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9 | Se congratuler chaudement – Le récit de Julien.
La jouissance me fauche presqu’aussitôt dans un éclair qui m’aveugle.
Je retrouve rapidement mes esprits, allongé sur le dos, dans ce lit inconnu, puis je distingue le visage de Christophe penché sur moi et tout se remet en place. Son bras replié en triangle soutient sa tête à l’œil goguenard, les doigts de sa main libre s’égarent et batifolent négligemment, furetant dans la fine broussaille de mon torse.
- « Et alors ! Un petit jeune te taille une demi-pipe dans les chiottes ; plus tard je te propose certes, quelques mises en bouche mais, ensuite, à peine introduit, pchittt, monsieur se répand puis s’effondre ? »
Le ton du reproche murmuré est plus amusé que fâché. Je fronce les sourcils d’un air contrit mais, l’air détaché, il continue ses petits attouchements et demeure étroitement blotti contre moi. Sa chaleur m’irradie.
- « Tu siffles la fin de partie où ... »
Ses lèvres gardent un dessin ironique en restant suspendues à l’interrogation mais son œil se fait plus profond ; ses doigts cessent de faire des pointes dans ma toison et sa main se glisse à plat sur ma peau, s’applique, coulisse, chaude et pressante, dérape sur mon flanc qu’elle enveloppe fermement, comme pour me maintenir tout contre lui ; à nouveau quelque chose se noue dans mon ventre. C’est moi qui poursuis :
- « ou je m’en remets humblement à tes bons soins. »
Je crois que si nous n’avions été à poil dans un lit en désordre pour preuve de nos récents ébats, la lueur que je vois alors s’allumer dans sa pupille m’aurais refroidi mais là, … sa mine de prédateur déterminé que durcit la lumière indirecte provenant de l’entrée ne fait qu’attiser cette tension que j’ai décelée en moi, qui enfle … mais que je tente de lui dissimuler, par malice. Car être un objet convoité ni ne m’ébranle, ni ne m’inquiète.
J’en suis plutôt flatté et j’en joue.
La pointe de sa langue vient balayer sa lèvre.
- « C’est que moi, je ne suis pas rassasié. »
Le léger affaissement de son pectoral attire ma main qui le coiffe, le pétrit, le remonte ; la pointe de mes doigts trempe dans la moiteur de son aisselle, ma paume en pressant le muscle décontracté, écrase les soieries de son aréole et se fait alors légère, un effleurement, une dévotion reconnaissante rendue au trésor sensible qu’elle recèle. Un signal, celui d’une invite.
Ses paupières ont rapidement battu puis ses yeux sont venus s’arrimer dans les miens ; sa main a glissé de ma taille à ma queue flasque pour la débarrasser du vestige de la capote qui l’étranglait encore. Sa joue droite se soulève, se pince d’une fossette et je devine à ses doigts qui s’attardent que ma déroute n’est pas, ou plus, tout à fait complète. Les miens ensorcellent son téton de mille attouchements si infimes et fugaces qu’on ne sait si on ne les a pas rêvés, les siens s’égaillent en franchissant mon nombril, errent et hésitent d’un mamelon à l’autre, s’emmêlant dans ma courte savane.
Doux moment de complicité, jeux de feinte où chacun s’efforce, sans imaginer abuser personne, de dérouter l’autre, de le surprendre. Son genou vient barrer ma cuisse, sa nuque s’incline imperceptiblement, ma main la fait ployer pour que nos lèvres se frôlent, frémissantes, que nos souffles se mêlent, que la pointe de nos langues nous marque, ça et là, d’éphémères touches humides.
Puis, soudain, nos bouches se soudent dans un ronflement de sanglier glouton qui remâche longuement. Il bascule sur moi, pressant lourdement son bas-ventre, insistant, ferraillant, suintant et, d’un coup, se replie pour m’engloutir et lance son bras tendu.
J’ai tourné la tête dans la direction qu’il m’indique. Après en avoir ouvert l’étui d’un coup de dents, j’approche de ses doigts impatients la capote qu’ils réclament en frétillant et me réserve le flacon de lubrifiant. Une noix dans le creux de ma main s’écrase dans sa raie, mon majeur se plante résolument au cœur de la cible en vrillant. Impitoyable.
Il rugit mais parvient à se reprendre pour dérouler la fine membrane de protection sur ma hampe redressée avant de s’effondrer sur le flanc, me tournant le dos. Je ne peux lui faire grâce d’une démonstration de ma science du toucher digital en guise d’acte de contrition, pour compenser la précipitation de ma précédente déroute même s’il m’en coûte de ne pas l’embrocher, sur le champ, à la hussarde, ainsi que le réclame sa croupe en offrande et comme m’y invite une bouffée de mes hormones promptes à m’aveugler.
Mais je résiste et lui déroule une litanie de constellations qui le clouent, le tétanisent, soudain aphone, puis glapissant comme le renard lorsque les mâchoires du piège se referment sur sa patte. Mon torse prend appui sur ses épaules, les enfonce dans le matelas pour empêcher qu’avec ses détentes brutales, il ne se dérobe aux éblouissements que je lui prodigue avec opiniâtreté. Je lèche, tête, mordille sa nuque, son pavillon, son lobe percé de ce petit anneau qui tinte contre mes crocs, lui murmurant :
- « Dis-moi si tu en as assez… si c’est trop fort pour toi ... si tu souhaites que j’arrête … que je ménage ton cœur fragile ... »
Toujours, il proteste, il suffoque mais il proteste. Puis il glisse dans un souffle :
- « Ta queue, je veux ta queue. »
Mais je poursuis, appliqué, insensible à sa proposition et, soudain, il rue dans les brancards. Il enroule son dos, une de ses mains chasse mes doigts, l’autre cherche à s’emparer de ma barre qui chauffe dans sa gaine de latex, pour la guider, maladroitement. C’est dans cette confusion, des éclaboussures de gel, une précipitation brouillonne, ses ronflements rauques que nos planètes s’alignent pour ce lent et presque laborieux forage qui se révèle aussitôt détonnant. Christophe ahane comme l’homme qui longtemps privé d’eau peut enfin se désaltérer et peine à se réfréner.
A ce moment précis, je me surprends moi-même de cette lucidité détachée qui s’empare de moi, de ce soudain accès de maîtrise froide. Est-ce parce qu’il n’est pas « exactement » le type de mec pour lequel je m’enflamme habituellement perdant alors toute retenue ? Je me concentre sur un seul objectif qui devient un enjeu, que ma fidèle bite se consacre à le faire jouir, usant de sa plus ferme turgescence, de ses plus habiles effets, de toute ma patiente expérience d’honnête homme qui ne néglige pas de se ménager pour durer, qu’elle se place humblement au service de son plaisir à lui puisqu’il s’abandonne comme rarement et qu’il me revient de le servir de mon mieux en juste retour de la bienveillance avec laquelle, auparavant, il a non seulement accompagné la précipitation de mon égarement précédent mais également su, ensuite, subtilement me faire enjamber le détachement consécutif à la petite mort, et ça, ce n’est pas rien ! - pour rallumer, entre nous, un désir qui, maintenant, se débride. Ou est-ce sa constance qui l’a exacerbé ?
L’enchaînement presqu’automatique des caresses, parfois rudes, des baisers parfois carnassiers que je lui dispense et qui, chaque fois, le sidèrent, le déconcertent, le maintiennent en apnée, grisé, sans qu’il puisse reprendre suffisamment pied pour leur résister, leur ajustement, leur précision qui use avec un a-propos diabolique des faiblesses qu’il m’a lui-même dévoilées, de ses tétons qui le mettent au supplice et le font gémir, tout cela me réjouit, c’est digne de cet accord parfait entre cavalier et monture, quand les aides du premier n’interviennent que pour confirmer une intention que, par sa finesse, la bête a anticipée, dont elle attendait le signal et à laquelle elle cède avec entrain.
Bien sûr, c’est justement cette prise de conscience un peu présomptueuse qui met fin à ce bref mirage de toute puissance ; une banderille se plante dans mes reins, mes doigts se crispent sur ses chairs et je hoquette, soudain plongé dans le noir.
Et c’est encore une fois sous son regard joyeux que je rouvre les yeux.
- « Pff ! T’es toujours aussi chaud ? J’ai bien fait d’aller boire une bière, moi, ce soir ! »
Il retombe sur le dos, les bras relevés, les mains croisées soutenant sa nuque ; ses aisselles exhalant les vapeurs épicées et piquantes de l’homme après l’effort.
J’ai arraché le préservatif, je l’ai noué et lancé sur le chevet avant de me laisser choir à ses côtés, dans la même posture en poussant un profond soupir satisfait.
- « Je pensais que ton pote barbu et toi étiez venus chasser le jeunot frais et tendre alors j’ai été surpris que tu m’abordes. »
Il roule sur son flanc, embrasse rapidement mes lèvres, me couve un instant d’un regard chaud et joueur.
- « Finalement, on ne s’est pas si mal entendus … tu as soif ? »
Finalement, oui ! On ne s’est pas si mal entendus… C’est bien le sens de ce que me promettait le regard qu’il posait sur moi, tout à l’heure, au bar, un défi qui voulait affirmer la primauté de l’intelligence sur la beauté plastique jusque dans l’amour, et je me félicite de l’avoir déchiffré ainsi.
Nous nous sommes relevés et, en nous dirigeant vers le minuscule coin cuisine, j’ai caressé sa fesse plantureuse, d’une main qui se voulait douce et reconnaissante ; lui a malicieusement ébouriffé la toison de mon torse de la sienne. Nous nous sommes souri comme deux joueurs qui, après avoir disputé une partie acharnée où chacun s'est donné sans compter pour atteindre au meilleur de lui-même, se congratulent chaudement, satisfaits qu'une exigence réciproque leur ait permis de se dépasser.
J'ai tenté un "tu es d'ici?" auquel il a répondu en pouffant.
- "Non. Un simple remplacement, sinon j'aurais cherché mieux que ce trou à rat exigu."
Chacun reprenait le cours de sa vie. Nous avons trinqué comme de vieilles connaissances avant de nous désaltérer.
Je suis rentré aux Chênaies en fredonnant.
Amical72
amical072@gmail.com
"De Pierre à Paul / en passant par Jules et Félicien / embrasse-les tous, embrasse-les tous, Dieu reconnaîtra le sien / Passe-les tous par tes armes / passe-les tous par tes charmes / jusqu'àc'que l'un d'eux, les bras en croix / tourne de l'oeil dans tes bras." avec, d'abord la version qu'en donne l'auteur.
Puis, comme rien n'est indépassable, celle qu'en donne Pauline Dupuy
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