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HISTOIRE

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Premier épisode | Épisode précédent

Étudiant appliqué | Saison 5 | Stagiaire

Chapitre 9 | Explication nécessaire

Le récit de Julien

- « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? »

Derrière moi, Benjamin bat précipitamment en retraite. J’avance dans la cuisine où Sophie, les mains aux hanches, contemple le désordre auquel je ne l’ai guère habituée.

Puis Benjamin me déborde, il a revêtu le peignoir qu’il avait précédemment dédaigné et Sophie, le découvrant, se fige, les yeux ronds. Il la salue avec une moue expressive et exagérément désolée.

- « bonjour Sophie ! Je passe pour aller récupérer mes affaires. »

Et il s’éclipse, alors que Sophie m’interpelle :

- « Il a quel âge, ce beau mec ? »

- « bon, ça va, Sophie ! Ton frère est gay, tu le sais depuis longtemps, alors pour une fois, tu nous surprends au saut du lit et ça devient une réalité. »

- « vingt-huit ans ? »

- « Trente et un ! Mais c’est lui qui s’est jeté sur moi. »

- « Et toi, tu l’as recueilli par charité, c’est ça ? »

Elle a adopté un ton apitoyé et une mine contrite mais ne parvient pas à réprimer le léger tremblement qui retrousse progressivement les commissures de ses lèvres et nous éclatons de rire en même temps. Puis, soudain, nous nous activons de concert : débarrasser, nettoyer, faire couler un café, remettre le couvert … coordonnés, complices.

- « Il prend quoi, ton beau merle, au petit déjeuner ? »

- « Rien qu’à sa bonne odeur, le café me convient parfaitement, Sophie, merci ! »

Il entre, habillé cette fois, et j’en suis un peu désolé tant son aisance dans la nudité m’a séduit, l’air circonspect bien que souriant. Du doigt, Sophie lui assigne une place et approche, la cafetière à la main, en l’écrasant d’une curiosité qui me parait redoutable, aussi je crois utile de bafouiller.

- « Benjamin est en stage quelques jours à la ferme. »

Mais elle pouffe !

- « Tu veux dire qu’il est AUSSI en stage … »

Elle soulève son bol en direction de Benjamin, pour lui porter un toast.

- « A écouter ce grand niquedouille bredouiller et se prendre les pieds dans le tapis, je présume que vous vous êtes bien entendus et je te remercie d’avoir réussi à amadouer ce vieil ours qui en a bien besoin. »

Ils trinquent, en guise d’adoubement, et elle reprend :

- « qu’est-ce qui vous ferait plaisir à déjeuner, les Z’hommes ? »

Ensuite le temps, cet assassin*, est passé à toute allure, entre nos riches échanges professionnels – après tout, il n’est ni un néophyte, ni un débutant et j’ai toujours considéré avoir à apprendre d’un regard extérieur – et nos soirées « « chaleureuses ». Ni son appétit, ni son entrain ne se sont amoindris pendant ces quelques jours et j’ai même pu me laisser griser par le fantasme de sa conversion. Une illusion, bien sûr !

Avec Lecourt, j’avais pris l’habitude de me lever tôt et je l’ai conservée. J’aime ces heures du petit matin où tout est calme. Je veux dire, sans bruit d’origine humaine quand la nature, elle, est déjà en pleine effervescence. Mais sa présence, là, à mes côtés dans mon lit me …

M’émerveille !

C’est le mot qui s’impose à moi. Il n’est venu que pour quelques jours de stage dont c’est le dernier matin ! Quelques jours pendant lesquels il a partagé mon lit, TOUTE ma vie et … cela me semble déjà aussi naturel que si nous étions … un couple ? Ohhh lala !

J’ai beau assumer pleinement ma sexualité, avoir eu MON mec pendant plus de vingt ans, Lecourt et moi avions chacun notre vie, il était marié à une femme et nous ne nous retrouvions que pour de bons moments partagés. Cette idée de « couple gay », de conjugalité dans la banalité du quotidien, m’interroge mais, cependant, je le sens, se fraie insidieusement un chemin en moi.

Bien sûr, j’ai été d’abord heurté puis écœuré par les monstruosités proférées par les tenants de la manif pour tous. J’avais d’ailleurs été abusé par leur acronyme, détournement de « mariage pour tous », avant de rapidement réaliser que ce mouvement n’avait RIEN de bienveillant et ne visait qu’à interdire l’accès à des droits dont eux jouissaient et dont ils voulaient garder le privilège, comme une validation d’une prétendue supériorité de LEUR position, en fait l’écrasante domination de leur modèle.

J’ai écouté Christiane Taubira*², petite femme de couleur, courageuse, combative, vibrante à la tribune de l’Assemblée, évoquer « un besoin de changer d’air », faire résonner les vers de Léon Gontran Damas, le guyanais*3 et, le 17 mai 2013, j’ai applaudi à l’adoption de cette loi, indiscutable avancée de l’égalité et des libertés, qui accorde les mêmes droits à tous celles et ceux qui choisiraient ainsi … Mais j’étais bien loin de considérer qu’elle pourrait, d’une façon ou d’une autre, me concerner un jour.

Mais cette scène, ordinaire et banale, là sous mes yeux … « Je regardais / son genou plié, comme elle dormait, / qui soulevait le drap*4. »

Je me penche vers lui qui repose sur le côté, dos vers moi, et je tends le bras pour rajuster le drap, délicatement, et, à peine, effleurer sa peau …

- « bonjour Julien ! »

Il n’a pas bougé. Ma main s’est posée sur la rondeur de son deltoïde et, aussitôt, il a basculé sur le dos. Juste un instant ! Avant de retrouver sa position en veillant à maintenir ma main en place. Juste, pour moi, le temps d’apercevoir qu’il soulève le drap de son rostre bandé.

- « baise-moi, s’il te plait, Julien. »

Ma main a glissé de son épaule, entrainant le drap, dévoilant son joli dos en V jusqu’à la taille. Puis elle remonte, poignet cassé, égrenant le dos de mes doigts sur ses muscles avant qu’ils ne s’emparent de son trapèze pour le pétrir souplement. Il a basculé vers l’avant, à demi sur le ventre et je me hisse pour embrasser sa nuque, m’imprégner de son odeur, le nez perdu dans ses cheveux.

Revenue sous le drap, ma main court sur ses fesses qui se hérissent de mille picots puis se pose dans le creux de ses reins et coulisse vers le bas. Mon majeur suit sa raie, s’y infiltre et trouve son fion, souple.

L’introduire doucement, d’une phalange, pour toucher au paradis !

Et il soupire, se cambre, soulevant ses épaules.

Je viens embrasser son flanc, comme une sangsue, retroussant mes lèvres ou les resserrant pour imprimer les mille rasoirs de ma barbe pendant que je me capote. Puis mon doigt revient grassement l’enduire de lubrifiant, en tournant, massant, écartant. Je colle mon torse à son dos, mon visage à son oreille, ma main me guide pour me nicher, me maintenir puis, en cuiller, je contracte mes abdominaux pour le pénétrer souplement.

Il a soulevé son épaule en appui sur son avant-bras et ventile énergiquement. Lorsque sa gorge se noue, son râle s’étrangle, je suspends mon mouvement. Aussitôt, son bras lancé vers l’arrière m’intime de poursuivre tout en reculant ses fesses vers moi.

Ses expirations se font courtes et bruyantes alors que je l’investis progressivement. Je le sens rouler du bassin, se contracter puis se détendre en houle, comme animé d’une fringale communicative. Son cul est un ogre qui me dévore la bite comme une gourmandise. Nos reins montent et se creusent en montagne russes. Puis rapidement, les machines sont lancées et se cognent, claquent, râlent, s’empoignent, soufflent.

Il se tend d’un coup, soulevé sur ses avant-bras, menton relevé, bouche ouverte, respiration bloquée et je le rejoins d’un dernier coup de rein puissant, agrippé à lui, muscles bandés, jambes crochetées. Une série de décharges nous sidère puis nous retombons, anéantis, sur le dos.

D’un coup, il disparait sous le drap, arrache le latex, me prend en bouche pour une ultime succion à cent mille volts, réapparait et m’écrase de sa masse en me roulant un patin. C’est envahissant, brouillon, gras, bruyant et terriblement vorace, je m’enfouis dans sa barbe. Quand il se détache, je reviens le chercher, les yeux fermés, pour ajouter encore un zeste de volupté languide. Quand je les rouvre, je trouve les siens, rayonnants et nous restons ainsi, à nous sourire.

Oups ! Douche, je me rase, petit déj … Là encore me vient l’évidence : nous fonctionnons comme le ferait un couple ! Il est resté nu, ainsi qu’à son habitude et, amusé, je ne me retiens pas de le mater, de laisser trainer mes bras qui l’enlacent. Il m’attrape, me colle au mur en s’écrasant contre moi. Face à face. Nous échangeons un long regard chaleureux et complice. Silencieux.

Puis nous avons vaqué à nos tâches. Un peu plus tard, il rassemble ses affaires, se change et revient, toujours face à moi. Une longue poignée de mains, les yeux dans les yeux, une tape sur l’épaule, puis il part. Oui, Pars*5 !

J’ai ouvert en grand les fenêtres de la maison, mis la couette à la fenêtre, changé tout le linge. Puis je suis allé faire travailler mes chevaux dans le cercle de sable. J’ai retrouvé le calme et le silence, la maîtrise de ma vie. Chacun de mes claquements de langue résonne, sec et net.

Mais …

Alors j’écoute « tant de belles choses* » de Françoise Hardy avec, à mes côtés, une ombre tutélaire qui semble m’encourager à revivre.


*« Je crois qu'on survit à tout. Je crois que la vie est plus forte. Je crois que le temps est assassin et balaye les visages du passé en emportant avec lui les épreuves qu'on pensait ne pas pouvoir surmonter. »

in « En absence des hommes » 2001 de Philippe Besson. Pour découvrir l’auteur et son œuvre, voir.

*²Discours de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, pour l’ouverture du débat sur la loi sur le mariage pour tous devant l’Assemblée Nationale le 29 janvier 2013, puis son discours après le vote de la Loi de 17 mai 2013.

*3 Christiane Taubira prononce ces mots : L’acte que nous allons accomplir est « beau comme une rose dont la Tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales », il est « grand comme un besoin de changer d’air, fort comme l’accent aigu d’un appel dans la nuit longue. » citant la poète Léon-Gontran Damas. Voir.

*4« explication nécessaire » est un poème de Yannis Ritsos : « je regardais / son genou plié, comme elle dormait, qui soulevait le drap. / Ce n’était pas seulement l’amour. Cet angle / était la crête de la tendresse et l’odeur / du drap, de la propreté et du printemps complétait / cet inexplicable, que j’ai cherché, / en vain encore, à t’expliquer. » à lire intégralement ici. Pour en savoir un peu plus sur l’œuvre de Yannis Ritsos.

*5 « Pars » est une chanson de Jacques Higelin. Retrouvez-le dans la folie heureuse de ses concerts, comme ici au Bataclan, en 2007.

*6 Françoise Hardy chante « tant de belles choses » sur l’album sorti en 2004, alors qu’elle découvre être atteinte d’un lymphome. Elle en a écrit les paroles.


Amical72

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