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Chapitre 6 | Le récit de Toni / Se jeter à l’eau
TTRRIIIIIII ! TTRRIIIIIII ! La sonnerie m’arrache au sommeil et, aussitôt, son bras enroulé autour de ma taille, sa respiration dans mon cou, sa fourrure plaquée dans mon dos, LUI, « le magnifique », comme un trophée remporté hier soir, s’impose à moi. Et aussitôt le train, le match, le déjeuner me reviennent … Merde, Courir, vite !
C’est trop tard, je sais qu’il a raison. Tentation de m’écrouler, me blottir contre lui, de replonger dans son lit vers sa peau, sa bouche, ses mains, sa queue, pour disparaitre comme une fuite. Et lui qui me redresse en adulte qui fait face avec une check liste où tout est simple et à sa place…
Tout est simple ? Mais qu’est-ce qu’il veut ce type ? Il m’envahit, il me dépossède, il veut s’asseoir à la table de ma mère, il me prend les rênes des mains. Qui est-il ? je me raidis !
Alors il rit, son bras m’entoure, son odeur m’enveloppe et la réalité m’apparait, évidente et claire : je n’ai que la solution qu’il m’offre. Mais LUI dont les caresses me tourneboulent, est-il vraiment LE magnifique, et de confiance ? - si c’est le cas, tout se déroulera parfaitement- ou si, au contraire, …
Je préfère ne pas y penser… mais même dans le pire des cas, je décide, là, maintenant, que je n’en mourrai pas, que je saurai m’en relever, je me le promets. Et j’ai une telle envie d’en rester proche à le toucher, de savoir qu’il est là, à portée, comme quelque chose qui est immédiatement possible et qui vibre, un frisson … Alors je prends le risque. C’est la possibilité d’un bonheur contre la crainte de perdre ? Perdre quoi d’ailleurs ? Alors je tente le pari.
Pourtant, c’est après le match, quand nous marchons vers la porte de la maison, que je réalise : je nous vois ; LUI : sa trentaine, grand, mince, avec son aisance, cette élégance naturelle, même vêtu d’un banal jean et d’une chemise puis moi : en sweat informe, hirsute, rondouillard, gauche ; formant une paire bien improbable. Ma mère n’en dit rien : sa porte et sa table sont ouvertes à mes amis, puisqu’ils sont mes amis. Mais brusquement, hors de sa présence à lui, sa main impérieuse sur mon bras, ses yeux plantés dans les miens :
- « dis-moi Toni, qui est cet homme ? »
Et moi qui ne peut soutenir son regard, ma bouche qui baille comme celle d’un poisson rouge, d’où rien ne sort. Alors elle m’embrasse sur la joue et revient LE retrouver à table, familière, presque complice. Il regarde cette photo de moi, là, sur le buffet ; elle explique que j’avais chanté en solo à cette fête de l’école, moi tout tremblotant sur scène et elle si fière de son fils avec cette voix d’ange, comme elle dit, encore émue aujourd’hui, avec ce regard d’amour inconditionnel. Et son regard à lui, ironique …
Putain, j’en ai mal ! Je me sens exposé, réduit, infantilisé. Pourquoi se laisse-t-elle aller à ce sentimentalisme ridicule qui me renvoie en enfance de petit portugais gauche et maladroit, face à lui dont je voudrais qu’il me regarde comme un égal ? Elle ne m’épargne pas non plus l’avalanche de ses attentions de mère avec de petits plats préparés à mon intention. Pfff, j’ai l’air de quoi ? Et je me sens poisseux de cette enfance jusque dans la voiture, quand je m’assoie en passager à ses côtés.
Alors il fend la cuirasse, il rompt avec sa saloperie d’exquise politesse et me rallume le feu en me parlant de son désir avec des mots crus et directs. Et immédiatement, le mien se dresse dans mon boxer. Ce mec est un vertige pour mes sens à quoi je m’abandonne sans retenue. Quand il stoppe la voiture et m’entraîne pour une promenade bucolique, je me fous bien du paysage et de ses terres, je ne vois que sa peau, là, dans son cou, et ses petits cheveux. Je ne cherche qu’un endroit, un moment propice pour le dévorer.
Cette petite grange ? Y serons-nous tranquilles ? Il avoue m’avoir amené ici pour ça ! Il a la même faim que moi et nos bouches se rejoignent, goulues, voraces. Défaire les boutons de sa chemise et plonger les doigts dans la mousse de ses poils, trouver ses tétons, extraire son odeur. Lui qui me lèche, me suce, me dévore la bite et le cul. Vite ! Le capoter et le planter en moi. C’est cela : le sentir dur et chaud à l’intérieur de moi. Sa queue qui m’ouvre, des étincelles derrière mes paupières et ensemble, on part en mer. Il s’arrache, me retourne, cuisses relevées : son regard sur moi est encore une caresse et je le veux profond qui ahane, qui me secoue, se plante et déverse sa liqueur, chaude, saccadée quand je nous asperge de la mienne. Redescendre dans le parachute de nos bras, de nos attentions.
Il décule et là, l’odeur… La honte !
Je suis frigorifié de confusion, je m’écarte, aveugle et sourd.
Il me rattrape, m’attire à lui, m’enveloppe de ses bras, rit et m’embrasse. Ses yeux dans les miens me parlent, bienveillants et complices. Il m’embarque ce mec, avec lui, tout se résout simplement, là, sans drame, sans arriérés, sans ces non-dits qui nous lestent et qui entravent. Il m’emmène, tout simplement, me doucher à la ferme. On joue, on se frotte, on rit en toute insouciance.
Et soudain ce grand gaillard costaud qui s’encadre dans la porte ! Il appelle Adrien et l’ensevelit sous une grande brassée. Moi, encore tout nu, je suis tétanisé, caché dans ma serviette. Il me regarde, me jauge puis ébouriffe ma tignasse de la main. D’emblée, son regard me parait bienveillant, paternel et protecteur.
Pour nous deux d’ailleurs, qu’il entoure de ses deux bras. Il nous dit qu’il a vu la voiture mais n’a pas voulu déranger nos ébats dans la grange et cela, d’un ton si naturel que, pour la première fois, je n’éprouve aucune gêne, aucune confusion à évoquer nos rapports sexuels. Son regard n’est ni lubrique, ni lourd de ces sous-entendus graveleux de celui qui attend son tour, mais plutôt l’expression d’une maturité et d’une expérience assumées, qui établit une complicité joyeuse, une fraternité entre adultes sexués.
Puis il nous quitte pour aller préparer un casse-croûte.
Sauf qu’à l’évidence, il est gay, je ne suis pas certain d’avoir bien compris qui est cet homme, ce Julien, un solide quinquagénaire qui a repris la ferme après le décès du père d’Adrien mais sa cordialité simple et sans détour me met en confiance, même si je perçois qu’il m’observe attentivement.
Et la soirée se poursuit, chaleureuse, entre nous trois, autour de sa table.
Amical72
amical072@gmail.com
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