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8 | Clébards
Le récit de Julien
J'ai fini par retourner au sauna.
Non que j'aie l'espoir d'y retrouver Mehdi, j'imagine qu'il évite l'endroit où nous nous sommes rencontrés ...
Non plus pour me mortifier, en souvenir de ... Je n'ai aucun penchant pour le masochisme gratuit.
Alors qu'est-ce qui me pousse à revenir ici, à me ceindre les hanches de cette trop courte serviette rèche ?
Sans doute, malgré tout le réconfort que m'ont procuré mes proches, suis-je toujours en quête d'une réponse à cette obsession : quelle est la blessure que, sans le vouloir, j'ai infligée à Mehdi, et qui a bien pû provoquer sa fuite?
Ou, à défaut d'une réponse, ...
En recherche d'un apaisement progressif de ce sentiment de culpabilité, cette certitude d'avoir, même à mon insu, probablement tout gâché. Peut-être qu'en renouant avec ce monde, avec mes semblables qui le fréquentent, en me glissant à nouveau dans cette vie qui est la mienne ... à m'essayer de soigner le mal par le mal ...
Accoudé à l'angle du bar, j'ai commandé une boisson au serveur, celui aux belles fesses charnues et duveteuses qui avait retenu notre attention, à Cyrille et moi, lors de notre dernier passage. Cette fois, il porte un shorty en maille fine qui, s'il ne laisse absolument rien ignorer de son anatomie, efface, hélas, la mousse qui nimbe son cul somptueux. Après avoir déposé mon verre devant moi, il se retourne et s'immobilise quelques secondes pour observer un groupe qui s'agite sans discrétion aucune. J'en profite pour l'interroger sur la cause de cette agitation.
- "C'est une animation de puppy play ... Des clients qui veulent créer un groupe."
Il hausse une épaule désinvolte puis abaisse à demi la paupière pour me signifier d'un sourire que mon regard appréciateur ne lui a pas échappé. Je souris et je lui fais signe d'approcher puis, protégé par ma main en cornet, je lui glisse une confidence à l'oreille.
- "Pour ma part, je trouve qu'un jock-strap valorise autrement mieux tes avantages ..."
Il rit, bon public, puis s'éloigne d'un pas élastique non sans se retourner furtivement pour vérifier que je garde bien les yeux fixés sur ses deux hémisphères aux contractions alléchantes.
Mais le bruit que fait le groupe voisin capte à nouveau mon attention. A sa périphérie, je crois reconnaître l'homme au crane d'oeuf et au sourire mou qui bavait sur Cyrille dans le bain à remous. Cette fois, c'est celui qui semble être le principal animateur qu'il dévore des yeux, une sorte de petit cube lisse et grassouillet qui vibrionne, un masque de chien sur la tête. Il n'est vêtu que d'un short flottant noir et de baskets, son torse nu et lisse étroitement sanglé dans un harnais me fait immédiatement l'associer à un rôti bardé et ficelé, prêt à être proprement embroché.
A sec.
Je m'amuse des yeux exhorbités du dadais hésitant, toujours à lancer des coups d'oeil craintifs alentour, comme si, incapable de penser par lui-même, c'est en s'arrimant au regard que les autres portent sur lui que cet inconsistant trouve les injonctions à agir qui vont déterminer son attitude. Il parait avoir opté pour ce narcissisme qui vous fait membre docile d'un troupeau bêlant derrière ses bergers influenceurs plutôt que pour le long et difficile chemin qui mène à la véritable connaissance de soi, à notre singularité, à la tentative toujours périlleuse de maîtriser notre propre destin pour nourrir légitimement notre amour propre ...
J'avoue qu'à cet instant, je doute qu'il parvienne jamais à surmonter seul son indécision maladive pour tenter quelque chose, ce pauvre nigaud empêché.
Un autre participant à quatre pattes porte un cuissard ajusté qui dévoile, lorsqu'il se retourne ... une queue de chien, probablement en silicone. Je m'en distrais : serait-elle solidement ancrée par un plug pour qu'il puisse la remuer aussi commodément?
L'agitateur principal s'hystérise, sa voix enfle et criaille en grimpant ridiculement dans les aigus tandis qu'il se hausse sur la pointe de ses pieds, ses mains levées papillonnent à mesure qu'il expose sa passion pour ce qu'il nomme "jeu de rôle" où, dit-il bouche pincée, "un humain s'amuse à adopter la personnalité et la mentalité d'un chiot". L'assurance avec laquelle cette crétinerie ronflante est assénée est-elle censée achever de nous convaincre malgré son outrance?
Ainsi, les genoux protégés par des genouillères et les mains par des mitaines, car le puppy reste douillet, se déplacent-ils à quatre pattes, comme des clébards se disputant des baballes lancées par leurs "maitres" dans une piscine gonflable pour enfants.
- "On dit handler" nous précise la diva rondouillette.
Me voilà rassuré! Nous sommes bien loin de l'éthologie expérimentale, de la dangereuse intégration à un groupe de canidés pour une rébarbative étude du comportement animal. Elle pourrait nous confronter à de violents comportements de chasse en meute sanguinaire ou, plus prosaïquement, à des jets d'urine intempestifs sur nos jambes nues pour marquer un territoire ...
- "Non, c'est juste du fun", précise-t-il. Une simple mascarade se voulant gentillette, quoi ... Ainsi, sous couvert de l'innocence qu'on prête – très abusivement!- aux jeux enfantins et qui éloigne d'eux toute responsabilité, ces adultes qui refusent de grandir, portent collier à pointes et, bravement, des masques pour demeurer anonymes. Affublés de la sorte, ils se prêtent à des simulacres de dressage, de domination de pacotille, des exercices qu'ils regardent comme sulfureux alors qu'ils sont soigneusement tenus à distance par la protection de leurs déguisements.
On ne sait jamais, porté par une accès d'enthousiasme après s'être mutellement reniflé le cul, l'un d'eux pourrait griffer ... voire mordre.
Aie! Tu m'as fait mal. Tricheur, va !
Je m'étonne toujours de l'infinie imagination que les humains déploient pour habiller leurs élémentaires besoins organiques plutôt que de les regarder comme tels, de les cultiver, sainement, de s'en réjouir. Mais à trop vouloir en dissimuler l'inconvenance derrière de si piètres oripeaux, je crains qu'ils ne fassent que les refouler en perversité malsaine.
Je suis bien certain que le petit grassouillet sautillant a une belle paire de fesses replètes à la peau lisse et un bel entrain à la monte mais vous m'excuserez de ne pas compter mon chien parmi les objets de mon désir et, encore moins, d'avoir envie de lui bouffer le cul avant de l'enculer.
A cette simple évocation me revient lamémoire de l'odeur ; je ris intérieurement en guise de protestation : non, non, NON !
Des mouvements dans l'assistance ont rapproché le dadais de là où je me tiens. Sans doute sent-il le poids de mon regard, il tourne la tête vers moi. Est-il en quête de mon approbation ? D'un encouragement du regard et d'un coup de menton volontaire, je l'invite clairement, comme il semble le quémander, à passer enfin à l'action. Sans doute un vrai défi pour ce piètre indécis qui existe si peu par lui-même ... Mais il est tellement plus confortable de laisser quelqu'un décider à votre place.
Or, aussitôt qu'il se sent ainsi autorisé, voilà que l'ectoplasme se transfigure en matamore. Bombant le torse, il se met soudain ostensiblement en scène en conquérant. Prendrait-il ce qui n'est qu'un encouragement de ma part pour un signe venu du saint esprit qui transmuterait par magie ses molles aspirations en attestation de compétences reconnues, prendrait-il mon sourire pour un diplôme délivré sans qu'il fasse le moindre effort ? La prétention de l'ignorance !
Dans une rodomontade de fanfaron, il se redresse en poussant fièrement sa mandibule prognathe, affectant un rictus bravâche de pseudo bouledogue dominant. Pourtant, je suis prêt à vous ficher mon billet que ce mollasson immature se fera bouffer tout cru par cette pèpette capricieuse et imprévisible.
Car cette mâle assurance de pacotille n'est que de façade, elle est à peu près aussi vraissemblable que l'autérité proclamée par la robe de bure d'un certain éclésiastique dont chacun sait qu'elle recouvre de délicates culottes de soie. Sans doute constitue-t-elle une de ces illusions dont il se soutient, sans jamais prendre le risque de chercher en rien à les réaliser de sa propre initiative - surtout pas! tant il semble être un de ces velléitaires paralysés à la perspective de l'échec. Il y semble pourtant prédestiné, ne se donnant pas les moyens de ses ambitions.
Non! A dire le vrai, je suis assez effaré que des adultes se réunissent pour s'adonner en public à des activités aussi grossièrement simplettes, la maladresse indigente de ce travestissement réducteur ne parvient pas à masquer leur véritable motivation. Les bras m'en tombent de lassitude.
Je connaissais déjà celles et ceux qui, ivres de ce qu'il prennent pour de l'autorité, imaginent pouvoir contraindre le monde à marcher à leur pas, à se plier à leurs désirs, ceux à qui la soupe chaude est due sitôt qu'ils ont faim, dont l'épouse se doit d'ouvrir des cuisses humides à la première piqure que leur inflige le diable polisson, pour qui la route se doit d'être dégagée dés que, derrière sa calandre agressive, leur grosse cylindrée rugit et pour qui le silence s'impose d'un claquement de doigts aussitôt qu'ils ont quelque message forcément d'importance à délivrer.
L'homme dispose désormais d'outils terribles qui le rendent tout puissant ... il en oublie qu'il n'a que ses petits poumons fragiles pour respirer et que la moindre fumée le fait tousser.
Sans compter ceux qui se drapent dans l'indignation de voir bafouer leur droit légitime à voir leur moindre de leurs désirs comblé au nom d'une égalité qui les dispenserait du plus petit effort pour le conquérir.
Mais voilà que je cotoie ici ceux qui s'infantilisent volontairement, se soustraient à la réalité en lui substituant un monde artificiel et puéril à leur convenance, une bien pauvre construction aux matériaux rudimentaires, à laquelle la dénomination de "jeu" prétend attribuer l'excuse de la légèreté alors qu'elle n'est faite que de misérables marionnettes, de clébard en plastoc se disputant une baballe sur laquelle faire leurs dents de lait, des quenottes.
Bien entendu, sous un dehors souriant, en bons enfants-rois, démiurges de droit divin, ils édictent seuls les règles et, si jamais elles ne leur conviennent plus, ils trépignent puis les modifient commodément à leur gré.
Et si la vraie intelligence était plutôt dans notre capacité à lire le monde qui, il faut bien le reconnaître, est rarement tel qu'il le devrait, pour nous y fondre en sachant judicieusement adapter nos comportements sans pour autant renier ni nos idéaux ni notre expérience ?
Je note d'ailleurs que certains spectateurs, d'abord intrigués, se sont maintenant retirés, prudemment, à distance du groupe. Il est toujours gênant de voir des gays intégrer volontairement cette suspicion salace de zoophilie, une parmi les plus homophobes qui soient, offrant ainsi matière à alimenter le venin de nos plus radicaux contempteurs.
Mais une main me tape sur l'épaule.
- "Salut Julien!"
- "Tiens ... salut, toi."
Amical72
amical072@gmail.com
"si la race des cons / n'est jamais éteinte / c'est qu'la mère des cons / est toujours enceinte" Pierre Perret chante « la mère des cons »
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