Premier épisode
Je suis Nikos le gladiateur. Le cœur broyé de douleur je viens d’immoler à la déesse Niké l’homme que j’aimais. D’un glissement de mon glaive, j’ai tranché la gorge de Romanus, mon amant bienfaiteur.
Ô Niké, déesse intransigeante, j’ai respecté mon serment en tuant l’homme qui me déflora alors qu’il savait que ma virginité t’était consacrée. Même si à présent je suis dépouillé des vertus dont tu m’avais paré, je te supplie de continuer de protéger ma famille pour laquelle je m’étais sacrifié à toi.
Sans qu’il n’existe le moindre souffle, les flammes des lampes s’agrandissent et vacillent soudain dans toute la chambre. Niké, apaisée, vient de répondre favorablement à ma prière.
Je laisse choir mon glaive sanglant au sol et me penche sur le visage figé de mon amant. Les yeux grands ouverts il me regarde par-delà la mort et un léger sourire flotte sur ses lèvres pâles.
Il parait si jeune et si beau dans la lueur naissante de l’Aurore alors que je pose un long baiser sur sa bouche entrouverte, encore tiède. Je ferme ses yeux puis dans un sanglot je l’interroge :
- As-tu vu mes larmes, Romanus ? M’as-tu entendu t’appeler alors que tu glissais vers les Enfers ?
Quand je sors de la chambre, tous s’inclinent car ils savent que je suis à présent leur maître. Pour eux je ne suis pas un meurtrier mais l’exécuteur du destin qu’avait choisi Romanus. Je suis son fils Nikos le Grec. Je suis aussi celui qui le vengera.
Sur la centaine de visages tournés vers moi, je peux lire la sympathie et le respect. Silencieusement, des femmes s’avancent pour laver mes mains couvertes de sang et m’envelopper d’une toge tandis que d’autres servantes s’approchent du lit pour laver et parfumer le cadavre de leur ancien maître.
Je souffre bien davantage que je n’aurais pu le penser. Je me sens seul et abandonné maintenant que Romanus n’est plus là. Une grande main se pose sur mon épaule, chaude et réconfortante.
- Je suis là, Nikos, je ne suis qu’un esclave mais pour toi je redeviendrai le guerrier que j’étais jadis. Je t’aimerai et te protègerai sans faillir. Me dit Pinex d’une voix ferme.
Je me tourne vers l’homme à la crinière blonde qui me regarde avec tendresse. Ses yeux sont bleus comme la mer endormie dans les baies rocheuses. Il m’enveloppe de ses bras de lutteur et me berce.
Alors je laisse tomber ma tête sur son épaule et je sanglote comme une femme. Brisé, je pleure et je pleure encore tandis que Pinex bourdonne dans mon oreille une mélopée barbare mais apaisante.
Sa poitrine vibre contre ma poitrine. Il réchauffe mon cœur glacé.
Peut-être, enfant, chantait-t-il cette mélopée sous les grands chênes de la Gaule du Nord ?
Quand enfin je redresse la tête, le visage ruisselant de larmes et le nez morveux, il pose sa bouche sur la mienne et m’embrasse profondément. La langue forte et pénétrante de Pinex me révèle brusquement une force virile que jusqu’alors je voulais ignorer. Mon gaulois est un mâle puissant.
Avec une infinie tendresse, il boit mes larmes puis m’octroie un grand sourire de loup.
- Viens maintenant. Je vais te laver et te vêtir parce qu’il faut que tu sois beau pour les funérailles de Romanus. Viens. Me dit-il en me prenant par la main.
Je le suis docilement comme le ferait un enfant. Selon le rituel funéraire romain, je ne devrais pas faire mes ablutions mais rester sale et vêtu de laine. Romanus a cependant laissé des instructions à ses intendants. Son corps ne sera pas exposé publiquement et sera incinéré la nuit suivant sa mort. Aucune pièce d’or ne sera placée dans sa bouche mais une petite croix de bois sera posée sur sa poitrine. Aucune pleureuse professionnelle ne sera sollicitée. Son fils adoptif Nikos, après avoir appelé par trois fois la mort, devra mettre le feu au bûcher mais ne devra pas porter son deuil.
Dans les thermes, Pinix me mène. D’un geste, il repousse les serviteurs qui s’avancent et fait glisser le long de mes épaules et de mes bras la toge maculée de sang. Il me dénude totalement, laisse ensuite choir sa tunique au sol puis m’invite à le suivre dans la tiédeur d’un bassin fumant.
Dans un clapotis délassant, je lui abandonne mon corps. Corps épuisé par les exigences amoureuses du puissant Romanus. Corps vidé, maintenant avide de tendresse et de consolation.
Sous l’eau, les grandes et vigoureuses mains du jeune gaulois pétrissent puis caressent mes muscles fatigués. Elles glissent sur mon ventre, mes fesses et mes cuisses afin d’éveiller ma force endormie. Tête inclinée, je me laisse aller entre les bras de Pinex. Dans le creux de l’oreille il me murmure son désir de m’enculer. Je balbutie un refus mais déjà il me pousse vers la margelle sur laquelle je m’appuie, consentant.
- Tu vas me tuer gaulois. Romanus m’a déchiré les tripes et j’ai mal dans le ventre. Serais-tu sans pitié ?
- Non Nikos, je vais glisser dans ton fourreau pour l’apaiser et te donner la joie. Laisse-toi faire, je serai doux comme l’écume de la mer. Souffle mon athlétique esclave.
Le front appuyé sur mes mains croisées, je soupire profondément en sentant le rostre du gaulois s’enfoncer dans mon anneau douloureux. Mais au lieu de souffrir comme je m’y attendais, je découvre un étrange soulagement. En un endroit secret de mon ventre, le long phallus de l’homme blond a découvert la faille de ma jouissance. Je défaille. Le temps n’existe plus et seul le bruit des fontaines murmurantes me rattache encore à ce monde.
- Es-tu prêt Nikos ? Murmure Pinex avant de me mordre la nuque.
Je n’ai pas le temps de répondre que déjà, en de souples coups de reins, il pilonne sans merci la partie la plus secrètement sensible de mon corps. Alors, comme la lave jaillit d’un volcan, la jouissance m’investit tout entier. Je suis anéanti. Je ne suis plus rien entre les bras de Pinex qui me soutient tout en parsemant mon encolure de baisers ardents.
Sous les voûtes des thermes, l’écho de mon long cri rauque a fait s’envoler un couple de colombes endormies sur le bras tendu d’une statue d’Hermès.
Sans l’étreinte de mon gaulois, je me serais effondré dans l’eau et me serais noyé certainement. J’ignore comment je suis sorti du bassin mais en m’éveillant sur une couche moelleuse je découvre que Penix dort auprès de moi. Par la magie de son amour, le jeune homme m’a transporté loin de ma douleur. Il a dû veiller longtemps sur moi avant de s’endormir car maintenant la pourpre du crépuscule rosit les murs de marbre blanc.
Je sais qu’à présent mon sperme a perdu ses vertus magiques. La déesse Niké ne m’a laissé qu’un seul pouvoir. Peut-être le plus redoutable : celui de la séduction absolue. Je vais me servir de ce pouvoir pour venger mon Romanus aimé. Je me penche sur le gaulois endormi pour prendre sa bouche dans ma bouche. Ma langue caresse sa langue qui s’éveille pour répondre à mon baiser.
Qu’il est dur, souple et chaud ce jeune corps sous mes mains de gladiateur.
Pourtant brisé par les assauts successifs de deux puissants amants, je recouvre mes forces et je bande tel un centaure. Penix m’offre alors son grand corps musclé pour que je puisse le pénétrer.
- Dès à présent je t’affranchis Pinex. Tu seras désormais Pinex Kleenex Luxus, homme libre. Tu peux rejoindre ta Gaule natale si tu le souhaites. Je te couvrirai d’or.
- Merci de me libérer, Grand Nikos, mais il est trop tard car je resterai à jamais ton esclave d’amour. Garde-moi auprès de toi et fais de moi le fourreau de ton glaive. Gémit sourdement le jeune gaulois en se cambrant sous mes assauts.
Comme lui, j’apprends à chercher et à trouver cet endroit secret qui dans le ventre des hommes fait jaillir le plaisir. Dans ses tripes serrées, mon phallus navigue tel le rostre d’une galère guerrière.
Je broie le torse du gaulois entre des bras que le désir rend aussi fort que ceux d’Hercule.
Je m’enfonce si profondément en lui qu’il me semble que ma chair fusionne avec sa chair chaude et dense. Je l’entends crier son plaisir, je l’entends crier mon nom. Son sperme jaillit à profusion sur la couche de lin et sur le sol de marbre.
Apaisé et les muscles dénoués, je m’avance maintenant dans le jardin planté d’orangers. Je suis drapé dans une toge aux plis fluides et la tête recouverte d’un manteau blanc. À l’emplacement même où Romanus m’avait déclaré son amour, se dresse son bûcher. Immense et odorant.
Le tribun, visage découvert, semble dormir paisiblement. Par trois fois, flambeau à la main, en incantation, j’appelle la mort. Le temps d’un battement de paupière, le feu s’empare du bois de cèdre.
Ce sont alors de très hautes flammes claires qui enveloppent le corps de mon amant et qui l’emportent dans le passé. Ma gorge se noue et mes yeux s’emplissent de larmes. Alentours, le feuillage des orangers frappé par la chaleur du brasier se recroqueville en exhalant de suaves senteurs. Adieu Romanus.
À l’annonce de la mort de mon père adoptif, les troupes de la garde impériale se sont retirées mais il pèse sur la ville un lourd silence. Un magistrat du palais impérial m’a solennellement remis une missive. César me convoque de la plus courtoise des manières. Bien que le titre ne soit pas héréditaire, il m’attribue celui de tribun du peuple suivi de mes noms : Nikos Romanus Bourrus Fricus. Je n’ai rien à craindre de Cyrillus car je sais qu’il n’osera pas porter atteinte à ma personne. Depuis l’annonce de la mort de Romanus, la colère gronde dans Rome et les légions romaines seront bientôt informées de la nouvelle. Le sol tremble sous le trône de l’empereur.
Précédé de ma garde et Pinex à mon côté, je traverse le Forum quand se dresse devant moi la Grande Vestale Bianca Deliria, gardienne du feu sacré et des rites romains.
- Salut à toi, Nikos fils de Romanus qui était mon neveu aimé. Je veux t’accompagner auprès de l’empereur Cyrillus car il nous faut obtenir vengeance. Mon amie la pythonisse Klitoris nous accompagnera car elle m’a éclairé de ses visions.
Auprès de l’immense femme drapée d’étoffes blanches, trépigne une sorte de guenon vêtue de haillons. Décharnée et mamelle pendante elle promène autour d’elle un regard halluciné. Les oracles de la prophétesse Klitoris ne peuvent être contestés.
Ensemble, nous faisons donc chemin vers le palais en devisant. Évanescent et d’une grande pâleur, Cyrillus nous attend mollement étendu sur sa couche pourpre, Il blêmit encore davantage quand je lui annonce, après l’avoir salué, que mon sperme a perdu ses vertus de guérison depuis que Romanus m’a percé la rondelle.
- Ainsi donc, beau Nikos, tu ne pourras point apaiser la douleur atroce qui perfore mon crâne ??? Gémit le tyran.
- Non César, je ne le pourrais point mais il y a cependant un autre remède à ton mal. Que je rétorque en jubilant intérieurement.
- Quel est ce remède, beau Nikos ??? Gargouille t’il en se redressant soudainement.
C’est alors que s’avance la Grande Vestale pour prendre la parole :
- Ô César, tu souffres d’un mal aussi rare qu’étrange. Tu naquis lors d’un conflit entre Minerve et Cupidon qui bouleversa la position des astres, il en découle que ton raisonnement est assujetti aux appétits de ton cul. Ainsi, quand il te faut prendre des décisions nécessaires à la pérennité de l’empire, il est inévitable que tu souffres d’atroces maux de tête, vu que tu ne penses qu’à baiser. Mais il y a un remède à cela.
- Quel est ce remède, dis-le-moi ! Dis-le-moi vite !!! S’impatiente l’empereur.
- La langue de vipère.
- Quoi ça encore, la langue de vipère ??? Éclaire ma lanterne, vestale !!! Grince César.
- Une langue de vipère, glissant sur ton anus, apaisera tes souffrances. Plus redoutable sera cette langue, plus vite tu guériras. Affirme la Grande Vestale.
- Me faire lécher le cul par une vipère ??? Serais-tu devenue folle, vieille sorcière ??? Veux-tu donc ma mort ??? Tonitrue l’empereur.
- Non, Auguste Cyrillus. La vipère dont je parle n’a pas de crocs mortels. Sa langue cependant t’apporterait un immense soulagement.
- Explique-toi, femme, je m’impatiente !!! Où puis-je trouver cet étrange serpent ??? Trépigne Cyrillus Situs Cyrillos César.
- Tu n’auras pas à chercher loin, Grand César, car ce don des dieux est proche de toi.
- Où ça ??? Dis-le-moi, femme !!! Vocifère le tyran.
- Là ! Répond la Grande vestale en désignant du doigt le sénateur Yannus Anus qui claque des dents en se faisant tout petit, planqué derrière le trône.
- Nulle part dans tout l’empire tu ne trouveras pire langue de vipère que Yannus Anus. Renchérit la pythonisse Klitoris. Ordonne-lui de te lécher le cul et tu seras guéri instantanément.
- Définitivement ???
- Peut-être pas, Auguste, mais il te suffira de garder auprès de toi ce remède à nul autre pareil pour te soulager en cas de rechute. Tu peux dès à présent commencer ton traitement.
À peine la pythonisse a-t-elle fini de parler que déjà l’empereur relève sa toge pour dénuder ses musculeux fessiers.
- Yannus, courtisan félon qui me fut de si mauvais conseil, viens sitôt me lécher le cul !!! Tonitrue-t-il d’une voix semblable à celle de Jupiter.
C’est au son des cithares et des flûtes que le sénateur Yannus s’exécute… avec un art consommé. Très rapidement, le visage de l’empereur s’apaise. Il pousse un long soupir de soulagement tandis que ses douleurs crâniennes s’envolent. Serait-il guéri ? Il porte sur moi un regard empli de gratitude, ignorant que je nourris à son égard de funestes projets. Je veux venger Romanus.
Mais satisfaire pleinement les impériales exigences n’est pas chose facile. J’en ai la certitude quand j’entends César hurler :
- Tu as la langue râpeuse Yannus. Mon impérial fondement ne saurait supporter cela davantage. Magistrats, allez quérir mon médecin !!! Ce vieil incapable devra trouver un remède à cela sinon je lui fais trancher la tête sur-le-champ !!!
« Je suis là, Ô César Imperator », chevrote une voix tandis que s’avance un vieillard chenu à la toge trop courte et aux sandales trop grandes. Clystèrus, médecin du palais, est un descendant direct, par la roupette gauche, du célébrissime Hippocrate. Comme tout médecin qui se respecte, il sait parfaitement enterrer ses erreurs. C’est ainsi qu’il a à son actif trois empereurs et cinq impératrices.
- Parle vieil homme, dis-nous quel est le remède pour une langue râpeuse ! Je m’impatiente !!! Tonne Cyrillus.
- Il est simple Ô César, il suffira que le sénateur Yannus Anus boive matin, midi et soir deux coupes de bave d’escargot. Cela rendra sa langue onctueuse, douce et glissante comme tu le souhaites, grand monarque.
- Qu’il en soit ainsi ! Quant à toi, funeste conseiller qui profitant de ma faiblesse passagère m’orienta vers de tragiques décisions, je te condamne à l’exil mais tu devras te tenir à ma disposition à tout instant en buvant ta bave d’escargot. Proclame l’empereur tandis que s’affaisse Yannus, le teint verdâtre.
Libéré de la douleur qui lui vrillait la tête, Cyrillus Situs Cyrillos César retrouve toute sa splendeur. Tel Apollon drapé dans sa toge de soie pourpre surbrodée d’or, il descend souplement de l’estrade de marbre. Suivi de toute sa cour, il s’avance vers moi, le visage avenant et me dit :
- À présent et désormais, tu es le commandant de ma garde, Nikos. Suis-moi dans mes appartements et emmène avec toi ton gaulois à la chevelure d’or.
Le beau tyran fait un pas puis se ravisant, se retourne de nouveau vers moi en levant une grande main sur laquelle brille le sceau impérial. Le regard braqué sur mes deux immenses gardes du corps, il rajoute :
- Ta garde personnelle sera également la bienvenue.
Il faut dire que Belligéroff et Russiov ne passent pas inaperçus. Bâtis comme des titans, ils étaient les gardes de Romanus. Venus des froides steppes lointaines, régions des ours et des loups, ils inspirent de multiples émotions aux hommes et aux femmes à la recherche de sensations audacieuses.
Leurs membres aux muscles noueux, jaillissent, bruns et poilus, d’une épaisse cuirasse de cuir et de fer. Ils portent chacun dans le dos deux glaives longs comme une jambe. Leurs faciès, couturés de cicatrices, sont comme des masques seulement animés par des yeux sombres et étirés.
Quand, précédés par notre hôte impérial, nous pénétrons dans ses somptueux appartements, c’est pour y découvrir une orgie dite « romaine » qui bat son plein. Ce ne sont que corps nus voluptueusement enchevêtrés, imbriqués, noués, enculés et sucés en de diverses et multiples postures. Une chatte ne pourrait y retrouver ses chatons. De jeunes flûtistes gambadent de-ci de-là en saupoudrant les halètements bestiaux de notes acides.
Des mignons poudrés nous dévêtent hâtivement en roucoulant comme des pigeons. Cyrillus est manifestement un bel homme. Il est fier de son corps et je dois admettre qu’il n’y a rien à jeter chez lui. Il me dévore des yeux tandis que Pinex se plaque à mon dos pour m’agacer les seins de ses doigts de guerrier. Se saisissant de moi, l’empereur m’attire vers une litière parée d’épais coussins.
Je me laisse aller dans ses bras impatients. Prodigieusement membré, il me pénètre sans autre forme de cérémonie. Empalé jusqu’au fond de mes tripes je ferme les yeux pour me réfugier dans le souvenir de Romanus. Le souffle de Cyrillus brûle ma nuque. Il rugit sa joie de baiser enfin ce gladiateur qu’il désirait tant. J’adresse parfois un regard à mon gaulois qui crispe les mâchoires en assistant à mon immolation. La jalousie embrase ses prunelles bleues mais je lui ai ordonné de ne pas intervenir lorsque l’empereur me baisera. Aussi sauvagement soit-il.
Et c’est sauvagement que l’Imperator prend son plaisir sur moi. Il m’écartèle le trou presque autant que le fit Romanus. Il me fait beugler sous ses coups de boutoir et fait de moi sa femelle. Lorsqu’enfin je jouis, je remplis ses mains d’une fabuleuse quantité de ma substance virile. Je me vide ainsi qu’une outre qui chute et s’épand sur le sol.
Me laissant rompu et pantelant sur la couche, Cyrillus se relève en enveloppant maintenant d’un regard gourmand Belligéroff et Russiov qui attendent son bon vouloir, la queue dressée. Il faut être très ambitieux pour envisager de se faire coller de tels monstres dans le fion, mais l’Auguste César ne manque pas d’ambition.
Les mâchoires démesurément écartées, l’Imperator engloutit la massue de Russiov tandis que Belligéroff se pense obligé de l’enfiler jusqu’à la garde. Le spectacle fait penser à une volaille rôtissant sur sa broche. Après quelques agitations autant confuses que minotauriennes, Cyrillus ne semble cependant guère satisfait.
- Qu’est-ce à dire ? Je n’éprouve rien ? Ces rostres fabuleux devraient me transporter dans d’extatiques jubilations et cependant ils ne me font aucun effet. Je croyais pouvoir m’abreuver d’un nectar capiteux et ne découvre que la fadeur d’une eau ordinaire. Explique-moi superbe Nikos, toi qui m’as transporté dans le palais d’Éros. Que m’arrive-t-il ? Interroge le tyran décontenancé.
- Il t’arrive, Cyrillus César que tu es maintenant sous le sortilège de la déesse Niké. Il t’arrive que tu as perdu à tout jamais les sensations charnelles du plaisir sexuel sans pour autant que cesse ce désir de baiser qui te tourmente. Tu auras sans cesse soif d’amour sans pouvoir te désaltérer.
- Explique-toi, Nikos ! Je ne comprends pas ! Chevrote le despote en blêmissant.
Tout en me rhabillant ainsi que le gaulois et mes deux gardes colossaux, je lui tiens ce discours :
- Toi et ton conseiller Yannus, vous avez acculé mon bien aimé Romanus au suicide. J’ai le cœur déchiré et ma vengeance sera donc la quintessence de la vengeance. Dorénavant, tu n’éprouveras plus jamais les plaisirs de l’amour. La déesse Niké ne m’a laissé qu’un seul don : celui de la séduction absolue et sans rémission. Tu viens de me baiser et à cause de cela, seul mon corps est capable, désormais, de te faire connaître les voluptés de Vénus. Mais ce corps tu le ne touchera plus car je vais m’exiler très loin de toi.
Adieu Cyrillus.
À telle allure, nul ne peut rejoindre mon quadrige qui fonce aujourd’hui sur la Via Appia. Debouts sur un char à la membrure légère, Pinex et moi, fuyons Rome dans un galop exaltant. Belligéroff et Russiov, à nos côtés, chevauchent des étalons noirs à la crinière volante.
Mon navire nous attend dans le port d’Ostia. Chargé d’or et d’hommes vaillants et courageux.
Fou d’un amour délirant, taraudé par son désir de moi, Cyrillus César a lancé ses centurions à mes trousses mais les chevaux de Romanus sont bien trop rapides pour que nous puissions être inquiétés.
Hommes et chevaux à bord, le vaisseau largue les amarres et les puissants rameurs s’arc boutent sur leurs bancs. Prestement hissée, la grand-voile se déploie pour s’emplir du vent que m’accorde généreusement le dieu Éole. Mes dieux grecs ne m’ont pas oublié et Poséidon lui-même favorise la course rapide de mon bateau en faisant glisser les vagues sous sa coque légère.
Au large, les lourdes trirèmes de l’empereur Cyrillus forment un croissant pour nous capturer mais l’altier vaisseau conçu par Romanus tranche les flots de sa fine étrave et se ri des rostres menaçants.
J’ai une pensée pour l’amiral de la flotte car ce soir sa tête roulera aux pieds d’un César furieux.
J’embrasse d’un dernier regard les côtes verdoyantes qui s’évanouissent à l’horizon. Je suis enfin un homme libre accompagné d’hommes libres. Je contemple l’énergique profil de Pinex qui se tourne maintenant vers moi. Sa blonde crinière fouettée par les vents, auréole son beau visage. Il est désormais mon égal et je peux l’aimer sans contrainte. Sache-le, Rome. Je n’ai plus d’esclaves, je n’ai plus de maître, je n’ai plus de dieux, Je suis Nikos, le gladiateur de l’Amour.
Mes bras enlacent la taille mince et dure de mon gaulois qui pose sa tête sur mon épaule. Au-delà des colonnes d’Hercule, nous attend la grande oasis de Romanus sous les palmiers de laquelle nous vivrons heureux. Sur la plage chaude j’irai déposer les cendres de mon ancien maître pour que la grande mer l’emporte en son sein. Mer immense, bleue et presque éternelle.
Épilogue : selon les chroniques, le règne de l’empereur Cyrillus fut long mais plus jamais il ne connut le plaisir de l’amour. Enculer un beau mec ne lui donnait pas davantage de satisfaction que de croquer une pomme verte. Cependant, ses effroyables maux de tête s’espacèrent dans le temps et il n’eut que peu de fois l’obligation de faire appel aux services du méchant Yannus Anus qui dut pourtant se taper trois coupes de bave d’escargot par jour pendant 30 ans. Cela pour être prêt à toutes éventualités. Dans sa clémence, Cyrillus César lui accorda enfin son pardon et il put revenir à la cour sous le nom de Sagus Repentus. Tout est bien qui finit bien.