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11 | Un petit jeu narcissique
Le récit de Julien –
- "Vous pouvez poursuivre votre soirée en toute quiètude."
Et Lecourt est sorti de la maison pour remonter dans sa voiture. Je rejoins Mehdi avec une pointe de soulagement, celui d'avoir échappé à un imbroglio de boulevard. Assis bien droit, nuque cassée vers l'avant, il semble profondément absorbé dans ses pensées, bien loin du garçon chaud comme la braise qu'il était quelques minutes auparavant.
- "Voilà, tu connais le patron!"
Il hoche silencieusement la tête puis se retourne vivement vers moi, sourcils froncés, oeil douloureux.
- "Et tu n'as pas peur que ... ?"
Je me suis assis à l'autre extrémité du confortable canapé, de côté, une jambe repliée sous moi, un bras sur le dossier, pour examiner son profil buté. Je fais la moue.
- "Il a peut-être été surpris de découvrir que j'ai un invité ... Je te l'ai dit, mes visiteurs sont peu nombreux! Mais, comme tu l'as vu, il n'a manifesté aucun étonnement en découvrant qu'il s'agit d'un homme, nu de surcroît. Je dirai même que son regard sur toi était attentif."
Il a sursauté, les yeux soudain agrandis. Mais quelle situation pense-t-il avoir vécu ?
- "Parce qu'il sait pour toi...?"
Je ne peux réfréner un sourire.
- "Je te l'ai déjà dit. Depuis que je vis ici, on ne me connait aucune compagnie féminine et si Lecourt est marié, il n'ignore rien de mes inclinations et il a quelques bonnes raisons pour celà ..."
J'ai adopté cette voix basse et posée que je sais habituellement apaisante, avec juste ce qu'il faut de sous-entendus. Pourtant, tout à rebours de l'effet escompté, je vois Mehdi se débattre dans un trouble visiblement plus grand encore.
- "Voyons, sois rassuré ! Personne ne te connait ici, ta moto est à l'abri des regards comme te l'a indiqué Lecourt, personne ne viendra t'interpeler."
Il secoue la tête, sourcils froncés.
- "Non, je ne pourrais pas supporter ... les mots, les regards, les ricanements, le mépris, les insultes ... Non, personne ne doit savoir pour moi, c'est pas possible."
J'ai glissé sur le siège, étiré mon bras sur le dossier. Je parviens à toucher son épaule du bout de mes doigts. Il ne se dérobe pas et je parviens à grignoter jusqu'à envelopper son deltoïde de la chaleur de ma paume puis à poser ma main à cheval sur sa clavicule.
- "Tu ne te sens pas en sécurité ici, avec moi ?"
Ma main masse maintenant délicatement sa nuque et l'attire très discrètement à moi. Il n'oppose aucune résistance et s'incline pour venir poser la tête dans le creux de mon cou.
- "Toi, c'est pas pareil. Toi, personne ne peut se douter de rien en te regardant, quand tu marches, quand tu parles. Et puis, t'as un métier, paysan, qui ..."
Il s'est redressé et me regarde, soudain véhément.
- "Et en plus, t'es gentil."
Putain, mais pourquoi sa mère l'a-t-elle fait avec ces yeux de Bambi orphelin, pourquoi lui a-t-elle donné ces lèvres finement ourlées, ces jolies dents blanches sur ce grand corps masculin ...? Pourquoi sinon pour me damner tout à fait? C'est celà!
Il a fermé les yeux et s'est haussé jusqu'à ce que son souffle puis ses lèvres arrivent au contact des miennes, hésitent, me frôlent ... J'articule à bas bruit.
- "Je suis pédé, Mehdi ..."
Il m'embrasse alors comme pour me baillonner, des lèvres et de la langue, véloces, goulues et j'en suffoque. Son bras enserre mon cou et, dans une habile rotation sur le canapé, il bascule en arrière en m'entraînant avec lui. Je perds un peu l'équilibre entre ses cuisses, écrasant soudain sa bite dressée. Je m'en empare d'une main ferme, il rit et me glisse à l'oreille.
- "Pas ici, on peut nous voir. Viens!"
Il m'a pris par le bras et m'attire à sa suite vers la chambre. Décidément, je ne comprendrai jamais comment cohabitent ses audaces et ses interdits mais j'aime trop sa peau douce et son cul pour m'arrêter à ces paradoxes et plus il me semble incohérent, plus j'ai envie de le rassembler pour le contenir dans mes bras.
Une fois dans la pénombre, il se glisse contre moi, la bouche à mon oreille.
- "Je voudrais voir ..."
D'un geste rapide, j'allume prestement le plafonnier et son geste tout aussi vif vient immédiatement annuler le mien.
- "Non! Je voudrais voir ... quand tu me baises, voir ta queue entrer en moi."
Qui est-il, en fait? Il redoute d'être démasqué par un improbable piéton qui traverserait le hameau des Chênaies et l'apercevrait par ma fenêtre, nu, en train de m'embrasser mais il demande à voir ma queue lui défoncer le cul ?
Sa curiosité me déconcerte ... mais je ne me laisse pas désarmer pour autant. Je l'ai happé d'une main et attiré avec moi dans la ruelle. Devant ses yeux ravis, j'ai lentement entrebaillé la porte de l'armoire, celle qui est doublée du grand miroir. En jouant avec l'ouverture, il renvoie notre reflet dans la faible lumière qui arrive du salon par la porte ouverte.
Mehdi semble fasciné, sans doute s'est-il nourri de ces films pornographiques qui substituent des images et des conduites stéréotypées à nos imaginations plus imprécises mais ô combien plus fertiles. A moi de la défendre, de lui offrir une autre proposision, qui nous sera personnelle ... et je dois dire que le défi m'aiguillonne ...
Bras tendus, poings fermés, il a pris appui sur le matelas et recule ses jolies fesses en direction du miroir. Il se redresse sur la pointe des pieds, ajuste sa cambrure jusqu'à découvrir ce pli sous ses fesses, avec sa discrète pilosité et ce triangle de peau plus brune qui s'efface vers le haut entre ses globes contractés.
Je me tiens de côté et d'une main, je parcours son dos, creuse son rein, modifie sa posture quand, de l'autre, je varie l'angle d'ouverture de la porte au miroir. Il se casse le cou vers l'arrière pour détailler son reflet et ses plus infimes changements.
- "Regarde-toi comme moi je te regarde, Mehdi, avec ce désir qui te fait rougir. Contemple ta jolie peau soyeuse, tes belles épaules, ton dos de mec et ces deux pommes épluchées au couteau et taillées à facettes ..."
Tantôt la pulpe de mes doigts trace des lignes légères en courant sur son épiderme, tantôt je le lisse du tranchant de la main ou la chaleur de la paume de ma main le lustre, ravivant son éclat avec une application toute d'affection. Tandis que je souligne son agréable anatomie, il se prend à ce petit jeu narcissique, s'appliquant à faire saillir chacun de ses muscles par d'infimes modifications de position, des tensions diverses qu'il se plait à moduler.
Son visage s'est apaisé, il est concentré et je jurerais qu'il sourit discrètement de satisfaction à l'exercice. Oui, je le trouve joli garçon et le regard que je pose sur lui, parce qu'il est extérieur, devrait renforcer cette estime de soi qui semble quelque peu vaciller chez lui. Ses yeux croisent régulièrement les miens dans le miroir comme pour s'assurer de la permanence de mon soutien.
Je repense au regard que Lecourt portait sur moi au début, le regard d'un homme à la compétence et à l'expérience reconnues, qui ne manquait jamais de m'interroger sur ce que je faisais, sur mes motivations, et, en cas d'échec, sur ses raisons ... Un oeil exigeant mais bienveillant qui m'assurait à la fois de la légitimité de mes actions tout en me poussant sans cesse à m'améliorer.
Bien loin des mises en scène des réseaux sociaux où on ne valorise que de prétendues réussites et où on se congratule réciproquement dans une complaisance facile. "Regarde comme il est réussi, mon gâteau !" "Tu es trop fort!" Or nos succès ne nous apprennent que peu de choses, on ne sait jamais vraiment à quoi on les doit : comment peut-on acquérir une maîtrise ainsi ?
Mehdi a remonté un genou sur le matelas, puis le second, ensuite il s'est redressé, à demi retourné en prenant appui sur mon épaule, le dos vrillé, tandis que, face au miroir, j'encadre ses fesses de mes calins, je les moule, les dessine, les époussette comme on chasse des poussières du col d'une tenue de ville, les explore, les pétris quand il les relâche, les cajole, les boxe quand il les contracte, les érafle de mes ongles, les effleure ... sans cesser d'observer son reflet.
Il s'amuse ! Il sourit et, facétieux, il s'offre ou se dérobe tour à tour à mes caresses et, en même temps, sa prunelle se voile d'un velouté que je connais, son corps s'alanguit, se prète avec de plus en plus de liberté à mes jeux qui se font de plus en plus coquins, à mes touchers de plus en plus précis ; il se laisse petit à petit emporter par ses sensations, ses frissons.
Ma main gauche pèse sur ses reins et la droite glisse sur le toboggan de ses formes. Il est posé en équilibre sur ses genoux écartés et, dans le triangle ainsi dessiné, ma paume se fait chaude et rassurante, glisse à l'intérieur de la cuisse, sur ce poil plus fin, sur cette peau douce dont je sais combien elle est sensible. Elle remonte, enveloppe, effleure. Mon majeur en extension vient au contact de ses bourses. La pulpe de mon doigt suit délicatement le fin bourrelet qui court sur son scrotum et recule ... jusqu'à se poser sur son anus froissé qu'elle épouse, où elle frémit imperceptiblement pour trouver sa place.
Il prend une profonde inspiration, ferme les yeux et il soupire, très lentement, jusqu'au bout, jusqu'à vider complètement ses poumons ...
Puis il soulève ses paupières et son regard cherche le mien. Ce faisant, il se tasse insensiblement sur lui-même, pliant les genoux, cambrant le rein pour venir masquer le bas de son visage derrière ma tête, l'éclat de ses yeux brillant au ras mes cheveux. Dans cette posture, son anus s'est imperceptiblement épanoui, captant mon doigt dans sa légère moiteur à peine entrouverte.
- "Ah, Julien! C'est une chance de baiser avec toi. "
Amical72
amical072@gmail.com
* Un tout petit peu d'info sur le raphé périnéal, cette "suture", plus ou moins apparente chez l'homme, qui court du frein du pénis jusqu'à l'anus. pour mieux connaitre son corps
* Le jeune ténor français, Julien Behr interprète le rôle du prince Sou-Chong, personnage principal de l’opérette « Au pays du sourire » de Franz Lehar créée à Vienne Autriche en 1923. Le titre est une allusion à la coutume chinoise de sourire toujours, quelles que soient les vicissitudes de la vie, afin de « ne pas perdre la face ». « Je t'ai donné mon cœur / Tu tiens en toi tout mon bonheur / Sans ton baiser il meurt / Car sans soleil meurent les fleurs. » Sou-Chong est amoureux !
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