde ; une main manie rudement le bouchon, l'autre dispense souplement la caresse, il nettoie et il palpe, il brosse et il apaise. A la fois.
Il prend soin.
L'animal ne s'y trompe pas, il frissonne de tous les muscles horripilateurs de sa peau, se détend sous le pansage jusqu'à affaisser son dos, confiant, expirant bruyamment en clapotant des lèvres, fouaillant de la queue sous l'amical tapotement qui flatte sa croupe, secouant sa crinière dans une profonde expiration, relevant spontanément ses pieds pour le curage de ses sabots, impatient d'obtenir sa gratification en reconnaissance.
Julien, cet homme solide, exigeant et pourtant tellement humain! D'accord, il est grand, large d'épaules, pourtant ce n'est pas, non plus, un cover boy à la plastique idéale. Cependant, avec la maturité, il a conquis quelque chose, une aisance corporelle et relationnelle qui fait dire de lui :" Julien est un bel homme", qui lui confère spontanément une forme d'autorité et j'ai, moi, la chance que ce solitaire m'ait admis parmi ses familiers, jusqu'à le cotoyer dans son quotidien.
Dans ces moments-là, j'aime l'image que Julien me renvoie de l'Homme, responsable, soucieux de l'autre, de TOUS les autres et surtout des plus humbles parce que, lui, il ne les vit pas comme une concurrence ou une menace, mais également celle d'un homme sensible et qui le montre. Car à ses côtés, j'ai pu tenter de me libérer de l'infirmité émotionnelle des hommes.
Alors, soudain suffoqué par une bouffée d'hormones mâles, je me place en travers de son chemin et, plus bourrin obtus qu'un viking ivre, je le provoque frontalement.
Car j'ai compris que plus je suis lourdaud, frontal, -en raccourci, certains préhistoriques diraient "masculin", plus il va esquiver mon attaque, différer la satisfaction de mes désirs, plus il va m'entraîner dans des diversions aussi inédites que voluptueuses, explorant finement ma géographie corporelle et moi la sienne où j'exerce mes nouveaux talents en miroir, pour y débusquer la moindre ressource de plaisir là où je ne voyais précédemment qu'un organe fonctionnel, une articulation mécanique, une peau protectrice, un poil animal.
Je ne suis pas ce que je pensais être, alors, de même, mon corps ne peut être qu'un monde mal connu de moi ; avec Julien pour guide et complice, je pars à sa re-conquête. Julien que j'observe, dos courbé, lissant une dernière fois de la main les membres de son cheval qui dévore sa poignée d'aliment en récompense. Et cette main, lourde et ferme, je la sens déjà sur mon flanc, l'air se fait soudain plus âpre dans ma gorge.
Mais je ne me vois pas solliciter Julien courtoisement, par le truchement d'une sorte de "s'il te plaît, Julien, est-ce que tu accepterais d'avoir une relation sexuelle avec moi?" Ce ne serait pas être "respectueux", non, mais plutôt "mièvre" ou "convenu".
Déplacé.
Non! J'ai besoin de tension, d'animalité, de l'énergie de toutes nos pulsions contenues. Ah! l'ivresse de la puissance de qui se sait capable de se maitriser, de se retenir, de s'autoriser à moduler ...
Je déboule devant lui, je l'interpelle, tout de morgue crue.
-"Putain, Julien! J'espère que cette promenade de santé n'a pas suffi à t'épuiser parce que j'ai faim, là. Je réclame!"
Ma main vole jusqu'à lui. Au paquet! Une main qui palpe, pétrit, s'approprie ...
Lui s'écarte d'un pas, pour aller calmement suspendre le licol qu'il tient encore à la main sur le support où il le retrouvera ainsi qu'à l'habitude, puis il revient et l'oeil froid, m'invite à le suivre d'une sèche inclinaison de la tête.
Moi, pendant les enjambées rapides qui nous amènent à sa maison, je laisse défiler dans ma tête les images obscènes qui s'imposent derrière mes paupières, je libère le flux de paroles salaces qui se bousculent en désordre. Sans retenue. J'en bégaie, étourdi par ces flots.
Parce qu'une fois la porte refermée sur nous, je vais retrouver les bras contenants de Julien, je vais nouer ma langue à la sienne pour un mélange épicé, puissant mais un dialogue codifié, accordé, qui me canalise et m'apaise. Parce qu'il a toute ma confiance.
Pendant ce temps, mes mains ne restent pas inactives, elles le débraguettent pour faire jaillir ce mat dressé en mon honneur et je me casse en deux pour l'engloutir, le dévorer, le têter, veillant que ma posture communique aux siennes l'envie de glisser dans mes reins, s'infiltrer sous l'élastique de mon short, englober mes fesses et que son doigt presse mon anus.
Ainsi un contrat est scellé entre nous sans qu'un mot ne soit prononcé, uniquement par nos interactions : il va me baiser et tout le reste, ponctué des sonores exhalaisons de soupirs éblouis, ce "reste" n'est qu'agréments dilatoires, fruits de nos imaginations, savantes digressions semées sur le chemin pour différer l'inéluctable satisfaction qu'elles rendent suffocante d'impatience.
Je m'applique à le déshabiller, pour cueillir à leurs sources, ses moiteurs, les odeurs qu'après la baignade, la course enlevée du retour aura produites, ce mélange grisant d'odeur masculines et animales qui me renvoient à notre nature profonde de mammifère gouverné par ses hormones.
Car je lèche, je suce, j'aspire les fluides de Julien qui n'est pas en reste.
Julien a le cul poilu.
Un cul charpenté, charnu, puissant, une matière dense qui pèse son poids de vie dans la main ... et, depuis la zone lombaire, recouvert d'une fourrure légère et fournie, très différente de la mienne, son poil est châtain clair et doux, mais discrètement dense ; il nappe ensuite ses cuisses, ses mollets, s'arrête au dessus de ses chevilles en une élégante collerette de fine dentelle arachnéenne au tracé net et chantourné qui dégage ses maléoles et leur peau diaphane, s'effiloche sur le cou-de-pied jusqu'à un toupet plus sombre et hirsute dominant l'ongle de l'hallux.
Bizarrement, l'intérieur de sa raie, pourtant défendue par une mousse de poils qui se crochètent en formant une couture rudimentaire, est, elle, glabre et lisse. Elle recèle des trésors d'odeurs d'homme et un trou du cul froissé, les premières m'enivrent et je me délecte du second tout en enroulant mon rein, cuisses ouvertes en ciseaux pour qu'il se régale tout autant et bien à son aise du mien.
Nos langues y rivalisent de souplesse et nous abusent de leur polyvalence, nos doigts les rejoignent et nous procurent, tour à tour, des envols qui nous asphyxient, des éclairs qui nous aveuglent, nous arrachant des feulements de bête blessée, surtout quand le toucher en coeur de cible se conjugue avec l'aspiration suffoquante d'une pipe sidérale.
Julien donne le signal.
Conformément au contrat tacite préalablement convenu qui nous lie.
Je l'enveloppe, il me lubrifie puis je me retourne, dos à lui. Debout, couché, de profil ou à quatre pattes mais ce premier harpon arrive toujours par derrière et il me cloue. Je respire fort, je ronfle, je m'agite en animal piégé qui proteste, se débat.
Et lui, imperturbable, pousse. Ses mains m'encadrent, me ramènent à lui avec précaution, ses bras me soutiennent et quand il m'a envahi, il m'attend. Il attend que je frémisse, que mon cul cligne, vibre autour de sa queue souveraine, s'ajuste et la gaine souplement, puis s'impatiente. Ses pognes en crochet sont devenues des papillons qui volètent, se posent, pincent, étirent.
Parfois revanchard, il s'inquiète:
-" Ca ira? Monsieur n'est pas trop déçu ? Pas trop molle?"
Le salaud!
Sa remarque peut paraitre acide mais je SAIS qu'elle n'a rien de blessant.
Car tout dans son attitude, dans la douceur de ses mains qui m'encadrent, dans les précautions avec lesquelles elles m'enveloppent, tout m'indique, à rebours, combien il est attentif.
Mais Julien ne se départit jamais de ce brin d'ironie, de cette distance qui relativise. Julien, c'est l'antithèse des réseaux sociaux où on se congratule d'avoir collé un timbre, de la mise en scène complaisante de soi ; sa modestie lui rappelle qu'il existe des montagnes encore plus hautes, des courses toujours plus rapides, elle vient sans cesse tempérer sa fierté mais n'empêche pas pour autant son bonheur d'avoir parcouru ce chemin de rayonner.
Tout en invitant à poursuivre, inlassablement.
Alors, abandonnant toute prévention, je m'effondre sur son rostre pour le happer, l'aspirer ; je rugis, je réclame, mon cul est un ogre.
"Marcher sur l'eau / Éviter les péages / Jamais souffrir / Juste faire hennir / Les chevaux du plaisir / Oser Joséphine"
Amical72
amical072@gmail.com
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