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16 | Lui mettre le feu – Le récit de Joris
- "Et ainsi, chaque semaine, le jour convenu entre nous, je prends le chemin du centre ville, le coeur battant. Là, le grand brun, le ci-devant dénommé Bryan, examine et nettoie mon téton percé dont la cicatrisation progresse rapidement. Il le fait avec une surprenante douceur et, sans échanger beaucoup plus de mots, une sorte de proximité s'est désormais établie entre nous.
Lui, il nous rejoint dans le box puis je lui emboite le pas jusqu'à la réserve, cette caverne d'Ali Baba dans laquelle les nouveautés s'entassent, recouvrant les invendus les plus ringards dans une sédimentation textile. Sur un des cartons près de l'entrée, il a posé la boite du sous-vêtement qu'il me destine et qu'il me laisse découvrir pendant qu'il rejoint le canapé.
Je ne peux jamais savoir dans quelles dispositions je vais le retrouver quelques minutes plus tard ; cette incertitude me garde dans une tension incroyable, j'en vibre. Elle stimule mon imagination pendant que j'enfile mon nouveau jock mais lui non plus ne sait pas à qui il aura affaire, car si, selon toutes les apparences, je le concède, il se joue de moi, je connais aussi mon pouvoir sur lui.
Nos rapports n'ont rien d'extravagant, je n'ai jamais été embroché par l'énorme gode rose qui trône toujours dans le placard, il ne m'a jamais fait revêtir le ridicule masque de chien, pourtant le rituel de nos jeux de cache-cache, chaque fois réinventés entre nous, pimente incroyablement chacune de nos parties.
Puis j'ai été reçu au concours, je ...
J'avais pris soin de choisir une école suffisamment éloignée pour que je puisse y faire librement mes premiers pas d'adulte qui assume d'être gay sans être lesté par ce sentiment de trahir les attentes de conformité que mes proches avaient placées en moi, sans avoir à me défendre de ma loyauté. J'allais enfin être ... moi, tout simplement et entièrement moi.
Une fois diplômé, j'ai accepté ce remplacement à l'IME, et je t'ai croisé !
Costaud, fonceur, barbu, poilu, tout ce que j'aime.
On ne travaille pas dans le même groupe mais il ne manque pas de langues bien aiguisées pour qui sait les interroger habilement.
Et là, déception ! Je découvre l'existence d'une compagne qu'on dit ravissante et de deux petits garçons. Alors je t'ai observé de loin, profité des opportunités de te mater, quand tu fais du sport avec les jeunes par exemple. Jusqu'à ce jour où tu m'as attendu et interrogé. Je ne fais pas mystère de qui je suis et, de toutes façons, la fin de mon contrat approchait alors ..."
- "Alors?"
- "Alors, j'ai eu l'immense surprise de te voir entrer dans mon jeu, j'ai aussitôt avancé mes pions et je n'ai pas laissé passer ma chance. Pourtant, comme souvent, je restais un peu frustré par cette première fois, alors ..."
Alors ... je laisse planer et prends le temps de l'envisager patiemment.
Je suis assis en tailleur dans un angle de ce lit qui baigne dans la lueur chaude de la lampe de chevet quand lui, attentif à mon histoire, y est étendu de tout son long, le dos relevé par l'oreiller, les bras le long du corps, une jambe allongée dans ma direction, l'autre repliée en triangle avec sa cheville lovée sous le genou de la première.
Me revient alors l'image de la réserve poussiéreuse et je ne peux m'empêcher de mener une parallèle.
Mon regard remonte sur lui, au départ de son pied tout proche, c'est d'abord sa toison mousseuse qui me retient ; frisée, chatain clair, la lumière y allume des reflets dorés qui m'évoquent le soleil ...
L'autre a un poil noir de jais, long et lisse. Une crinière.
Et ses yeux ! Ils brillent d'une malice que souligne son sourire complice mais je n'y lis qu'une promesse de jeux et de plaisirs partagés, une jubilation, pas trace d'arrière pensée, rien d'inquiétant quand lui, l'autre, son regard sombre semblait me réduire à l'état de jouet dont je craignais à chaque instant qu'il ... Et pourtant, il s'était vexé de me voir redouter qu'il commette ... comme si "battre sa femme" était une tare à ses yeux.
Mais ma frayeur, même bridée, ces craintes qu'absolument aucun geste n'a pourtant jamais confirmées mais que je ne parvenais pas à chasser, tout celà ajoutait à ma tension, peut-être même à mon désir, la sensation grisante de flirter avec le danger, de longer la rive friable du précipice.
J'ai posé le creux de ma main sur son cou-de-pied, mes doigts arpègent sur les tendons rayonnants et sa peau fine frémit déjà.
- "Je vais te dévorer!"
Il rit, plisse les yeux, relève les bras pour les croiser au-dessus de sa tête, dévoilant les toupets de ses aisselles, méchés de sueur. Ça sent l'homme qui a déjà répandu sa gourme et qui, désormais, joue pour l'agrément, le partage d'un plaisir gratuit, détaché de toute contingence, notre capacité à nous réjouir l'un de l'autre, sans arrière pensée. Les meilleures dispositions pour que je puisse obtenir de lui qu'il me ramone comme un prince insatiable car, de ce poilu frisé, moi, je compte bien m'en repaitre. Pourtant, il ne semble pas s'en alarmer outre mesure ; c'est un chasseur sûr de sa force, un félin.
Mais un félin rassurant.
A deux mains, je pétris souplement son pied, le masse, en fait jouer souplement les diverses articulations ; mes doigts reviennent effleurer de leur pulpe les zones de peau fine et translucide, mes ongles tentent de griffer les cals, le talon au cuir endurci ; ma bouche s'en mèle, lèche, chatouille ou mordille tandis que déjà, mes mains remontent sur le mollet.
J'ai dit "dévorer" ; j'espère qu'il a bien entendu que rien n'échappera à ma gloutonnerie.
Je l'escalade, les genoux, les cuisses. J'allonge le cou pour venir fouailler entre elles, dans ce triangle de poils, d'odeurs musquées ; je lèche, respire, me frotte, mordille. Je me dresse d'un coup, m'empare de son membre dressé, l'embouche et l'engloutis.
Je l'ai senti se raidir, étendre vivement ses deux jambes, soulever son bassin pour m'offrir toute son envergure, bloquer sa respiration, tétanisé. Alors, impitoyable, je lui applique deux ou trois de ces succions dont j'ai le secret.
Et, d'un coup, il me renverse, roule sur moi, m'immobilise de sa masse.
- "A ce jeu, nous sommes égaux, chacun doit lancer les dés à son tour."
Et aussitôt sa bouche me bâillonne, sa langue s'enroule à la mienne dans un tourbillon sensuel puis, emmêlant nos bras et nos jambes, il roule et inverse nos positions, revient sur le dos quand je me retrouve à califourchon sur lui. Ce renversement, nos aspirations, les arabesques somptueuses que dessinent nos langues dans ce baiser à quoi je cède désormais sans retenue me plongent dans une tourmente intérieure où je perds délicieusement pied ; ce tournoiement est vertigineux.
Vertigineux et angoissant, tout autant. Je joue avec le feu.
Dans ma tête, une voix me souffle de prendre garde, me murmure le prénom de Stéphane, une aiguille appuie sur mon coeur juste assez pour me rappeler la douleur qui peut le transpercer instantanément ...
Mais une autre insiste : c'est mon dernier soir ici ; demain, je pars et je ne les reverrai plus, ni lui avec son poil qui mousse, ses cheveux qui volètent, ni l'autre, dans sa ferme, qui, au premier regard me dépouillait de mon armure, faisant tomber toutes mes défenses pour m'anéantir de caresses. Mais ensuite, je restais nu et sans protection et un froid sibérien m'enveloppait. Un linceul.
D'ailleurs, celui-ci, pas plus que l'autre d'ailleurs, ne me veut aucun mal, je le sens. Il ne cherche nullement ni à me réduire, ni à m'emprisonner pour, ensuite, m'exhiber en trophée de sa virilité dominante. Pour preuve, alors qu'il prolonge le baiser, d'un coup, voilà qu'il relâche toutes ses prises.
Il s'offre, abandonné et vulnérable. Spontanément.
Alors je me lance et mes mains sont lâchées, elles galopent, plongent dans les frisettes légères de ses cheveux, courrent dans sa barbe drue pour encadrer son crâne. Elles s'échappent et viennent saisir ses poignets, les remontent par dessus sa tête, les croisent, les maintiennent. D'autorité.
Seul, à ce moment, le ballet de nos langues agiles et déliées nous relie. Or mes lèvres délaissent les siennes et je viens encastrer mon visage dans le creux de son aisselle, moite et odorante, ma langue fringante la ponctue de menues touches impressionnistes qui l'agitent de mille frissons, il se contorsionne pour tenter de m'échapper.
Puis mes lèvres fondent en piqué sur son téton, ma bouche l'aspire, l'extraie de ses broussailles et, aussitôt, mes dents se referment et le pincent. Férocement.
Surpris par la virulence de l'attaque, il se rétracte en boule d'un vif réflexe, chassant puissamment l'air de ses poumons, remontant ses genoux à son torse, me repoussant fermement.
Mais, dans le même temps, je me suis retourné d'une vigoureuse détente, plongeant pour engloutir sa queue. Il essaie bien de me rendre la pareille et tente de soulever ma hanche mais mon ventre se plaque lourdement à plat sur le matelas pendant que je le foudroie d'une succion magistrale qui lui arrache un cri.
Alors, il cède, tout entier offert aux caresses que je lui dispense, sa main erre distraitement sur mon dos, sur mes fesses ... Là, oui ... Mes prestations buccales se font plus retenues tandis qu'il dessine ma raie d'un doigt badin. Je veux laisser assez de disponibilité à son esprit pour qu'il envisage de me rendre la monnaie de ma pièce. Casser discrètement mon rein pour ouvrir ma grenade, qu'il effleure mon oignon, là! Avance donc ...
Son pouce m'a investi et détend souplement mon anneau qui se referme sur lui et je reprends ma pipe. Cette fois, avec tout mon savoir faire. Il faut désormais qu'il se rende, que sa main tape sur le tapis pour demander grace.
Alors d'une main passée à l'intérieur de sa cuisse, je le soulève, enroule son rein, écrasant son torse. Cherchant son souffle, il ouvre ses cuisses, ses jambes battant l'air et je me jette sur son trou du cul dévoilé, sa rosette plissée, ce délicieux oursin aux saveurs marines. Je le lèche, le lape, le chatouille, le pique, le fore avant d'y poser l'extrémité de mon pouce qui le presse.
Devant sa disponibilité, une évidence m'apparait alors : contrairement à l'autre, cet homme ne m'effraie pas parce que, tout comme moi, il succombe à la suffocation, à l'éblouissement de se faire remplir. C'est un pair.
Lorsque je le délivre progressivement de cet enroulement qui le contraint si étroitement, il s'empale concomitamment sur cet éperon digital, ses tripes l'aspirent avec gourmandise tandis que moi, c'est sa queue que ma bouche aspire à nouveau. Je la découvre demi débandée et m'applique à lui rendre sa vigueur qu'elle retrouve rapidement.
Le doigter en le suçant simultanément devrait lui mettre le feu, il me faut juste être attentif à cet instant exact où, débordé par sa pulsion, il va vouloir me renverser pour veiller à le capoter prestement auparavant puis adopter la position de la prière et me laisser embrocher dans ce réflexe atavique du mâle, par ce gourdin aveugle et sourd qui m'envahit sauvagement ... si délicieusement, me gave, me dilate.
Mais, à ma surprise, il se dégage et me saisit sans ménagement, me retourne sur le dos, ouvre mes cuisses, soulève mon rein, me pointe. Du même élan, il me plante son pieu en s'écrasant sur moi, trouvant ma bouche que sa grosse langue conquiert sans rencontrer aucune résistance.
Je veux tout!
Je noue mes jambes relevées au plus haut autour de lui qui me poinçonne sauvagement, nos langues se nouent comme des linges humides, mes bras enserrent son torse de bourrin poilu, c'est une charge de hussard, une cavalcade à bride abattue, sans répit jusqu'à l'hahalli.
Je crois que nous avons crié ensemble, que nos mains se sont serrées, nos doigts crispés sur l'autre de concert avant de retomber, toujours emmêlés, nous couvrant de bisous piqués en manifestation de reconnaissance éperdue. Je l'ai sucé, il m'a léché, nous avons mêlé nos humeurs, les avons croisées, partagées.
Nous avons sombré dans le sommeil sans plus attendre, enchevêtrés, collés et sans autre précaution.
Amical72
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* Les plaisirs ont choisi pour asile / ce séjour agréable et tranquille, / que ces lieux sont charmants / pour les heureux amants! / Si l'amour ne causait que des peines, / les oiseaux amoureux ne chanteraient pas tant./ Jeunes cœurs, tout vous est favorable,/ profitez d'un bonheur peu durable./ Dans l'hiver de nos ans l'Amour ne règne plus,/ les beaux jours que l'on perd sont pour jamais perdus. Extrait de l'opéra Armide de J.B.Lully, voici la Passacaille
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