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Chapitre 9 | Réveil
C’est la radio qui me tire du sommeil, de la musique. Puis la météo, les infos… Je suis couché sur le côté gauche, face au mur et le bras de Toni est posé en travers de ma taille, sa tête appuyée entre mes omoplates. Il bouge, se colle à mon dos, corps chaud et doux. Nos jambes s’emmêlent. Je bascule vers lui et le prend dans mes bras.
- « As-tu bien dormi, Toni ? »
Il grommèle quelque chose qui doit vouloir dire oui et se presse encore davantage, sa main progresse comme un insecte sur mon torse, dans mes poils. Il soupire et je souris, bêtement. Ce garçon semble être un diésel au réveil. Ne pas le brusquer. Embrasser encore une fois son front encombré de mèches en désordre, le cajoler puis le pousser hors du lit et me lever à mon tour, en affichant une belle forme. Taper sur la main de Toni qui s’approche : pas le temps, je dois être au boulot de bonne heure. A la douche !
On se retrouve au comptoir de la cuisine, bol fumant en main. Son portable sonne, il fronce les sourcils, regarde l’écran, décroche :
- « bonjour maman » … « oui » … « non » …
Je le vois qui hésite, me regarde rapidement puis baisse à nouveau les yeux et se recroqueville autour de l’appareil vissé à son oreille
- « maman, je ne suis pas dans ma chambre » … Il prend une grande inspiration, ses yeux se plantent dans les miens.
- « maman, je déjeune avec Adrien » puis très vite « c’est mon amoureux, maman » et il se fige un instant, suspendu à la réponse, crispé, durci comme s’il se préparait à encaisser un coup. Puis je le vois se détendre et son sourire s’épanouir :
- « oui, à di… Je t’embrasse maman » et il raccroche.
La tête baissée disparaissant dans son bol, il ajoute à mon intention
- « elle t’embrasse ».
Bras tendu, je pose l’extrémité de mes doigts sur le sien qui tient toujours son bol levé devant son visage.
- « J’avais entendu »
Il l’abaisse imperceptiblement et, par-dessus, j’aperçois la barre presque continue de ses sourcils et, à peine visible, ses deux billes sombres fixées sur moi.
- « Voilà une journée qui commence plutôt bien pour toi Toni, non ? »
Comme il ne dit toujours rien, je me lève et vais chercher une boite dont je sors un trousseau que je fais tinter à mon oreille :
- « souhaites-tu pouvoir prendre tes petits déjeuners avec moi, Toni ? » Il se redresse imperceptiblement ; je poursuis : « et aussi le diner ? » Il sourit franchement et ajoute :
- « seulement si je reste aussi dormir avec toi » J’écarquille exagérément les yeux avec l’air dépité :
- « l’offre ne comporte-elle rien d’autre ? » Il hausse les épaules, le visage toujours enfoui dans la céramique.
- « tu ne m’en veux pas de ce que j’ai dit à ma mère, alors ? »
Je le regarde, soudain sérieux :
- « Ce n’est pas si simple, Toni. Auparavant, on va voir comment, ton « amoureux » et toi parvenez à vous entendre au quotidien. » Je me redresse « et, bien sûr, on déjeune chez Amélia dimanche, c’est ça ? »
Il relève les yeux et opine de la tête. Je dépose le trousseau dans sa main ouverte. Et je le plante là pour aller m’habiller. Je souris intérieurement de me voir pris à mon propre piège, car c’est bien moi qui l’ai contraint à la transgression pour m’imposer à la table maternelle, ce dimanche, non ? Et voilà que je dois en payer la rançon.
Quand je reviens, tout est nettoyé et rangé et il me regarde nouer ma cravate face au miroir avec un air goguenard :
- « j’admire ton naturel, ton aisance, Adrien » Je souris en coin :
- « tu n’as pas encore défroissé tes ailes, Toni, ça va venir, j’en suis certain » Je lui pique un bisou et je sors.
Dans le tram, j’ai l’impression de laisser une part de moi en compagnie de ce petit brun à qui je viens de confier les clés de ma maison et, spontanément, il me vient cette réflexion « bah, de toute façon il n’y a rien à voler. »
Et aussitôt, elle me fait rire : pensée atavique et ô combien mesquine car je parierais sur l’honnêteté foncière et sourcilleuse de Toni.
J’ai le cœur léger à le deviner fermant scrupuleusement ma maison avant qu’il ne parte à la Fac, zélé et un peu crispé, comme lorsque je l’ai invité à conduire ma voiture la première fois.
Amical72
amical072@gmail.com
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