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9 | Entre noir et blanc
Le récit de Jérôme
C'est bien lui. D'une main, je lui tape sur l'épaule.
- "Salut Julien!"
Assis sur son tabouret, ses solides cuisses poilues, écartées à l'équerre m'ouvrent la perspective d'un triangle plus sombre sous la serviette blanche nouée autour de sa taille et qu'elles tendent ...
Et soudain, ma pensée me déborde et m'entraîne ...
Du plus lointain de mes souvenirs de petit garçon, je me vois en train de courir, de sauter, d'escalader, inlassablement actif et tonique, épuisant mes parents. C'est sans doute ce qui m'a forgé ce corps râblé aux muscles ronds. Mon truc, c'était le ballon et, au collège, l'initiation au hand-ball fut la révélation. Un sport de contact, rapide et haletant, que je poursuis au lycée et en club.
Et puis, il y a cette porte de vestiaire ouverte par inadvertance, ces deux mecs qui se détournent. L'un évite mon regard, l'autre au fin sourire ironique accroche le mien. J'en reste ébahi.
Et, depuis, je l'observe, de loin, avec opiniatreté. Aimanté.
Jusqu'à ce moment improbable où, me croyant seul à la douche, je passe devant une cabine et le découvre se savonnant avec application. Moi, pétrifié et lui qui se détourne à demi, non sans me laisser entrevoir son sceptre brandi avant de le dérober à ma vue.
Mais son regard m'a harponné et j'ose. Je le rejoins, hypnotisé.
Ses grandes mains m'enveloppent, me dirigent fermement, me disposent face à la faïence blanche. Et là, sans un mot, il me caresse les fesses, creuse mon rein, me doigte souplement au savon puis, pliant ses cuisses, il se positionne et m'envahit lentement. Un bâton de feu qui me soulève et m'écartèle jusqu'à un bref déchirement, aigu, assourdissant.
Puis, bientôt, la douleur s'estompe ; elle s'efface et, rapidement, son va-et-vient chaud, d'évidente mécanique régulière, m'étourdit et, soudain, m'éblouit violemment. Ses grognements, ses saccades, ce flux qui me remplit. Son murmure de satisfaction convaincue quand, après avoir touché ma queue en m'inventoriant, comme distraitement, à tâtons, il ramène sa main pleine d'une sève épaisse. La mienne. La cascade de son rire condescendant, alors. Ma docilité quand, d'une claque sur la fesse, il m'expédie me laver dans ma propre cabine.
Une fois seul dans mon recoin de faience, mes doigts s'aventurent, explorent, me rassurent sans parvenir, pourtant, à me procurer ce même envol en apesanteur féérique. Mais je les renifle, les lèche. Rapidement d'abord, puis, en fermant les yeux, ...
C'est le noir dans ma tête.
Je suis devenu une ombre obtinée. Présent au moindre entraînement, dans les vestiaires, au gymnase, lors des matchs. Je me fais omniprésent, surgissant toujours là où on a besoin, toujours disponible, discrètement secourable et judicieusement placé. Accro ... mais à quoi?
Lui, son apparence d'absolue indifférence.
Cette fin d'après-midi solitaire à traîner et, soudain, il est debout devant moi et, déjà, j'ai capitulé. Son sourire s'épanouit, il hoche la tête, me houspille vers les sanitaires jusqu'à la dernière cabine. Je me place de moi-même face au mur, les mains en appui, le souffle court, le cul pointé. Ses mains me pelotent, sa boucle de ceinture cliquète, quelques froissements, un raclement de gorge et son doigt humide de salive me perce. Un peu d'agitation pour me disposer à sa convenance et, aussitôt, ce barreau chaud, dur entre mes fesses. Je ferme les yeux dans une sorte de prière, je suis sourd au monde, je pousse.
Son coup de rein chasse tout l'air de mes poumons et cet apaisement ... Il est bien pour moi, en moi, il me remplit, me goinfre, me comble. Il jouit rapidement dans un soupir grinçant. Je m'effondre à genoux en faisant volte face et ma main s'empare de cette queue libérée, demi molle, encore chaude, poisseuse, à la fine peau douce. Je l'aspire, je la tête fébrilement, la ventouse éperdûment.
Il m'a laissé faire puis, soudain, il m'écarte de la main. Sans brusquerie mais fermement. Se rajuste en souriant. Il tourne les talons sans un mot. Juste ce sourire. Et je reste à genoux dans cette cabine à me faire frénétiquement jouir, puis encore, plus tard, ... fort de ce souvenir.
Désormais, il lui suffit d'un signe et j'abdique toute volonté pour accourir et renouer avec ce vertige.
La chance d'embarquer dans le car pour ce déplacement éloigné. Ce match à enjeu est rude et moi je joue les utilités. La défaite, d'un cheveu, parait un coup du sort, injuste! Les vestiaires puis cette troisième mi-temps bruyante et rageuse, l'alcool qui nous embrume tous, moi compris, ses yeux durs m'intiment l'ordre d'aller ... là-bas, plus loin dans le noir, où il me rejoint. Sa précipitation, son impatience, son coup de rein rageur, son pilonnage sauvage ... quand deux autres yeux m'observent. Il jouit dans un râle, se retire, me retourne pour que je le nettoie. Deux autres mains sur mon cul. Il me flatte la joue comme on gratifie un bon chien fidèle.
- "Je te le laisse."
Putain, un deuxième assaut direct, cette suffocation, une deuxième dose, la découverte d'un autre goût ... le grand huit sous vodka ! J'en veux encore. Plus.
Mais, dans le même temps, dans ma classe, cette grande fille, Béné. Elle n'est pas celle qui se veut la plus féminine, le visage presque sans maquillage et les cheveux courts. Elle n'est pas, non plus, la plus évidemment courtisée, mais elle a ce rire clair, cette allure, cette assurance aussi. Alors tous les garçons la convoitent en secret sans savoir comment faire ... elle affiche ce sourire radieux qui désarme toute tentation de geste déplacé.
Pourtant, c'est à moi qu'elle propose "de passer chez elle". Et me voilà, penaud, emprunté, qui sonne à la porte du pavillon de ce lotissement. Elle me fait entrer, m'informe que ses parents ne sont pas là, glisse son bras sur mon épaule, toute proche, perd sa main dans mes cheveux. Putain, je me suis même pas peigné !
Elle me sourit, m'entraîne avec elle, me murmure à l'oreille.
- "Tu veux bien le faire avec moi?"
Et elle rit.
Je me sens ... démuni, presque "attardé", alors, comme un pantin, je la laisse me guider à son rythme. Sa bouche a le goût de menthe, ses seins sont hauts et fermes et je les caresse, puis je les embrasse, puis je les dévore. Une fièvre. On a dégraffé nos pantalons, fait tomber nos sous-vêtements et nous nous accordons dans une glissade, là, sur le grand canapé. Une houle nous porte. Elle a poussé un cri, comme surprise et s'est tendue. Je suis Zeus sur mon nuage, triomphant, lorsqu'une pince serre brutalement mon rein, me jette en avant, au profond d'elle.
Elle a blotti sa tête dans le creux de mon épaule, s'est agrippée étroitement à moi, des deux mains, jela soutiens de mes bras et j'écoute son souffle court s'apaiser lentement. Elle se détend et, tout en gardant nos jambes emmêlées, elle écarte son visage du mien pour me considérer en souriant.
- "Je le savais que tu es gentil."
Puis nous nous rhabillons, simplement, et occupons le reste de l'après-midi selon nos habitudes ordinaires, échangeant nos écouteurs pour croiser nos musiques, riant spontanément, insouciants comme "avant", comme si de rien.
Toute la nuit, je suis partagé, incertain. Je me réveille en sursaut avec cette question : Que voulait-elle? Le lendemain, je redoute le moment où je vais la retrouver, certain qu'elle ne me connaitra plus, assuré d'être redevenu transparent à ses yeux.
Mais elle vient droit sur moi, pose sa main sur ma joue. En appuyant. Elle m'embrasse sur l'autre. Sa main s'attarde quelques secondes ... elle me regarde en souriant. Je suis l'élu des dieux.
Et ma vie se déroule ainsi : le hand à fond, la troisième mi-temps, les beuveries, le noir puis les bras de Béné qui ne s'étonne pas que je sente fort l'homme. Le grand écart. Noir et Blanc.
Une seule ombre au tableau, mon échec en STAPS. Je choisis de me reconvertir en éducateur quand Béné, elle, achève sa formation d'infirmière.
Le premier job, le premier appart en commun, la première grossesse. Que du blanc, nivéal, éclatant!
Pourtant, rien n'y fait. Alcoolisé, je pars toujours en vrille. Dans la nuit, noire.
C'est un fils. Et aussi la première nuit où je découche. L'obscurité totale. J'ai bu, ensuite, je ne sais plus où je suis allé traîner. Je reprends connaissance dans la voiture et le froid du petit matin.
Au retour de la maternité, je me forge une résolution, tire un trait sur les sorties, me mets au VTT en solitaire. Béné est à nouveau enceinte. Je bosse et je la seconde de mon mieux à la maison. Régulièrement, je m'échappe pour me défouler à fond les gamelles sur les chemins en forêt. Nous avons un second fils et c'est super. Certitude du blanc.
Puis un soir, je m'arrête en rentrant du boulot. Sans songer à plus. Juste pour prendre un verre.
Après tout s'est enchaîné, je ne sais plus. Absolument noir.
Mais j'ai une certitude, lors d'un de ces naufrages, c'est Julien qui m'a récupéré vautré dans mon vomi.
* That's me in the corner / C'est moi dans le coin / That's me in the spotlight / C'est moi sous le feu du projecteur / Losing my religion / Perdant mes moyens / Trying to keep up with you / Essayant d'être à ta hauteur / And I don't know if I can do it / Et je ne sais pas si je peux y parvenir" le groupe R. E. M. - (Perfect Square '04) Losing My Religion
Amical72
amical072@gmail.com
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