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Chapitre 6 | À la piscine
Je venais de finir mes longueurs et je retire mes lunettes pour jeter un œil à la pendule en retrouvant mon souffle, accoudé à la ligne de flotteurs et il est devant moi, dans cette étroite proximité que la piètre flottaison de nos corps nous impose.
– « je savais bien qu’on finirait par se croiser ! »
Grands dieux, Stéphane ! J’avais si soigneusement évacué l’épisode peu glorieux de la pipe dans les toilettes de l’agence que je n’avais pas songé un seul instant à donner suite à notre conversation mais, selon toute vraisemblance, lui n’en a pas la même lecture. Zut !
Mais il enchaine avec un demi sourire :
- « mais je ne veux pas importuner l’inaccessible Adrien Lecourt qui n’a peut-être pas terminé ses longueurs … »
Je lui jette un rapide coup d’œil qui, vue la moue que modulent ses lèvres bien dessinées, me confirme l’ironie de sa phrase. Piqué, je fais front immédiatement. J’arrache mon bonnet, indiquant que je m’apprête à sortir de l’eau et que je ne me défilerai pas, je le regarde bien en face, nos mentons au ras de l’eau :
- « non, je ne t’ai pas fait signe, mais ne te méprends pas, Stéphane, et n’y vois rien d’autre que mon embarras suite à notre … incartade à haut risque … et je présume que tu n’es pas, non plus, coutumier de ce type d’aventure, si ? »
Gagné ! Il fronce ses sourcils pour marquer sa propre confusion puis éclate d’un grand sourire franc et joyeux :
– « il n’empêche que je n’ai aucun regret, bien au contraire. Et puis cet écart est heureusement resté discret ... »
J’en frémis rétrospectivement, mesurant mon inconséquence, imaginant le scandale si nous avions été découverts et les incidences sur nos carrières et sur nos vies.
- « sortons, s’il te plait, je suis gagné par le froid ! »
Il se laisse couler pour passer la tête sous la ligne et remonte en venant souplement « au contact » puis saisit l’échelle. Je le regarde sortir de l’eau qui ruisselle sur sa peau glabre légèrement dorée, les muscles fermes de ses bras et de son torse, discrètement dessinés, de même que ceux de son cul moulé dans son maillot noir. Il a de fortes cuisses, le corps d’un homme fait, d’un beau quadra qui s’applique à entretenir sa condition physique. Pas comme Toni, qui, lui, est encore un ourson … Toni ! Qui s’impose instantanément à mon esprit.
Lorsqu’à mon tour, j’enjambe le dernier échelon pour sortir du bassin, je le vois me détailler, campé, les mains aux hanches, la serviette sur l’épaule. On se sourit, pas dupes de nos examens réciproques. Provocateur, je l’interpelle d’un mouvement de tête :
- « alors, qu’en penses-tu ? … »
- « Tu es en pleine forme et … tu es aussi poilu que laissent espérer les indices que ton habituel costume ne parvient pas à dissimuler totalement, hmmm, un beau mec à poils ! … et moi ? »
Je ris et m’immobilise. Je le balaie ostensiblement du regard des pieds à la tête :
- « Bien dessiné, des mollets jusqu’aux belles épaules, … rien à jeter ! » Je reprends ma progression et, me rapprochant, je lui glisse : « de plus, j’ai eu un aperçu de tes talents … savoureux ! » Son dos en V laisse transparaitre un corps rompu à l’exercice régulier et sa chute de reins sur son cul rebondi, moulé dans le tissu extensible du maillot, imaginer de belles sessions, disputées et toniques, telles qu’en promettent les étincelles dans ses yeux.
Il penche un peu son buste vers l’arrière, son épaule cherchant à frôler un instant la mienne. Son rire spontané a quelque chose de léger, de celui qui ne se prend pas trop au sérieux. L’atmosphère du lieu, nos tenues de natation, nos échanges prennent la tournure d’une chaleureuse camaraderie décontractée, ce qui l’engage à se dévoiler quelque peu.
- « entre boulot et famille, j’ai besoin d’exercice physique pour garder mon équilibre, me sentir bien dans ma peau ; j’ai la chance de ne pas avoir été trop mal servi par la nature alors je cultive mon patrimoine … et un peu d’indépendance. »
Avec un clin d’œil pour appuyer sa demi confidence, je vois se présenter une occasion de mettre les choses au clair avec lui en le prenant à témoin.
– « J’aimerais … que tu m’honores de ta confiance, Stéphane, si tu permets ? »
Je plante mes yeux dans les siens et je le vois à la fois surpris et curieux. Je n’ai pas envie de couper avec cet homme dont, jusque dans l’exercice professionnel, j’ai pu apprécier les qualités humaines et qui m’est, en outre, sympathique mais, définitivement, je ne veux pas non plus de sexe entre collègues*, même s’il est bel homme et un as de la pipe, car cela ne manquera pas d’embrouiller nos relations. Je décide de tenter de m’en faire plutôt un allié et complice. Et puis, … je crois que je cède également à l’envie de montrer ce truc qui m’arrive et qui me réjouit …
Je le vois opiner légèrement de la tête, attentif mais hameçonné.
- « Alors si tu as encore un moment, viens prendre un verre à la maison ! L’autre jour, tu m’as surpris en plein émoi et tu m’as offert une échappatoire bien agréable mais … et je crois que tu vas comprendre ce qui m’arrive ! »
Bien sûr, je sais qu’une telle proposition ne peut qu’aiguiser sa curiosité. Quand nous entrons dans l’appartement, j’avance de quelques pas. Toni, qui a dû percevoir quelque chose d’inhabituel, passe la tête et je le saisis, l’attire à moi et embrasse sa bouche, dans une manifestation un peu appuyée. Puis je me retourne pour les présentations :
- « Toni / Stéphane, un collègue »
Et je pousse tout le monde dans le salon où j’entreprends de faire barman.
– « Après la piscine, j’ai besoin de me désaltérer, et toi Stéphane ? Je te sers la même chose, Toni ? »
Nous avons parlé de petits riens … et de tout, comparé les agréments de l’appartement en ville près du tram et ceux de la maison avec jardin – oui, mais moi, fils de paysan, je vais souvent à la campagne – et reparlé de balade à cheval. J’ai pris grand soin de solliciter Toni qui ne s’est pas fait prier pour intervenir dans la conversation. Nous avons plaisanté, rit et, quand j’ai raccompagné Stéphane, il m’a souhaité une « bonne soirée » avec un sourire complice et entendu, presque égrillard.
Amical72
amical072@gmail.com
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