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6 | Une autre bière – Le récit de Julien.
Je retrouve Jérôme au Bar à Thym où nous prenons nos habitudes depuis quelque temps. Il est encore tôt et, quand j'arrive, une odeur aigre et froide flotte dans la salle. Mon ami barbu, accoudé à une sellette haute, me fait un signe de bienvenue avec le bras. Je commande au bar trente-trois centilitres de blonde dans un verre tulipe, cette contenance bien française et mon porte monnaie découvre avec plaisir que c'est "happy hours" jusqu'à vingt heures.
Ma bière à la main, je traverse la vaste pièce peu éclairée. La clientèle est encore clairsemée, quelques étudiants qui s'apostrophent joyeusement. Je rejoins Jérôme et nous nous donnons l'accolade en nous embrassant comme des frères, dans cette proximité corporelle qui marque désormais chacune de nos retrouvailles puis nous évoquons familièrement notre quotidien ; de temps à autre par dessus mon épaule, Jérôme balaie l'espace du regard en souriant.
Je suis bien, heureux d'être en sa compagnie, et tout autant de cet environnement urbain qui rompt avec le calme de mon quotidien solitaire puis, les premières gorgées de bière remplissant leur office, je me dirige vers les toilettes.
Quand la porte s'ouvre à nouveau derrière moi, m'apportant une vague de brouhaha, un réflexe rapproche mon bassin de la porcelaine. Un bref coup d'oeil en biais me permet d'apercevoir une silhouette masculine. Je continue de me soulager et, relevant le regard, j'en croise un autre, vif, dans le miroir au-dessus le lavabo, sur le côté. Il parait m'observer et me retient le temps d'un rictus de courtoisie convenue.
Mais cette présence immobile ramène encore mes yeux au reflet, le quittant précipitamment pour tenter de jauger celui dont je m'aperçois qu'il m'examine ainsi indirectement d'un oeil malicieux, un jeune homme pas très grand, noyé dans un informe sweat foncé et siglé, visage avenant sous ses cheveux en désordre.
Ma mixion terminée, je me rajuste, le remballement s'accompagnant d'une puissante inspiration qui me redresse en soulevant mes épaules.
Ai-je bien vu? Mon attention se met brusquement en alerte ; j'ai nettement perçu un signe de tête qui, manifestement, semblait être une invitation. Un claquement retentit dans mon dos et, à la bouffée d'air frais, je comprends que c'est celui de la barre d'appui de la porte qui donne sur la cour intérieure utilisée en terrasse aux beaux jours.
Mon buste pivote, le jeune homme se tient dans l'entrebaillement, déjà partiellement avalé par la pénombre extérieure, me harponnant du regard, m'entraînant par l'inclination de son corps.
Une impulsion irréfléchie en réaction me fait le rejoindre en deux enjambées et le battant claque sèchement derrière nous en même temps qu'une main déterminée s'applique sur ma braguette. Son propriétaire esquive les miennes qui tentaient de la saisir en se cassant en deux et s'active à libérer à nouveau ce qu'il y a un instant, j'emprisonnais derrière des barrières de tissus et de boutons.
Dérisoires et allègrement abaissées.
Aussitôt englouti.
C'est immédiatement doux, tiède, humide et fluide. Grisant.
Comme est fascinante ma disposition naturelle à encourager toute fellation digne de ce nom. Instantanée ! L' air extérieur a beau être frisquet en cette fin novembre, l'obstacle est balayé, véniel.
Je me fais sucer la queue et, putain, j'aime ça.
Le garçon s'acquitte de sa besogne, ma foi, fort honorablement ; mes mains se trouvant pleinement occupées à retenir l'un et à retrousser l'autre de mes vêtements afin de lui octroyer la plus grande latitude d'action pour me dispenser ses gâteries, je ne soutiens ses efforts que d'un modeste mais régulier balancement antéro-postérieur du bassin quand lui se livre à des variantes et ornements qui paraissent dénoter une pratique soutenue de l'exercice. Je me sens, car j'en ai fermé les yeux ! tour à tour léché, sucé, têté, aspiré mais aussi palpé, pressé, cajolé, astiqué ... avec un enthousiasme gourmand et un entrain de bon aloi qui requinquerait même un désespéré qui était décidé à en finir.
En finir, justement, ce n'est pas d'actualité. Car s'il est une pratique qui me régale sans que j'y succombe rapidement, c'est bien la pipe. Je souris intérieurement en m'interrogeant sur l'endurance de l'inconnu qui me la prodigue activement : est-il VRAIMENT un suceur de fond ? Je suis bien déterminé à épuiser toutes les ressources de cette proposition aussi généreuse que spontanée sans garantir, pour autant, de parvenir à le gratifier de plus que de quelques écoulements pré-séminaux.
Raté ! Une irruption bruyante dans le local d'aisance voisin dont ne nous sépare qu'une porte trop aisée à ouvrir provoque sa débandade -mais pas la mienne ! Silhouette sombre, il se carapate en direction du bar en crachotant, disparu, envolé, volatilisé ! Il m'abandonne ainsi en plein air, la queue raide et dégoulinante de salive et il me revient de m'appliquer laborieusement à la remiser confortablement. Pfff! Je crois que je ne le reconnaîtrais pas si jamais je songeais à lui reprocher de ne pas avoir rangé le matériel personnel dont il a pris l'initiative d'user sans avoir, préalablement, "recueilli mon consentement".
La séquence, pour inopinée qu'elle soit, m'a laissé d'humeur guillerette mais quand je rejoins Jérôme qui veille sur mon verre aux trois quarts vide, si je le vois souriant je le devine, cependant, piaffant d'impatience contenue.
- "Je vais te laisser poursuivre seul la soirée, si tu permets."
D'un simple et discret balancement des yeux, il m'a indiqué la direction de la sortie et j'y détecte un petit lapin rablé comme il les affectionne qui semble l'attendre en le couvant du regard. Jérôme et moi échangeons un sourire entendu et il va retrouver son gibier avec qui il quitte les lieux.
Considérant ma triste bière, maintenant éventée, dans le fond de mon verre, je me dis alors que je vais sagement rentrer aux Chênaies mais en relevant brusquement les yeux, voilà qu'ils croisent un regard qui pesait sur moi et se détourne dans un mouvement précipité marqué de gêne qui ramène un sourire sur mes lèvres.
J'ai bien mérité une autre tournée.
Amical72
amical072@gmail.com
"car aujourd'hui, c'est saugrenu / sans être louche, on ne peut pas / serrer la main des inconnus / on est tombé bien bas, bien bas" une version en public (de 6'12) par le grand Georges Brassens "la rose, la bouteille et la poignée de main"
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