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Saison 5 | Chapitre 5 | Médailles agricoles
Je me réveille avec le bruit de l'eau. Le patron sort de la salle de bain, une serviette autour des reins. Il se penche sur moi et écarte mes cheveux. Aie !
- « Dis donc, il ne t'a pas raté ! » puis il se marre « remarque, tu l'as bien séché, il en a vomi tripes et boyaux » Il se redresse, sérieux : « ça ira Julien ? »
Je bondis sur mes pieds, déterminé « Putain, ce n'est pas aujourd'hui qu'un connard pareil m'empêchera de présenter mon travail » et je file sous la douche, la tête un peu à l'envers mais avec au ventre une volonté forcenée.
Lors de cette grande foire, le patron présente quelques animaux au concours agricole et moi, je me suis engagé à proposer plusieurs démonstrations de mon travail lentement muri au cours de l'été : travail en longe et aux longues rênes avec un cheval ou deux, attelés soit en paire avec deux chevaux côte à côte, soit en flèche, l'un derrière l'autre, pour tirer une lourde charge. Nous avons une grosse journée : nourrir, abreuver, panser, soigner, tresser queues et crinières avec des flots de laine rouge ou de raphia, détendre, harnacher puis bouchonner et doucher les membres après le travail et se tenir prêts pour la remise des prix. « SI JAMAIS » on a des prix …
A l'arrivée sur le site, nous découvrons que mon collègue nous attend, en tenue, prêt à nous aider. Je le présente et il tend la main au patron :
- « bonjour, moi c'est Claude » mais celui-ci est déjà tête baissée dans le travail. Il la serre sans manifester plus d'attention et bougonne un « bonjour » sec avant de nous rappeler le planning. En professionnel, chacun sait ce qu'il a à faire mais, auparavant, Claude prend le temps de me regarder : « ça ira ? » Je lui souris affirmativement mais je suis heureux du soutien que me disent sa présence et sa tape amicale sur l'épaule.
La suite est un enchainement de gestes sûrs et déterminés où chacun trouve son emploi pour œuvrer à rassurer, encadrer et présenter les chevaux, sans nécessité de beaucoup de discours, juste s'assurer d'un regard de l'évidence du travail bien fait. Cette complicité est éprouvée avec le patron mais rapidement Claude trouve à s'intégrer et nous formons un trio efficient et concentré qui réussit de belles présentations, ce qui nous galvanise. Nous échangeons sourire et coups d'œil complices et un simple signe discret suffit à nous coordonner.
Nous sommes au terme de cette première journée, après la dernière prestation de mon meilleur cheval que je ramène au box. Ouf ! tout s'est bien passé et je flatte ses flancs qui battent encore de l'effort fourni. Je lui retire harnais et baudrier et commence à le brosser. Le patron saisit le harnachement pour le ranger quand Claude surgit, bras tendus passés par-dessus les siens et lui prend des mains :
- « je m'en occupe » Et là, juste sous mes yeux, il pivote rapidement sur ses pieds et vient se frotter ostensiblement du cul contre le bassin du patron qu'une telle audace laisse bouche bée et qui tourne des yeux exorbités vers moi. Moi je baisse la tête et, après un dernier coup de brosse, je m'accroupis pour poser les bandes de repos, ravalant mon envie de pouffer de rire devant cet incroyable culot de néophyte.
Les prix attribués réservent leur lot de satisfactions et aussi de bonnes surprises. Beaucoup ! et aussi quelques déceptions, comme souvent.
Plus tard, alors que toutes les bêtes sont abreuvées, nourries, pansées et paisibles dans leur box, le patron retrouve le sourire, la conscience rassérénée par le devoir accompli. Il nous regarde tour à tour, lève ses bras comme un oiseau qui s'envole, abat une main sur chacune de nos épaules et nous secoue en nous enveloppant de ses bras :
- « bravo les garçons » et, se tournant vers Claude « t'es un vrai paysan, toi, sur qui on peut compter » J'ajoute :
- « je crois qu'on a bien gagné un bon repas patron, non ? » Claude rit :
- « j'ai faim de tout ce soir »
- « Bon, une douche et tu choisis où tu nous emmènes diner, patron. » Claude précise :
- « j'ai prévu mon sac pour me changer » Le patron est un peu débordé par le tour que prend la situation mais il se laisse volontiers emporter par notre entrain et notre bonne humeur.
Nous nous entassons dans le C15, au mépris des règles de sécurité, Claude et moi serrés sur le siège passager, nous disputant l'espace comme des gamins. Puis d'un coup, Claude fixe son regard sur le lointain :
- « la première fois que je vous ai vu, lors de la présentation au Haras National où cet imbécile vous a insultés, je vous ai regardé partir. Quelque chose a enflé d'un coup en moi et m'étouffait. Je le comprends aujourd'hui : j'aurais aimé partir avec vous » il se détend d'un coup, nous regarde alternativement :
- « et c'est exactement ce qui m'arrive aujourd'hui » Et, dans un petit rire, il ajoute « à nous trois ! ».
Puis il glisse un peu dans le siège et se colle à moi, au plus près. Je garde un œil sur le profil du patron qui conduit, imperturbable. Encore une fois, il choisit de faire comme si de rien n'était…
Amical72
amical072@gmail.com
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