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18 | Aucun regret – Le récit de Julien.
Tandis qu'ébloui par ma jouissance forcenée, je m'écrase dans le matelas, Anthony se retourne vivement comme si, tout à fait réveillé désormais, il prenait le relais et, à son tour, veillait sur moi. Il m'étend confortablement puis retire ma capote et aspire ma queue flaccide, m'accordant un éblouissement supplémentaire avant de me couvrir de petits bisous éparpillés.
Reprenant rapidement mes esprits, je l'attrape d'une main dans les cheveux pour l'attirer à moi et l'embrasser gloutonnement, pour retrouver les relents de mon propre nectar dont il s'est pourléché, gratifiant son visage, ses joues couvertes de cette barbe éparse, de quelques coups de langue grasse au hasard avant de lui intimer d'aller se doucher.
Pendant ce temps, je prépare un petit déjeuner et, aussitôt qu'il sort de la salle d'eau, je m'y précipite, non sans arracher au passage la serviette qu'il avait nouée autour de sa taille et que je confisque.
Quand j'en reviens à mon tour, je le retrouve tel que je l'ai croisé dans le TER, penché sur son portable, les deux pouces dansant une gigue endiablée, devant sa tasse de café qui refroidit. Sans même lever les yeux de son écran, il m'informe que son train passera dans quarante minutes.
- "Pas de temps à perdre alors!"
Dans les yeux de celui qui se relève pour aller enfiler ses ternes vêtements noirs, plus d'eau claire et pure, mais un bloc de verre neutre, un sourire mécanique, l'air d'être déjà ailleurs ; il a rejoint "sa vie" dont je ne sais rien, refermé cette parenthèse de luxure partagée.
Dans la voiture, il se recroqueville dans son siège, la nuque cassée et je ne peux retenir mon envie de pétrir affectueusement sa cuisse.
- "Ça va aller !"
Mon ton se veut bonasse, rassurant, presque paternel. Il se redresse soudain et je perçois combien son regard pèse lourdement sur moi.
- "Qu'est-ce que tu dois penser de moi ?"
Il y a, dans sa voix, un tremblement contenu, enfantin, de celui qui, mal assuré, convoque le regard de "l'Autre", l'aîné, averti, sollicité en censeur. Je ne peux réprimer un sourire malicieux.
- "Et toi, que vas-tu penser de moi, alors ? Nous étions deux, dans cette aventure, non ? Deux adultes responsables explorant ensemble les chemins secrets de nos intimités. As-tu le sentiment d'avoir agi sous la contrainte, la menace ou simplement sous l'ascendant d'une prétendue "Autorité", moi en l'occurence ?"
En disant cela, j'ai bombé le torse, ironiquement. Sans quitter la route des yeux, je le garde dans mon champ de vision ; je le vois secouer latéralement la tête en dénégation, la mine pourtant abattue. Je poursuis, d'une voix volontairement calme et posée.
- "Te sens-tu, après coup, le moins du monde blessé, humilié ou même ... sali ?"
Il a vivement tourné ses yeux écarquillés vers moi, bouche semi ouverte, dans l'attente de la suite, une sentence. J'y lis le questionnement non formulé et les scrupules d'un jeune homme sans grande expérience qui redoute d'avoir mal maîtrisé la fougue de ses élans, qu'un excès dans ses pratiques, soudain regardé comme dégradant par son partenaire chevronné, déconsidère à ses yeux et, par contre coup, aux siens, entamant sa propre dignité. Bref, il s'inquiète d'avoir trébuché, se bat avec son amour propre et l'image de sa dignité.
- "Ce que nous avons fait, nous l'avons fait de notre plein gré, sans témoin ni tribunal, personne n'en saura jamais rien. Il n'y a que toi et moi pour considérer si ce qui s'est passé entre nous était convenable et compatible avec nos amour propre respectifs."
Il parvient à bafouiller.
- " Tu sais, jamais je ne ... Pour moi, c'était la première fois que ..."
A mon tour, je hoche silencieusement la tête avec un air grave.
- "Et tu l'as très bien fait. Alors, sache que c'était non seulement TRES agréable de trouver en toi un partenaire aussi audacieux mais également que je suis extrêmement flatté de t'avoir inspiré un sentiment de sécurité suffisant pour que tu te sentes autorisé à t'aventurer ainsi avec autant de maturité.
Et, à charge de revanche, je veux te confier que pour moi aussi, certains moments ont eu un goût de première fois. Heureusement, dans une vie d'homme, il y a sans cesse des premières fois pour qui sait les cueillir car on n'a jamais trempé ses lèvres dans toutes les coupes, mais il faut, pour celà être absolument en confiance. Or la confiance ne vaut que si elle est réciproque!"
Je lui adresse un clin d'oeil complice mais il reste asphyxié, tel un poisson rouge ! Je repose alors délicatement ma main au-dessus de son genou et j'adopte le ton le plus rassurant que je sache convoquer.
- "Ferme un instant ces grands yeux inquiets et concentre-toi, reviens à ces moments que nous avons partagés, à ces frissons ... était-ce de l'effroi ? À ces soupirs ... était-ce de dégoût ? À ces vertiges ... était-ce la crainte de chuter dans le gouffre des enfers ?"
Ma voix a sonné, emphatique.
Soudain, là, une entrée de chemin m'offre un espace. Clignotant, cahots, stationnement, frein de parking. Je me tourne en urgence face à lui, mes yeux dans les siens, le bout de mes doigts simplement posés sur le dos de sa main.
- "Sois sans aucun regret. Je te le répète, j'ai passé avec toi un moment TRES agréable et j'ai beaucoup de respect pour ton aisance, ton aplomb, ta détermination dans ce dialogue extrêmement sensuel, éblouissant même."
J'adopte soudain un regard attristé.
- " Mais je pensais qu'il en était de même pour toi et je serais désolé si ..."
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que, déjà, il me coupe avec un fin sourire.
- "Rassure-toi, c'était super chaud pour moi aussi. Mais je ne voudrais pas que tu me prennes ..."
- "Pour ce que, très clairement à mes yeux, tu n'es pas ! N'aies aucune inquiètude. Cependant demeure convaincu que si "on peut rire de tout, on ne peut pas le faire avec tout le monde" comme disait Desproges! Reste prudent."
Je ne suis pas certain qu'il sache qui était Pierre Desproges mais ma remarque a, enfin, allumé un sourire narquois et un éclat vif dans le bleu de son iris.
- "Bien sûr! C'est uniquement parce que j'ai eu la chance de croiser un amant exceptionnel que j'ai pu me prêter à certaines pratiques licencieuses avec lui ..."
- "Ne dis pas un mot de plus sinon je rebrousse chemin et tu vas voir de quel bois cet amant-là se chauffe."
Nos yeux se mesurent et se défient joyeusement et je sens une nette tension érotique se ranimer entre nous mais il coupe court, cette fois dans un large sourire.
- "Redémarre sinon je vais rater mon train !"
Il ouvre la portière sitôt le véhicule stationné.
- "Allez, salut !"
Puis il se ravise, bascule rapidement vers l'arrière, le temps d'un bisou fugitif au coin de mes lèvres.
- "Merci Julien."
Il s'est redressé et, encore assis, suspend son mouvement en me tournant le dos.
- "Je vais aussi réfléchir à ce que tu m'as dit concernant mon avenir."
La portière s'est refermée, je regarde la sombre silhouette s'éloigner à grands pas vers le quai. J'attends que les claquements cadencés des roues sur les rails l'aient emporté hors de ma vue et je démarre. Un pincement à l'estomac prend la forme d'une furieuse envie, celle d'un morceau de pain frais à la croûte craquante, surmonté de fines lamelles d'une terrine de Monique. J'ai FAIM !
Aucun de nous n'a proposé d'échanger nos contacts mais je connais les prodiges d'orientation dont chacun de nous est capable en cas de besoin.
Je réalise alors que pas une seconde je n'ai pensé à Mehdi, il a désormais rejoint mon coffre aux trésors, celui des souvenirs et des ressources, ce qui confirme que l'adversité peut être surmontée et que la vie vaut, vraiment, la peine d'être vécue.
Amical72
amical072@gmail.com
"on peut rire de tout, mais pas forcément avec tout le monde" l'explication de Pierre Desproges
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