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Agriculteur | S12 La chance

5 | La première manche

Le récit de Julien

- "A nos appétits, Mehdi!"

Enfin! Il lève son verre et les yeux vers moi et je perçois comme un trouble dans la précipitation avec laquelle il a cligné des paupières à plusieurs reprises. Nous trinquons et je laisse mes yeux s'attarder sur lui quand lui les garde soigneusement baissés. J'en souris et je m'en lèche d'avance les babines.

- "C'est très bon, Mehdi!"

- "Vraiment?"

Il a spontanément relevé le nez de son assiette pour s'assurer que mon compliment n'est pas de simple courtoisie et ... découvrant mon sourire, il baisse aussitôt le regard. Mais je lis à la fossette qui creuse sa joue qu'il sourit aussi. Je le regarde chipoter un morceau de pomme de terre de la pointe de sa fourchette, il hausse une épaule et ramène enfin ses yeux dans les miens.

- "Tu m'avais invité à revenir mais ... on dit toujours ça! Alors je ne savais pas si je pouvais ... C'est isolé, il faut faire la route exprès ... Bon, au moins personne ne me connait ici mais on ne peut pas prétexter du hasard d'une rencontre fortuite ..."

Il a ri, un peu faux.

- "Mehdi, connais-tu la différence entre une femme du monde et un diplomate ? ... Quand la femme du monde dit "non", ça veut dire "peut-être"; quand elle dit "peut-être", ça veut dire "oui" et si elle dit "oui", ce n'est plus une femme du monde. Chez le diplomate, "oui" veut dire "peut-être"; "peut-être" veut dire "non" et, si jamais il dit "non", ce n'est plus un diplomate.

Mais pour moi qui ne suis ni l'un ni l'autre, quand je dis "n'hésite pas à me rendre visite" c'est aussi simple que le sens le plus courant des mots employés : je t'attendais."

Il hausse un sourcil comme devant un point à éclaircir, une nécessaire précision.

- "Mais ... tu veux dire que tu pensais à moi?"

Sa question a jailli, spontanée et fraîche, comme l'éternelle interrogation sur la permanence du lien malgré l'absence physique. C'est touchant, infiniment touchant ... Mais je ne veux pas le leurrer, lui laisser entendre plus que je ne saurais lui offrir.

- "Je t'attendais Mehdi. Attendre quelqu'un, c'est entretenir en soi une lueur tremblotante, l'espoir que cette personne que l'on connait peu mais avec qui on a passé de bons moments voudra bien revenir et prolonger le lien ; c'est un pincement agréable, une braise que le temps étouffe lentement jusqu'à son extinction sourde ou ... qu'une visite impromptue ranime. Surtout quand elle s'accompagne d'un bon repas!"

Il saute sur l'occasion, se lève, soudain plein d'entrain.

- "Ce n’est pas fini, regarde ! »

Et dans son gobelet d’aluminium finement plissé, il nous sert une crème caramel cuite avec sa jolie croûte flambée. Il est radieux.

- « Comme celles de ma mère ! » Il hausse les épaules. « En moins bon, j’en suis sûr ! » Il a un petit rire. « Ça, c’est ma moitié bretonne. »

- « Il y a toute l’affection de nos mères dans ces desserts, ces mélanges de lait, d’œufs, de sucre … et de beaucoup d’amour »

En plein dans le mille !

Quand moi, grand paysan quadra costaud et poilu, je renverse le tabou pour exposer mes émotions, sincèrement et ouvertement, je SAIS que j’autorise les autres hommes présents à s’y abandonner. Une des choses qui étouffe les mecs, c’est qu’ils sont persuadés que toute expression de leurs sentiments leur est interdite, qu’elle est LA manifestation d’une évidente faiblesse, de celle qu’on prête aux « pédés ».

Or justement j’en suis un, quelle chance ! Alors entrebâillez la porte devant eux et ils s’y engouffreront.

Je le regarde fondre sous mes yeux, ce joli demi-beur empatouillé dans sa virilité mal maîtrisée, empêtré dans ses mots retenus, coincé par ses désirs contradictoires en retour. Il tente de s’en sortir avec un simple sourire entendu, allusif, sans dire.

Soit ! Poursuivons !

Je me tourne d'un tiers vers lui sur ma chaise, j'étends ma jambe, écartant les pans du peignoir mais sans rien dévoiler, juste une ouverture, une suggestion.

- " Tu as bien garé ta moto sous le hangar? ... Elle ne risque rien, tu peux donc t'attarder autant que tu le souhaites."

Son trouble, sa confusion d'être ainsi clairement deviné sont délicieux. Je parie qu'il redoute que certains termes trop crus soient prononcés. Vite, lui redonner un peu d'air.

- "Tu vas bien me tenir un peu compagnie, tu ne peux pas repartir sitôt la dernière bouchée avalée."

Il a saisi la perche tendue, se lève d'un bond.

- "D'ailleurs, je vais t'aider à faire la vaisselle puisque tu refuses le confort moderne."

Table desservie et nettoyée, je m'approche de lui qui a les deux avant-bras plongés dans l'eau mousseuse, en chantonant : "rien n'est plus beau que les mains d'un poilu dans l'eau d'vaisselle.*"

Je me place de côté et l'envisage des pieds à la tête, attendant patiemment qu'il finisse par tourner la tête vers moi.

- "Dis-moi, quand tu es venu la première fois ..."

Un pas a suffi pour que je sois tout contre lui, à le frôler. Ma main droite se pose sur ses reins, glisse lentement.

- "... Tu n'étais pas autant habillé, il me semble."

Dans le même temps, mon bras s'est enroulé autour de sa taille et ma main gauche a rejoint la droite. Il rit, moitié gêné, moitié encourageant, mais prisonnier de la mousse.

- "Fais attention, voyons, je vais casser ta vaisselle."

Mais mes doigts font déjà prestement cliqueter le double ardillon de sa ceinture puis sauter un à un les boutons du Lewis jusqu'au dernier. Il ne proteste pas, ne s'oppose en aucune façon et la toile rèche s'écroule à ses chevilles. Mes mains s'appliquent sur la douce maille de coton de son boxer, sur ses hanches, le haut des cuisses et retour. Il a soupiré, relevé la tête, menton vers le haut et s'est immobilisé, les mains toujours plongées dans l'eau qui refroidit.

Je m'accroupis et mes mains dévalent le long de ses cuisses, ses mollets solidement chapentés. En soulevant un de ses genoux puis l'autre, j'achève de le libérer de son pantalon que, d'un demi-tour, je dépose sur le dossier d'une chaise voisine. Avec soin. Puis je repose mes deux mains sur son bassin qu'elles encadrent. Avec précaution.

Il est toujours figé, le souffle court, les yeux clos. Je me balance souplement dans son dos, d'un côté à l'autre comme si nous dansions mais toujours sans le toucher, mon expiration court comme une vague dans son cou ... d'un côté, de l'autre ... mon inspiration emplit mes narines de son odeur. Il frémit et j'affermis la prise de mes mains pour lui indiquer de rester ainsi encore un instant, dans ce silence, suspendu à cette attente.

J'étire mon torse jusqu'à peser sur son épaule, mes lèvres à son oreille.

- "Tu veux bien rester?"

Son "oui" est presqu'inaudible et j'insiste, toujours en murmurant:

- "Tu es venu parce que tu avais envie de rester ?"

Son assentiment est encore plus ténu.

- "Je t'attendais, Mehdi."

Insensiblement, mes mains l'ont ramené contre moi, ses fesses contre mon bassin, pour presser, écraser ma queue bandée au rouge contre lui, manifester explicitement le vigoureux désir qu'il m'inspire et auquel je cède avec délice. Tout en même temps, je me courbe sur lui comme une herbe ploie sous le vent, je l'enveloppe, le protége. J'embrasse son cou, sa nuque et, au passage, je mordille cruellement son pavillon. Ses deux mains se sont crispées au bord de l'évier pour résister à ma pression et s'appliquer nous garder étroitement collés.

Sans cesser de parcourir des lèvres et de la pointe de la langue la tendre peau de son cou offert où il me plaît de voir courir des frissons, j'ai détaché une de ses mains que j'ai essuyée avec grand soin, puis l'autre, et je l'ai entraîné à ma suite. Calmement, en souriant intérieurement.

J'ai emporté la première manche et je vais maintenant essayer d'encaisser les gains!

Amical72

amical072@gmail.com

* Claude Nougaro, qui était hétéro lui, célèbre les mains d'une femme (après tout, chacun ses goûts) dans la farine : rien n'est plus beau, rien n'est plus doux ... il s'en lèche les babines

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