Premier épisode
Chapitre 2 | Embuscade
J’ai toujours rechigné à partager mon lit.
Très jeune, dans la grande maison des Chênaies, j’ai eu « un grand lit ». J’y flotte, suspendu, sans jamais en atteindre les bords ni m’y heurter, libre de mes mouvements dans l’espace infini de la toile sèche et tendue, comme lorsqu’on nage en pleine eau, libre. Je peux m’étaler en étoile, offert à la nuit, ou me recroqueviller entre mes oreillers rassemblés comme des remparts contre le noir, le froid, ces craintes ataviques …
Plus tard, quand j’ai ramené des amants chez moi, je les ai toujours courtoisement mais fermement reconduits à la fin de nos ébats, puis je changeais les draps pour retrouver la fraicheur lisse du nid de mes nuits solitaires, que je n’avais aucune envie de partager.
On se pense « différent » des autres, c’est une illusion.
J’ai rapidement pris l’habitude de dormir avec Toni. Désormais, je ne parviens plus à sombrer dans un sommeil profond qu’il n’ait rejoint le lit et que nous ne nous ayons souhaité mutuellement bonne nuit. Et réciproquement, il me semble. Nous nous endormons le plus souvent, en cuiller ; lui, le plus petit, replié entre mes bras, je relève mes cuisses jusqu’au contact, sous les siennes, nos jambes emmêlées, ses fesses reculées vers mon bas ventre et moi, le front posé entre ses omoplates. Imbriqués.
Si d’aventure je me réveille la nuit, la simple conscience de son contact me rassure et je me rendors aussitôt. S’il n’est pas blotti contre moi, je lance un bras pour m’assurer de sa présence, je guette sa respiration et j’accorde le rythme de la mienne sur le sien afin de re-sombrer paisiblement. Je suis complet.
A l’approche du matin, nous nous retrouvons dans notre demi-sommeil, entremêlant bras et jambes en désordre dans l’attente du déclenchement habituel de la sonnerie. Moment de demi-conscience, dernier partage des douces moiteurs de la nuit.
Émerveillement.
Depuis les grandes forêts sous-marines sombres que je traverse toutes les nuits, nageur infatigable des profondeurs nocturnes, parmi les hautes colonnes rubanées de kelp, ces enfilades de longues algues brunes protégeant d’éblouissantes richesses lumineuses et inattendues, je ramène, entre mes bras, ce corps plein, chaud, embrumé de sommeil, ce témoin du quotidien mais miraculeux réveil à la vie, et je sais combien la pleine conscience de cette constante-là m’est devenu précieuse et ajoute à mon existence.
Il peut bien, ensuite, ronchonner ou trainasser en me mettant en retard, ce qui m’irrite irrépressiblement, rien ne parvient à effacer totalement le fonds de joie profonde qui pétille en moi : celui de rapporter une autre vie au jour, dans mes bras, chaque matin. Un printemps.
– « bonjour Toni, as-tu bien dormi ? »
Et pour toute réponse, il m’attire sur lui en tirant sur mes bras pour s’y enrouler, sans un son. Mais je lui pique un bisou au hasard et me dégage : sitôt réveillé, j’ai le besoin de mordre dans la vie, de me raser pour ôter les peaux mortes de la nuit, de me frictionner sous le jet d’eau chaude, de m’engager dans l’existence, y compris le dimanche. Alors, m’équipant selon le temps, je vais jusqu’à la boulangerie, chercher ce pain croustillant sous les dents, à la mie souple et aérée. Je m’en régale au petit déjeuner.
A mon retour, rien ne bouge dans l’appartement. Cédant à mon impatience joyeuse, je me déshabille et me glisse vivement sous la couette pour rejoindre un Toni dont je n’aperçois qu’une touffe brune et frisée et un bras rond relevé, découvrant le toupet sombre de son aisselle. Il sursaute, proteste, se cantonne dans les draps pour se garder de mes contacts marqués de la fraicheur extérieure. Pourtant, il me semble que lui-même … Il rit :
- « je me suis douché mais comme tu étais sorti, je suis revenu t’attendre au lit »
Je repars à l’assaut immédiatement avec un ronflement de moteur diésel quand lui n’a que son rire à m’opposer. J’ai rapidement raison de ses peu convaincantes gesticulations de protestation et, mes mains enserrant ses deux poignets, je bloque ses bras avec les miens au-dessus de sa tête et le regarde en surplomb. Son œil sombre pétille. Quelques secondes … mais je suis envahi par une question, une inquiétude qui me presse soudain le cœur :
- « est-ce que tout va bien pour toi, ici, Toni ? »
Il se fige, grave pendant un instant, puis il rallume son air espiègle et roule latéralement du bassin pour le dégager. Libérée, sa queue tendue revient battre ma hanche et il m’interpelle d’un coup de menton, cette évidence pour toute réponse. Mais je secoue négativement la tête sans le quitter des yeux ni me départir de mon sourire qui l’interroge. Il cligne alors des yeux, dans cet atermoiement familier et je lui laisse le temps nécessaire pour revenir fixer ses prunelles dans les miennes.
– « je veux bien rester à votre service, M’sieur »
Je m’effondre sur lui tel un poids mort, pour lui glisser à l’oreille :
– « j’ai justement besoin de tes services pour me sortir de l’ornière où je suis ensablé, là, Toni !
Il rassemble ses forces, et, en rugissant, parvient à soulever ma carcasse inerte pour me renverser sur le dos. Je ris quand il découvre ma fière érection perlante dont, aussitôt et à genoux, il s’empare … pour l’engloutir. Il passe sa main sous son oreiller et la ressort munie des deux carrés magiques qu’il froisse bruyamment pour bien me faire entendre l’embuscade qu’il m’a tendue. Tandis qu’il m’équipe de ses mains redoutables d’efficacité, la mienne moule sa jolie fesse ronde et mon doigt vient effleurer son étoile.
Surprise !
Amical72
amical072@gmail.com
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