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6 | Omar Sharif
Le récit de Julien
Après une toilette rapide, je propose à Mehdi de passer à table.
- "Je ne sais pas pour toi mais moi, faire l'amour m'ouvre l'appétit."
J'ai bloqué son bras dont la main s'est emparée de son boxer.
- "Aurais-tu froid en plein mois d'août ? ou quelque chose à cacher que je n'aie déjà vu ?"
Mes yeux sourient aux siens, mes grandes mains enveloppent ses jolies fesses, caressent sa queue flaccide en l'étirant mais sans s'attarder.
- "Moi, j'aime bien te regarder, pouvoir me frotter à ta jolie peau ..."
Il n'ose pas protester et me suit. J'avais débouché le flacon d'Anjou et nous trinquons en épluchant les tomates. Parsemées de feuilles de basilic hachées, arrosées d'huile d'olive, poivrées, elles sont associées au pâté et aux fromages pour constituer notre repas, un solide en-cas plutôt.
Mais sa préparation comme son partage et, à la suite, la rapide vaisselle sont, à la fois, d'une rare banalité où chacun s'emploie avec une efficacité confirmée par l'habitude et, en même temps, l'objet d'une piquante curiosité où chacun observe l'autre, où nos gestes s'accordent naturellement dans une répartition interchangeable et une grande économie de mots, le tout pimenté de frôlements, de brefs contacts, souligné d'échanges de regards où se mêlent tendre sensualité et hésitante réassurance face à la nouveauté de la situation.
Je n'ai jamais ainsi partagé l'ordinaire de mon quotidien avec un homme ; j'ai été élevé dans une famille où les rôles étaient bien répartis et ma mère n'aurait pas supporté que mon père empiète au-delà de la simple exécution sur son absolue maîtrise domestique ; plus tard, mon choix de vie de célibataire s'était accompagné de la volontaire conquête d'une capacité d'autonomie dans la vie de tous les jours ; voilà qu'en partager ainsi les gestes élémentaires me trouble.
En tendant cette assiette que je viens de laver à Mehdi qui, torchon à la main, s'apprête naturellement à l'essuyer, s'impose soudain dans sa crue évidence que RIEN ne s'oppose à ce que deux hommes mènent ensemble une vie ménagère accomplie, rien SAUF la représentation sociale univoque que nous en avions, cette limitation des possibles dictée par des décennies d'habitudes, de traditions devenues censure, dont je me suis affranchi sans penser qu'un autre pourrait en faire de même et me rejoindre. Est-ce que me voilà "féministe"?
Et l'élargissement de l'horizon de ces possibles s'illustre exactement, là, à ce moment.
Je me suis approché de Mehdi et ma main a saisi sa bite comme un manche d'outil. Je l'attire à moi en souriant.
- "Mais tu es un parfait homme d'intérieur!"
Il fait glisser sa main sur mon épaule, jette alentour un regard circulaire et, effronté, revient me regarder en face sans ciller.
- "Et toi ? Julien semble être une bonne ménagère."
Son regard impertinent confirme à ma naïveté ébahie que lui aussi a fait les mêmes observations terre à terre que moi. Est-ce une simple curiosité ou est-ce nouveau pour lui aussi?
Précédemment, j'avais évoqué le charme d'Omar Sharif, avec son sourire et sa célèbre moustache mais Mehdi semblait ne pas avoir d'image précise de l'acteur. Aussi je trouve là une diversion et lui propose de regarder quelques passages de Lawrence d'Arabie.
Je m'asseois sur le canapé, la zapette à la main et, quand il me rejoint, je propose courtoisement qu'il s'y allonge, prenant appui de la tête sur mes cuisses. Au pétillement de ses prunelles, je crois comprendre que l'offre de cette étroite proximité est si convenue qu'elle apparait comme un jeu, une évidente parodie, ce qui lui permet de l'accepter sans paraître se déjuger alors qu'elle l'émoustille autant que moi. Il s'adosse ainsi sans façon à moi qui, le surplombant, peux caresser des yeux sa silhouette allongée en odalisque.
Je lance le film et Mehdi perçoit de suite l'ambivalence du personnage interprêté par Peter O'Toole. Il y a des signes qui, s'ils déconcertent celles et ceux qui sont étrangers aux tourbillons intérieurs qui nous chamboulent nous les gays, mettent immédiatement la puce à l'oreille de ceux qui les ont connus. Quand apparaît le fier personnage joué par Omar Sharif, Mehdi se fige soudain dans un silencieux absolu puis il se redresse en position assise, le pointe du doigt et me contemple fixement un instant.
- "Tu trouves que je lui ressemble, vraiment?"
Incrédule, il me regarde lui répondre en dodelinant de la tête avec un sourire énigmatique, puis il reprend, catégorique :
- "Pas du tout! C'est même pas un vrai arabe ce mec!"
Je glisse ma main à plat dans son cou pour venir cerner son oreille du golfe du pouce et je ramène souplement sa tête à moi pour lui murmurer à mi voix.
- "Vrai ou demi, lui n'est qu'un rêve de jeune homme ; toi, tu es bien réel et tu as la peau douce."
Il a brusquement cassé sa nuque sans répondre et j'ai proposé d'interrompre le film puis je l'ai entraîné sur le pas de la porte après avoir éteint toutes les lumières. Le ciel dégagé nous permet d'admirer la voute étoilée de cette fin d'août. Soudain, un bref rai lumineux strie l'obscurité.
- "Ah! Il te faut faire un voeu!"
Mais il danse d'un pied sur l'autre, frictionnant vigoureusement ses triceps à deux mains.
- "Rentrons s'il te plaît."
Je n'ai pas rallumé les lumières et je le guide d'un bras pour lui permettre d'éviter les obstacles jusqu'au lit. Aussitôt il se blottit, face à moi, frissonnant. Je rabats le drap sur nous mais voilà qu'il trépigne ainsi qu'un enfant malade livré à la fièvre. Le seul remède alors à ma portée consiste à l'embrasser, souplement, magistralement ... Il me répond avec empressement.
Et aussitôt, comme par magie, il s'apaise.
Ses deux mains ont empoigné ma bite brûlante et la caressent délicatement puis l'inclinent vers le bas. Il soulève une cuisse pour l'emprisonner entre elles deux, cambrant son rein pour écraser la sienne entre nos ventres. J'ai attrapé sa taille à deux mains pour le garder ainsi plaqué contre moi et j'engage de courts aller-retour en le galochant éperdument.
Mais quel délicieux partenaire! Doux, chaud, dont les initiatives savent me surprendre!
Il a brusquement donné un coup de talon vers le bas et s'est bandé comme un arc, bras tendu vers l'arrière. Sa main farfouille dans le chevet puis il se recroqueville en boule, s'ensevelit sous le drap. Aussitôt, la fraîcheur veloutée de sa bouche sur ma queue me sidère. Putain que c'est bon! Mes mains s'aventurent sous le tissu, tâtant ici la peau douce et là des cheveux drus ou encore l'angle d'une épaule, ajoutant le vertige de l'aveuglement au chahut des sens.
Il s'est interrompu. Bruit d'étui déchiré, compression par la fine membrane de latex déroulée. Celle-ci filtre la caresse qu'il me dispense de ses deux mains qui me pressent la bite, la malaxent pour remplir de viande le boyau qui deviendra saucisson à la saint cochon. Claquement de l'obturateur, fraîcheur du gel et, à nouveau, ce massage viril qui me fait bander comme un dingue. Il a virevolté pour me présenter son dos, plié à l'équerre et, une main entre ses cuisses, l'autre vers l'arrière, il me guide, me soutient, s'embouche, recule ...
Et je n'ai qu'à me laisser glisser en lui ; c'est doux et frais comme un gant de soie, c'est comme ... se laisser couler dans l'eau exactement tiède du bain, avaler une gorgée de rouge velouté et charnu, plonger voluptueusement son doigt dans le miel liquide et doré puis le sucer ...
J'ai fermé les yeux, ramené son dos contre mon torse, fixé mes deux paluches à ses hanches et je l'ai limé, lentement pour prolonger cet instant de joie, de toute mon envergure pour ne perdre le moindre millimètre de sa gourmandise, sans précipitation car ce banquet-là n'est dressé que pour moi seul et personne ne pourrait m'en priver. J'ai accordé mon souffle au sien, dans un élan commun qui nous fait complices, je l'ai enfilé sans pause dilatoire, nous laissant gagner par la tension qui monte régulièrement et que, seule, la jouissance dissipe dans une longue plainte sourde à peine marquée de légers soubressauts des épaules. Mais je ne l'ai pas laché, le temps de retrouver mes esprits ; puis j'ai embrassé son échine avant de rouler sur le dos.
- "Comment as-tu deviné mon voeu?"
Il ricane.
- "Parce que je suis une grosse salope."
- "Tu sauras que les grosses salopes tout comme les fieffées emmerdeuses, je veille à les garder éloignées de mon lit.
Celles que les hommes appellent ainsi, car il n'y a pas de masculin pour cette acception, se donnent en général assez facilement à eux, elles manifestent un appétit pour la chair dont ils se réjouissent pour le flétrir aussitôt qu'ils en ont bénéficié, comme s'ils avaient honte, les ingrats."
J'ai roulé sur le côté, l'ai rudement rabattu sur le dos. Mon avant-bras est venu sévèrement comprimer son abdomen et ma main s'est fermement emparée de sa jolie queue baveuse.
- "Oui, Je vois que tu es bien un garçon, avec cette belle queue ; un garçon qui aime le plaisir et qui le partage, tout comme moi. Alors, je préfère parler de gourmands qui font ripaille."
L'index et le majeur se chevauchant en rostre, je l'ai torpillé et j'ai tapé en plein dans la cible. Je guettais son sursaut, ce petit cri qu'il n'a pu retenir, et je ne résiste pas au plaisir de redoubler pour en obtenir un deuxième. Je redresse alors prestement sa hampe pour l'engloutir, l'enserrant étroitement de ma langue, puis de mes lèvres au retour.
Je le lèche, le branle, le doigte sans relâche et mon empressement le submerge de frissons. Il s'est enfoncé dans le matelas, a relevé ses cuisses ouvertes pour s'offrir sans retenue, battant l'air de ses mollets. Il pétrit à deux mains ma chevelure, empoigne mes épaules, suffoque, s'agite, se raidit, râle. Sa première salve manque de peu de m'aveugler et me balafre. Il est secoué par les répliques, sèches, brutales. Puis ses muscles se détendent peu à peu, entre mes bras. Il soupire.
- "Tu vois comme c'est simple! Tu es pédé, tu baises avec moi, tu as du plaisir. Accepte-le et réjouis t'en avec moi, c'est vital ... Aime-toi tel que tu es, Mehdi."
Puis nous sommes allés prendre une douche, une douche pleine de mousse, avec de longues caresses appuyées comme des massages, indiscrètes comme des confidences, des aveux silencieux ; nos regards et nos sourires veillant sur ces attentions bienveillantes, où perce parfois, comme une tendresse, la reconnaissance de notre commune humanité.
Ensuite, malgré l'heure avancée, nous avons refait le lit. Je voulais le coucher contre moi entre des toiles fraîches et tendues, où les corps se coulent, se retrouvent, s'écartent dans une libre fluidité qu'aucun pli n'entrave.
- "Bonne nuit, Julien."
- "Bonne nuit, Mehdi."
Et je me sens heureux de cette présence qui m'accompagne dans le long voyage au travers de la nuit noire.
Amical72
amical072@gmail.com
Michel Dimitri Shalhoub naît en 1932 à Alexandrie en Egypte dans une famille d'origine syrienne et de religion chrétienne d'orient. Au collège britannique d'Alexandrie, il étudie les mathématiques, la physique et pratique plus ou moins couramment six langues dont l'arabe, l'anglais et le français. Après avoir obtenu une licence en mathématiques et physique à l'Université du Caire, il travaille auprès de son père, négociant en bois précieux puis part à Londres rejoindre la Royal Academy of Dramatic Art. Revenu au pays, il tourne avec Youssef Chahine et adopte le pseudonyme de Omar Sharif. A propos du film Lawrence d'Arabie de David Lean, voir le riche blog indépendant et à sensibilité LGBT de Gaspard Granaud Popandfilms
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