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18 | Cette nouveauté – Le récit de Joris
Le jeudi suivant, je les retrouve pour le thé.
Impatient de savoir qui je vais trouver et quels émois je vais connaître et partager.
Quand je les découvre, Mustafa et lui sont assis sur la natte autour du plateau de cuivre, symétriques : pieds nus, une jambe étendue, un bras en étai vers l’arrière, l’autre retenant la seconde jambe à l’aide d’un avant bras à la manche enroulée crocheté à l’angle du genou.
Leurs peaux dévoilées, mates et velues ici, fines et nacrées sur le dos du pied posé à plat, me font l’effet de puissants aphrodisiaques.
Quand je reviens près d’eux sanglé dans le nouveau jock que le patron a choisi pour moi, je lis dans les yeux du fripier la fierté de l’entraîneur qui dévoile son meilleur cheval sur le paddock avant la course et, dans ceux de son hôte, une concupiscence qui bloque sa déglutition.
Les bras se dressent, s’ouvrent, m’appellent entre eux deux, les mains m’enveloppent, me guident, s’attardent alors que je prends place, sur cette natte où je n’avais pas été admis le jeudi précédent.
Si les échanges s’installent entre eux dans cet idiome qui m’est totalement étranger, ils s’accompagnent d’explorations, de palpations, de cajoleries, de regards qui me semblent autant de flatteries anticipant la dégustation.
En habitué, sa grosse patte lourdement baguée d’or empoigne ma fesse, la pétrit souplement, la tapote en camelot convaincu de la qualité de son offre, faisant l’article auprès du chaland puis elle se tend vers le barbu, paume ouverte vers le plafond, doigts joints et tendus, en hôte attentionné, pour lui proposer d’éprouver pareillement la marchandise à son tour.
D’une légère tape sèche, il m’enjoint de prestement me retourner afin d’offrir ma croupe à cette main avide qui s’empresse de profiter de l’aubaine quand, ayant bien volontiers basculé mon séant du bon côté, je mets désormais mon téton gauche à la libre disposition de son imagination, le droit étant toujours sensible, ou encore ma bouche que j’humecte d'avance, impatient d’entamer avec lui le festin promis, d’y entraîner Mustafa à la suite, pour nous goberger joyeusement, banqueter sans remords et nous bafrer jusqu’à plus faim, nous épuiser de volupté, nous ...
Mais ses doigts ne viennent que distraitement étirer mon mamelon, son attention apparaît concentrée ailleurs ; sous ses sourcils froncés, son regard passe par dessus mon épaule pour épier, derrière l’affichage d’un sourire bienveillant, ce que fait « son frère ».
Bien sûr, je vais découvrir la queue de Mustafa et comparer les deux offres, suçant l’une puis l’autre, la première plus brune, impeccablement débarrassée de tout poil, légèrement recourbée en trompe de chasse et au goût plus prononcé, mais ceci n’est pas pour me déplaire !
Naturellement, Mustafa aura la priorité pour me percer le cul et me donnera un aperçu de son coup de rein sec et précis avant que je ne retrouve l’antienne mécanique du moustachu.
Pourtant, à aucun moment ils ne cesseront de s’observer, concurrents vigilants plus que frères de débauche, ne prenant d’initiative que préalablement avalisée d’un signe par l’autre, calquant poliment leurs assauts sur ceux de l’autre, mesurant prudemment leurs entreprises à l’aune de celles de l’autre, se gardant bien de s’abandonner à toute spontanéité suspecte qui pourrait les démasquer, -imaginez-vous qu’on se mette à les regarder comme des … des quoi, déjà ?- ne cessant de se réfréner, veillant par dessus tout à ne pas ouvrir ni à une rivalité, ni à une surenchère par une quelconque fanfaronnade impromptue, pour qu’il n’y ait ni vainqueur ni, surtout, un vaincu, humilié de se voir infliger une blessure d’amour propre, un accroc à son honneur de mâle qui doit, qui VEUT rester au-dessus de tout soupçon.
Une baise comme un traité de non belligérance réciproque, une ode confirmant leur virilité, signée sur mon dos, à mes dépens quand j’attendais des frissons redoublés, le vent du grand large, l’audace de l’inconnu.
Une baise pourtant efficace mais … fade et décevante, sans l’aventure de ces excès suffocants qui ont fait tout le sel de ces parties échevelées dans la réserve, sans ces éblouissements thermonucléaires, une baise quasi hygiénique dont je suis l’instrument plus que l’enjeu.
Pourtant, moi-même, je me garde de les bousculer, d’ébaucher le moindre geste, d’inviter au plus petit dérapage, me bridant, me brimant de peur de tout gâcher ; et me détestant de le faire comme je les ai détestés, eux, quand, tour à tour, l’un m’invite dans le creux de l’oreille à le suivre ailleurs après cette partie et l’autre me glissant de rester pour une seconde manche comme il sait que je les aime.
Un trio raté !
Évidemment, j’ai obtenu mon content de suffocations, ce n’est pas en vain qu’on ne se fait pistonner en relais par deux hommes fleurant bon la testostérone et qui tiennent à confirmer leur réputation, mais, ensuite, si amèrement déçu, j’ai rapidement quitté la réserve.
Quelle occasion manquée, j’en fulmine encore et je m’en veux de n’avoir pas pu - ou pas su - briser le cercle des conventions qui nous a enfermés.
Alors, lui !
Quand j’ai pris mon poste dans cet établissement spécialisé, ce costaud frisé qui m’a tapé dans l’œil dés que je l’ai vu et que je pensais inaccessible, voilà qu’il répond à mes avances, tranquillement, en homme qui s’assume ; je mesure pleinement ma chance.
Quand il m’étreint, constamment souriant, chaleureux et très à l’aise, qu’il m’embrasse, me suce dans un échange mutuel, qu’il m’embarque dans un de ces rares rounds où je m’écarte de ma disposition spontanée de réceptif, je n’en reviens pas.
A baiser avec Jérôme, je ne peux m’empêcher d’établir une comparaison entre lui … et le patron de la friperie, l’homme à l’épaisse moustache. Avec l’un et l’autre, c’est le même éblouissement, les mêmes vertiges qui me suffoquent pareillement, un tourbillon de sensualité identique qui me fait éperdument tournoyer en apesanteur …
Mais l’ingrédient qui venait pimenter ces folies d’avant, les mystères qui entourent cet homme ogre dont j’ignore jusqu’au nom et que je n’ai pas voulu percer, ce frisson d’interdit, de clandestinité, cette vigilance pour ne pas me laisser broyer dans ce rapport de conquête et l’excitation qui en naît, le tremblement de mes craintes, cette évaluation de notre rivalité qu’une vague inquiétude rend constante, tout cela a disparu avec Jérôme au profit d’une sensation de générosité et de libération solaire qui me remplit les poumons d’air des cimes, allume des paillettes dans mes pupilles, creuse mon ventre, relance sans cesse mon désir, alimente mon envie de tout lui conter par le menu, de chercher le contact de sa peau pour y frotter la mienne, me rend absolument … joyeux.
Mon rire fait naître le sien.
Son aisance corporelle, son naturel fluide, cette réciprocité qui m’établit en égal, cette gentillesse, ces attentions à l’autre que leur spontanéité fait paraître sincères … tout cela m’ouvre à un mystère de liesse … auquel je n’ai pas vraiment accès. Ou, peut-être, pas encore.
Je me pince, je suis déconcerté ; marqué, ébranlé par la rencontre, par cette réalité complexe à la fois simplissime et extraordinaire … mais, oui ! Totalement décontenancé, presqu’effrayé par cette nouveauté ; alors je me retiens.
Car cette tendresse n’est-elle pas à double tranchant ? Quelle souffrance recèle-t-elle potentiellement ?
Je l’examine avec curiosité cependant, mais je m’en garde prudemment à distance.
Ainsi, ça existerait comme ça aussi ! Entre deux hommes, l’ivresse de la chair pourrait également s’enrichir de la communion de deux esprits bienveillants l’un pour l’autre. Est-ce possible que ce doit aussi simple et aussi limpide que ça ?
Je n’en reviens pas, non, je n’en reviens toujours pas.
Alors, je me méfie.
Amical72
amical072@gmail.com
Par Charles Aznavour « On perd en l'éclair d'un instant / La notion du lieu et du temps / Et l'on oublie ses embêtements / Pour faire une jam
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